Maroc : Hamdi Ould Errachid, le seigneur sahraoui de l’Istiqlal
Député-maire de Laayoune, Hamdi Ould Errachid a joué un rôle décisif dans l’élection de Nizar Baraka à la tête du parti de la balance. Portrait du Sahraoui le plus influent du royaume.
Et le grand vainqueur du 17e congrès de l’Istiqlal est… Hamdi Ould Errachid. « Nizar Baraka n’aurait jamais pu devenir secrétaire général sans le soutien d’Ould Errachid », admet un responsable du parti.
« Celui qui a servi un temps de caution sahraouie à un Istiqlal dominé par les Fassis a désormais verrouillé son contrôle sur le parti, renchérit un ancien conseiller en communication. Aujourd’hui, c’est Ould Errachid qui met en avant Nizar Baraka comme une sorte de faire-valoir fassi. » Qui est ce seigneur du Sahara devenu l’homme fort du mouvement le plus emblématique du royaume ?
Dans l’ombre de son frère
Moulay Hamdi, comme l’appellent ses intimes, pousse son premier cri en 1947, sous la tente d’un campement de la tribu des Reguibat, près de Laayoune, alors capitale de la colonie espagnole. Son père, ancien combattant de la révolte sahraouie des années 1930, est une figure de proue de la communauté reguibie, aujourd’hui aussi influente au Maroc que dans les camps de Tindouf.
Après avoir travaillé quelques années dans la société d’exploitation des phosphates, Hamdi est recruté au début des années 1970 par l’administration coloniale. C’est que son frère cadet, Khalihenna Ould Errachid, fait partie de ces jeunes Sahraouis que le régime franquiste a formés et promus, pensant en faire une élite dévouée.
Mais Khalihenna, qui dirigeait le Parti de l’union nationale sahraouie (PUNS), financé par l’Espagne, joue double jeu : il prête secrètement allégeance à Hassan II quelques mois avant la Marche verte du 6 novembre 1975. « Durant toute l’ascension de Khalihenna, son frère Hamdi n’a jamais été très loin, nous confie un proche de la famille. L’aîné était le cerveau, l’interlocuteur des hautes sphères. Le cadet, autodidacte, était l’homme de terrain, celui qui savait organiser et mobiliser. »
Il a participé activement au recensement des votants pour le référendum d’autodétermination du Sahara
D’ailleurs, quand Hassan II fait de Khalihenna son ministre des Affaires sahariennes, le frère aîné est embauché au département de l’Intérieur. Hamdi se retrouve caïd à la tête d’un arrondissement à Laayoune et participe activement, dans l’administration de Driss Basri, au processus de recensement des votants pour le référendum d’autodétermination du Sahara.
Après vingt-cinq ans passés à l’Intérieur, que Hamdi n’a pas manqué de mettre à profit pour renforcer les appuis du clan des Reguibat, il lâche son statut d’agent d’autorité pour entrer en politique. Sa vie prend alors un autre tournant. Son influence, une autre dimension…
Le choix d’Istiqlal
Au lendemain des élections de 2002, Hamdi Ould Errachid fait son entrée au Parlement. Mais, à la différence de son frère, député de Laayoune depuis 1977 sous la bannière RNI, puis PND, et qui a préféré passer son tour lors de ces législatives, Hamdi choisit l’Istiqlal.
Pour certains séparatistes, Hamdi est l’archétype du « collaborateur de l’occupant »
Les deux frères se retrouvent même face à face lors des communales de 2003, avant que Hamdi décide d’apporter son soutien à son cadet pour lui assurer un nouveau mandat à la tête du conseil municipal de Laayoune. Un poste dont Hamdi héritera trois ans plus tard, quand Khalihenna démissionnera, après sa nomination à la tête du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes (Corcas).
Député-maire du chef-lieu du Sahara, Hamdi consolide son influence dans son fief. Sa luxueuse villa, située dans une impasse du centre-ville de Laayoune, est une escale presque obligée pour tous les dignitaires de passage. « Certains délégués de ministères déployés à Laayoune préfèrent encore aller à l’encontre des directives de l’administration centrale que de contrarier Ould Errachid », confie un ancien fonctionnaire de la ville.
Mais, quand il fait le « tour du propriétaire » de sa ville pour présenter ses réalisations, le maire circule en véhicule blindé, talonné par une autre voiture qu’occupent ses deux gardes du corps. C’est que, pour certains séparatistes, comme pour ses cousins qui ont rallié le Polisario, Hamdi est l’archétype du « collaborateur de l’occupant ». Une réputation dont il est fier, comme s’il s’agissait d’une décoration.
La nationalité marocaine, je l’ai choisie parce que j’ai décidé de prêter allégeance à Sa Majesté le roi
Son allégeance absolue à la monarchie et son attachement à la marocanité du Sahara, doublés d’un instinct politique inouï, lui tiennent lieu de bouclier contre toutes les attaques. Quand ses détracteurs l’accusent de « trahison » en avançant sa double nationalité maroco-espagnole, Hamdi, connu pour avoir ses habitudes à Tenerife, leur rétorque avec sa repartie déconcertante : « La nationalité espagnole, je l’ai eue à ma naissance dans le Sahara colonisé. La nationalité marocaine, je l’ai choisie parce que j’ai décidé de prêter allégeance à Sa Majesté le roi. C’est à lui seul que je dois allégeance et à personne d’autre. »
Tenace face au PAM
Même le Parti Authenticité et Modernité (PAM) n’a pas réussi à le déstabiliser à la veille des communales de 2009, alors que la formation comptait dans ses rangs, à l’époque, l’actuel conseiller royal, Fouad Ali El Himma. Ce dernier, dans un rassemblement public à Laayoune, avait même fait la promesse d’« arracher à la pince la carie qui gangrenait la gestion locale de Laayoune », allusion à peine voilée à Hamdi.
