Télécoms : Camtel s’accroche à la fibre optique
Détenteur du monopole sur ce réseau et de l’exclusivité de la gestion de la bande passante internationale, l’opérateur historique camerounais, devenu rentier, ne parvient pas à se réinventer.
« Abus de position dominante. » Samuel Ngondi Eboua, le directeur des relations institutionnelles d’Orange Cameroun, n’y est pas allé par quatre chemins dans sa mise au point, le 17 octobre, pour qualifier l’attitude de Cameroon Telecomunications (Camtel).
La veille, l’opérateur historique avait une seconde fois rompu les liaisons par fibre optique – dont il détient le monopole – que lui loue la filiale du groupe français en raison du non-paiement d’une facture de 1,6 milliard de F CFA (2,44 millions d’euros).
Dette invalide selon Orange
Ainsi les abonnés d’Orange ont-ils été privés des heures durant des services internet, en dépit de l’injonction de l’Agence de régulation des télécommunications (ART) sommant Camtel de rétablir la connexion. Finalement, le 18 octobre, Orange a consenti à payer la note pour rétablir le service tout en indiquant ne pas reconnaître la validité de cette dette.
À travers ce différend commercial, l’opérateur historique tient une sorte de revanche. « En 2005 et en 2006, nous avons subi les mêmes désagréments de la part d’Orange Cameroun pour des factures non payées.
Le groupe français avait fermé son réseau, et nous ne pouvions plus l’utiliser pour acheminer notre trafic. Nous avons payé une dette de 7 milliards de F CFA sur la base d’une facturation contestée. Aucune concession ne nous a été faite », avoue un cadre de Camtel qui a requis l’anonymat.
Une méthode de renflouement
Le bras de fer fait les choux gras de la presse locale et étonne les observateurs. « Il est impensable qu’on en soit arrivé là, puisque les opérateurs procèdent souvent par compensation. En outre, le régulateur gère aisément ce type de différend commercial », note Jean Simon Ngann Yonn, associé à Execution Consulting, un cabinet spécialisé dans les télécoms.
Orange est la dernière victime en date de cette méthode coup de poing adoptée par l’entreprise publique pour recouvrer ses créances. Plusieurs sociétés d’État, dont la Compagnie nationale de transport aérien et la télévision publique, en ont fait les frais l’année dernière.
Rénover les insfrastructures
Une stratégie qui obéit à une nécessité. Prise dans les rets des échéances de remboursement de la dette colossale – près de 590 milliards de F CFA – contractée à partir de 2009 par l’État auprès de China Eximbank – et rétrocédée à l’entreprise – pour remettre ses infrastructures à niveau, Camtel estime ne pas avoir d’autre choix que de procéder de la sorte.
Par ailleurs, les difficultés récurrentes qu’il rencontre pour recouvrer certaines de ses créances, notamment auprès des structures publiques, créent un important besoin en fonds de roulement qui impacte sa trésorerie, indique l’agence de notation Bloomfield.
Privilèges exclusifs
Depuis sa tentative infructueuse de privatiser l’opérateur public – qui demeure dans le portefeuille des entreprises à céder –, en 2000, l’État n’a cessé de le soutenir pour qu’il retrouve son lustre. Cela s’est traduit par l’octroi de nombreux privilèges.
La fée étatique a par exemple obtenu la rétrocession, en 2014, de la station d’atterrissement du câble sous-marin Wacs par MTN, et en 2015 celle du câble ACE, dont le consortium est mené par Orange. En 2016, c’est l’électricien Eneo qui, a son tour, a dû céder à Camtel 700 km de fibre installés le long de son réseau.
Sans verser de dividendes à l’État actionnaire, l’entreprise demeure bénéficiaire
Malgré les protestations, l’entreprise détient plus que jamais l’exclusivité de la gestion de la bande passante internationale et de la fibre optique. Parallèlement, son partenariat stratégique avec Huawei, qui a remplacé celui avec France Télécom, lui a permis d’étendre considérablement son réseau de transport (entre les villes) en fibre optique.
