Maroc : le choix de l’Afrique et ses conséquences
En 2018, Rabat déploiera plus que jamais le grand jeu sur le continent. Adhésion à la Cedeao, installation de ses diplomates au sein des principales structures de l’UA, visites royales… Sans oublier son objectif majeur : en finir avec le Polisario.
Maroc : Africa first
Entre la réforme de l’Union africaine, qu’il a rejointe en janvier, son adhésion à la Cedeao, qui devrait être entérinée à la mi-décembre, et les partenariats qu’il a engagés, le royaume va devoir relever de nouveaux défis sur le continent.
«Il est beau le jour où l’on rentre chez soi après une trop longue absence ! Il est beau le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé ! » Le 31 janvier 2017, trente-deux ans après en avoir claqué la porte, le Maroc réintégrait sa maison africaine à travers le discours historique et un brin émouvant prononcé par le roi Mohammed VI à la tribune du 28e sommet de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba.
Une adhésion qui vient couronner l’intense politique africaine du royaume, mais qui n’a pas été facile à obtenir tant l’Algérie et l’Afrique du Sud, opposées au royaume chérifien au sujet du conflit sahraoui, ont tenté de l’empêcher. C’est grâce aux fortes amitiés qu’il a tissées à travers le continent que le Maroc est devenu le 55e membre d’une UA en pleine mutation.
En janvier 2018, la grande réforme de l’Union, élaborée par le Rwandais Paul Kagame, qui prendra alors la présidence de l’UA –, entrera en vigueur, inaugurant une nouvelle ère pour un continent impatient de se libérer des influences étrangères et de se prendre enfin en charge.
Le grand retour
Dans cette atmosphère de changement, les diplomates marocains ont retroussé leurs manches, guidés par un double objectif : s’inscrire pleinement dans tous les nouveaux défis du continent et de l’Union, et chasser le Polisario en usant d’une politique d’isolement savamment orchestrée par les stratèges du Palais. « Si 2017 a été l’année de l’adhésion du Maroc à l’UA, 2018 sera celle de son installation dans toutes les structures de ce regroupement panafricain », explique un diplomate marocain.
En sus de ses responsabilités officielles au sein des instances de l’Union, le royaume, particulièrement confronté aux problématiques migratoires, a été désigné pour présenter un rapport sur ce thème lors du prochain sommet, en janvier 2018. Rabat est en train de se déployer tous azimuts dans les instances de l’Union.
Trois structures retiennent particulièrement son attention : le Conseil de paix et de sécurité (CPS), qui siège à Addis-Abeba, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), basée à Banjul, et le Parlement panafricain (PAP), à Midrand, près de Johannesburg (Afrique du Sud). C’est dans ces structures clés, qui statuent sur les sujets éminemment politiques en Afrique, que Rabat entend mettre le paquet.
Le Maroc compte se porter candidat afin de pouvoir être représenté dans la plus importante structure de l’UA
Réintégration au sein des structures de l’UA
En mars 2018, le CPS, dont les quinze membres sont élus par le conseil exécutif de l’UA, connaîtra un vaste renouvellement. L’un des deux sièges dévolus à l’Afrique du Nord (actuellement occupé par l’Algérie) sera libéré, et le Maroc compte se porter candidat afin de pouvoir être représenté dans la plus importante structure de l’UA, celle qui se prononce sur toutes les crises survenant sur le continent et qui prépare les plus importantes décisions des chefs d’État.
Outre sa participation à la résolution des défis africains « de l’intérieur » (Libye, Mali, G5 Sahel, etc.), sa présence au sein des structures névralgiques de l’UA permettra au Maroc de mettre un terme à tout langage provocateur sur la question du Sahara. En juillet, la CADHP, présidée par la Sud-Africaine Faith Pansy Tlakula, a tenté de faire passer un rapport truffé d’expressions hostiles au Maroc : « territoires occupés », « décolonisation », « annexion »…
Au cours des trois décennies d’absence du royaume au sein de l’UA, ces expressions passaient comme une lettre à la poste dans les rapports de l’organisation. Les diplomates marocains ont donc dû se déployer en force pour obtenir « leur » amendement, selon le langage onusien. Pour eux, les choses sont claires : si l’UA ne peut pas soutenir, « pour le moment », la solution d’autonomie, le minimum qu’elle se doit de respecter est la neutralité.
Lorsqu’il s’agit du Sahara, Rabat n’hésite plus à aller au clash
La question sahraouie
Et, lorsqu’il s’agit du Sahara, Rabat n’hésite plus à aller au clash. L’« entité » de Brahim Ghali, la République arabe sahraouie démocratique (RASD), est peut-être reconnue par l’UA, mais pas par la communauté internationale. Ce qui donne aux Marocains un argument pour l’expulser des meetings entre l’UA et ses partenaires internationaux. En novembre 2016, pour protester contre la présence d’une délégation sahraouie, le Maroc s’était retiré avec fracas du sommet arabo-africain de Malabo, entraînant plusieurs pays du Golfe dans son sillage.