Après les élections de 2015, les provinces du Sahara apparaissent comme le dernier bastion électoral de l’Istiqlal
Un challenge qu’il n’a pu relever, puisque Hamdi conserve la mairie en 2009 et renouvelle même son mandat en 2015, tout en gardant son fauteuil de député à chaque scrutin législatif : 2007, 2011 et 2016. Entre-temps, Ould Errachid a étendu sa toile, aussi bien dans les instances élues de la région qu’au sein des organes décisionnels de l’Istiqlal.
Au lendemain de la publication des résultats des communales et des régionales de 2015, les provinces du Sahara apparaissent comme le dernier bastion électoral de l’Istiqlal. Bien qu’arrivée deuxième en ce qui concerne le nombre d’élus (5 106 conseillers communaux) la formation perd le contrôle de toutes les villes, sauf dans les provinces du Sud. Pis, les deux seules présidences de région (sur douze) que l’Istiqlal arrive à décrocher sont celles de Laayoune-Sakia Al Hamra et Dakhla-Oued Eddahab.
Enfin, lors des élections à la Chambre des conseillers, le Sud fournit 10 élus de l’Istiqlal sur 24, lui permettant de devenir le premier parti représenté à la chambre haute. Une victoire que le secrétaire général déchu, Hamid Chabat, a souvent mise en avant pour justifier sa promesse non tenue de démissionner au cas où l’Istiqlal ne remportait pas les communales.
« Hamdi Ould Errachid n’a jamais pardonné à Chabat d’avoir fait cette promesse sans prendre la peine de consulter au préalable le comité exécutif du parti », nous explique un connaisseur des arcanes de l’Istiqlal. Les maladresses répétées de Chabat, qui ont coûté à l’Istiqlal une participation au gouvernement El Othmani, finissent par agacer Ould Errachid.
Les zones d’ombre de l’homme d’affaires
Après avoir compté parmi les précieux soutiens de l’ancien maire de Fès dans sa conquête de l’Istiqlal en 2013, il finit par le lâcher pour adouber un candidat qui fédère : Nizar Baraka, petit-fils du fondateur, Allal El Fassi, et haut commis de l’État réputé être dans les petits papiers du sérail. Mieux, Hamdi mobilise tout son clan pour contrer les manœuvres de Chabat, qui n’a cessé de jouer la montre pour retarder son éviction dans l’espoir de reconquérir des soutiens.
« C’est Ould Errachid qui a gagné la bataille contre Chabat, affirme un responsable istiqlalien. C’est Hamdi et ses hommes qui ont occupé le siège du parti pour obliger le secrétaire général à renoncer à la mainmise sur l’organisation du congrès. Ce sont eux ensuite qui ont débarrassé le syndicat [UGTM] des soutiens de Chabat. Ce sont eux enfin qui ont contré les derniers soubresauts du clan Chabat lors du 17e congrès, marqué par des scènes de violence sans précédent. »
Ould Errachid a été d’ailleurs l’un des principaux bailleurs de fonds pour l’organisation de ce conclave, qui aurait coûté quelque 9 millions de dirhams, au moment où les caisses du parti étaient à sec, en raison du gel de la subvention publique.
La fortune d’Ould Errachid, qui se présente comme un homme d’affaires, est d’ailleurs, selon ses détracteurs, l’une de ses zones d’ombre. « C’est un businessman qui a réussi, soutient un proche de la famille. Il a beaucoup investi à Agadir dans l’immobilier et l’industrie agroalimentaire. » La déclaration de patrimoine du député-maire présentée à la Cour des comptes est probablement bien plus longue.
La famille Ould Errachid : un clan tentaculaire
Dans le clan Ould Errachid, Khalihenna a longtemps été considéré comme le chef. Mais, depuis qu’il est président du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes (Corcas), il se fait plus discret, et c’est son frère aîné, Hamdi, qui a repris le flambeau.
Dans son sillage, une nouvelle génération de la tribu a pris ses marques au sein des instances de l’Istiqlal. Son homonyme, neveu et gendre, Sidi Hamdi Ould Errachid, 46 ans, est président de la région Laayoune-Sakia Hamra depuis 2015.
Baraka, simple façade ?
Le deuxième gendre de Hamdi n’est autre que Enaam Mayara, propulsé en mai dernier secrétaire général de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), syndicat affilié à l’Istiqlal.
De son côté, le fils de Hamdi Ould Errachid, Mohamed, s’est illustré lors du 17e congrès en tenant d’une main de fer le volet organisationnel. Comme tous les membres de la famille, il s’est assuré un siège au nouveau comité exécutif de l’Istiqlal.
Dans cette instance, composée de vingt-six membres, largement dominée par les soutiens d’Ould Errachid, on compte huit Sahraouis. Ce qui fait dire à certains que le nouveau secrétaire général de l’Istiqlal, Nizar Baraka, n’aura pas voix au chapitre et ne sera qu’une simple façade du clan Ould Errachid. Mais ce serait sous-estimer les talents de diplomate du petit-fils d’Allal El Fassi, choisi d’ailleurs pour redorer l’image de l’Istiqlal, et, surtout, rétablir la confiance avec le sérail.
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