Même si certains de ses tronçons ont dû être repris, il court aujourd’hui sur plus de 10 000 km, auxquels il faut ajouter les réseaux métropolitains.
Camtel devenu incontournable
Une véritable rente pour l’entreprise publique. « Camtel a signé un accord avec les opérateurs MTN, Viettel et Orange pour l’utilisation de cette fibre noire, qui générera un revenu de 15 milliards de F CFA par an pendant dix ans », relevait en octobre 2015 Bloomfield, qui lui attribuait alors une note BBB à long terme, avec une perspective stable.
« Les avantages que lui a accordés le gouvernement l’ont rendu incontournable dans le secteur des télécommunications camerounaises », observe Michel Elame, associé à Execution Consulting. Ces évolutions, combinées à la dynamique du secteur, la maintiennent dans une relative bonne santé.
Camtel est en retard par rapport aux besoins de technologies de l’information », selon Michel Elame
Sans verser de dividendes à l’État actionnaire, l’entreprise demeure bénéficiaire depuis plus d’une décennie. Contactée, la direction de Camtel n’a pas donné suite à nos demandes. Mais, selon une source au fait des projets d’infrastructures de l’opérateur, la gestion de la bande passante et de la connectivité internationale représente la majorité de son chiffre d’affaires.
Failles dans la stratégie
Ces bonnes performances financières cachent toutefois une réelle incapacité à profiter de ses ressources de manière optimale, du fait d’une approche commerciale défaillante. « Avec son réseau en fibre optique, Camtel pourrait quintupler ses revenus sur ce créneau si l’entreprise disposait d’une stratégie robuste. Mais elle est en retard par rapport aux énormes besoins du pays en matière de technologies de l’information », regrette Michel Elame.
Pour accroître ses revenus, l’opérateur essaie de multiplier les partenariats commerciaux avec d’autres acteurs, tels Yoomee et Vodafone, qui lui achètent des capacités sur la fibre pour devenir des opérateurs virtuels de téléphonie (MVNO).
Démarrage difficile de « Camtel money »
Camtel voulait aussi se lancer sur le front de la téléphonie mobile et a obtenu une licence en 2014. Mais le démarrage de cette activité, prévu en 2016, a été empêché par des difficultés à mobiliser les fonds nécessaires, l’incapacité à trouver un partenaire stratégique et, surtout, l’absence de l’accord, indispensable, du ministère des Finances, qui exige pour ce faire un droit d’entrée.
De fait, l’opérateur camerounais peine à saisir des opportunités. En dépit d’un partenariat avec la filiale du groupe bancaire UBA, il tarde également à lancer « Camtel Money » sur les marchés pourtant lucratifs du mobile money et du mobile banking.
Besoin de restructuration
À ces difficultés internes s’ajoutent des contraintes administratives, notamment dans la passation des marchés. « Contrairement à ses concurrents privés, qui se contentent d’un bon de commande, Camtel subit les lourdeurs de la bureaucratie camerounaise impliquant au moins l’accord de trois administrations pour y parvenir », indique un analyste du secteur.
Des obstacles qui obèrent sa compétitivité, au point de pousser la Banque mondiale à plaider pour sa restructuration en séparant les activités de gestion des infrastructures et la commercialisation des services de télécoms.
Camtel : le parti pris chinois
Camtel s’est associé à China Unicom et à Huawei pour construire le premier câble sous-marin reliant l’Afrique à l’Amérique latine.
Longue de 6 000 km, l’infrastructure, estimée à près de 300 milliards de F CFA (457 millions d’euros) et financée à 85 % par China Eximbank, reliera la cité balnéaire de Kribi, au sud Cameroun, à Fortaleza, au Brésil, à la fin de 2018.
David Nkoto Emane, directeur général de Camtel, confirme ainsi le choix, pris dès son arrivée, en 2005, de privilégier les collaborations avec les entreprises chinoises.
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