En mai de cette année, lors d’un meeting onusien aux Antilles, la partie marocaine a déploré l’agression de l’un de ses diplomates par un haut responsable algérien. Trois mois plus tard, rebelote à Maputo, où un forum Japon-Afrique a même viré à la foire d’empoigne lorsque des membres du Polisario se sont présentés, à l’invitation du Mozambique. À Rabat, la décision est prise. Chaque fois que les Sahraouis se présenteront à un meeting international, ils en seront chassés au nom de la légalité internationale.
Confrontation entre le Maroc et le Polisario
« En 2018, on va rentrer dans une guerre ouverte entre le Maroc et le “Polisario & Co”. Chaque réunion, chaque meeting sera le terrain d’une confrontation », pronostique Liesl Louw-Vaudran, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité (Institute for Security Studies, ISS), basé à Pretoria. « La bataille promet d’être d’autant plus intense que le Polisario est nettement plus présent ces derniers mois en Afrique du Sud et dans les pays de l’Afrique australe. »
Du 9 au 20 octobre, le chef de l’entité sahraouie, Brahim Ghali, était même l’invité d’honneur d’une réunion du PAP, dirigée par le Camerounais Roger Nkodo Dang (pourtant dans les faveurs de Rabat), et y a présenté un discours. Rodés aux subtilités de langage, brefs et pointilleux, les diplomates de Sa Majesté aiguisent d’ores et déjà leurs armes pour le 5e sommet Afrique-Union européenne des 29 et 30 novembre, à Abidjan.
D’autant que, même si la dénomination des cadres officiels (« Partenariat stratégique Afrique-UE », « Stratégie conjointe Afrique-UE », « Forum des affaires UE-Afrique », etc.) reste inchangée, celle du sommet a été exceptionnellement modifiée à la mi-septembre, à la demande d’Alger, pour devenir « Sommet Union africaine-Union européenne ». Une astuce qui permettrait aux parrains de la RASD d’y faire entrer leur protégée en tant que membre de l’UA, coupant ainsi la route à toute protestation marocaine…
L’UE a désigné un ambassadeur chef de sa délégation auprès de l’UA à Addis-Abeba, cette dernière n’a toujours pas nommé de représentation équivalente à Bruxelles
Le « sommet UA-UE »
Depuis son lancement, en 2000, au Caire, ce sommet s’est toujours tenu sous l’appellation « UE-Afrique » ou « Afrique-UE », soulignent les diplomates marocains, qui ajoutent que son format ne pourra changer qu’après l’entrée en vigueur de la réforme de l’UA, qui a fixé la liste de ses représentants dans les réunions internationales. Alors que, depuis 2008, l’UE a désigné un ambassadeur chef de sa délégation auprès de l’UA à Addis-Abeba, cette dernière n’a toujours pas nommé de représentation équivalente à Bruxelles.
Au lieu de laisser cinquante-cinq membres face à un seul partenaire – « ce qui est quand même humiliant », dixit un habitué des sommets et réunions de travail de haut niveau –, cette réforme préconise que ladite UA soit représentée par ses principales instances : président de la Commission africaine, présidents des Communautés économiques régionales, et membres de la troïka constituée par le pays ayant présidé l’UA, celui actuellement en exercice et celui qui doit lui succéder.
Dans le « sommet UA-UE » d’Abidjan, c’est la Côte d’Ivoire, pays hôte, qui se trouve prise entre le marteau marocain et l’enclume algérienne. Certes, la décision d’accueillir le Polisario n’a pas encore été confirmée, mais les Marocains préviennent déjà qu’ils passeront à l’attaque si jamais leur ennemi « ose pointer son nez ».
L’adhésion prochaine du Maroc à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao)
Le Maroc dans la Cedeao
Cette chasse à la RASD n’est pourtant pas une fin en soi dans la politique africaine de Rabat. Car s’il y a bien un sujet qui mobilise les cercles diplomatiques du royaume, c’est l’adhésion prochaine du Maroc à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Celle-ci devrait être entérinée lors du prochain sommet de la Communauté, prévu le 16 décembre à Lomé – pour le moment maintenu malgré les tensions au Togo. Elle constitue le premier jalon d’une vaste intégration Sud-Sud, dont le Maroc et le Nigeria seront les piliers.
Liés par un projet de gazoduc qui longera toute la côte ouest-africaine (les études de faisabilité ont été lancées) et par un investissement croisé dans la filière des phosphates, les deux pays, pourtant opposés sur le Sahara, ont inauguré des relations plus pragmatiques. Business is business. Les Nigérians savent que l’entrée du Maroc au sein de la Cedeao (dont le siège est à Abuja) donnera plus de poids à cette communauté régionale.
Les entreprises marocaines
Plus réalistes, les Marocains répètent à l’envi que leurs entreprises, qui ont établi des réseaux solides à travers le continent, ne feront pas de prédation. Histoire de calmer d’éventuelles résistances de la part de pays économiquement faibles. « Le processus de démantèlement tarifaire se fera d’une manière progressive, comme ce que le Maroc a vécu dans son accord d’association avec l’Union européenne », explique un officiel marocain.
En clair, il y aura une période transitoire qui respectera la capacité et l’intérêt de chaque pays membre. « Ce sera un mariage sans divorce et sans Brexit », a d’ailleurs déclaré le président de la commission de la Cedeao, Marcel de Souza. Pour le meilleur et pour le pire.
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