Mines : pourquoi le canadien Kinross parie à nouveau sur la Mauritanie
Après avoir renoué le dialogue avec Nouakchott, le géant minier investit dans de nouvelles installations sur le site de Tasiast pour baisser ses coûts. Et quadrupler sa production d’or à l’horizon 2020.
Avant d’annoncer, le 18 septembre dernier, un investissement de 590 millions de dollars (environ 500 millions d’euros) pour étendre l’exploitation de la mine de Tasiast, située à 300 km au nord de Nouakchott, en plein désert, le canadien Kinross, cinquième producteur mondial d’or, a pris son temps.
Sept ans se sont écoulés depuis le rachat, pour 7,1 milliards de dollars, de son compatriote Red Back Mining, propriétaire de ce gisement dont les réserves représentent plus de 8 millions d’onces d’or (environ 230 tonnes), et dont la production en 2016 s’est élevée à 175 176 onces.
Enquête et corruption
Durant cette période, le groupe minier a fait face à une vague de polémiques qui ont entamé ses bonnes relations avec Nouakchott. D’abord, il y a eu des rumeurs récurrentes, mais jamais prouvées, d’empoisonnement au cyanure du rare bétail avoisinant le site.
Puis, le gendarme de la Bourse américaine, l’US Securities and Exchange Commission (SEC), a lancé en 2014 une enquête, toujours en cours, pour corruption, sur la base d’accusations également relayées par l’ONG française Sherpa.
Salariés expatriés
Enfin, Nouakchott a reproché aux dirigeants de Kinross d’utiliser trop d’expatriés (autour de 10 % actuellement) au détriment des Mauritaniens. Parmi les 1 200 salariés de Kinross sur la base vie, 117 sont expatriés, mais la proportion serait plus importante chez les 3 300 sous-traitants.
Les autorités désapprouvaient en outre l’installation à Las Palmas, aux îles Canaries, plutôt que dans la capitale mauritanienne, d’une partie de la direction chargée de la mine de Tasiast. En 2016, une grève, liée à une réduction d’effectif et à une baisse des avantages sociaux, avait également défrayé la chronique.
Exploitations onéreuses
Pour Kinross, aussi actif au Ghana, en Russie, aux États-Unis et en Amérique du Sud, il était urgent de repartir d’un bon pied à Tasiast. Car, sans investissement complémentaire dans des installations industrielles de transformation, sa mine mauritanienne serait restée dans son portefeuille celle dont le coût de production brut est le plus élevé : en 2016, l’once d’or lui revenait à 1 061 dollars à Tasiast contre 691 dollars dans sa mine ghanéenne de Chirano (elle aussi héritée du rachat de Red Back Mining).
Un coût jugé insupportable avec un cours descendu à 1 049 dollars l’once à la mi-2016, même s’il est remonté aujourd’hui à 1 303 dollars. Le plan d’investissement pour l’extension de la mine doit permettre d’abaisser le coût de production brut de l’once à 530 dollars entre 2020 et 2029.
Apaisements
Pour renouer avec les autorités mauritaniennes, Paul Rollinson, le PDG du groupe, basé à Toronto, et Michel Sylvestre, le directeur régional Afrique, installé à Las Palmas, ont répondu à chacune de leurs attentes.
L’extension du chantier nous permettra d’atteindre 30 000 t de capacité de traitement », explique Guy Bourassa
Un accord de « mauritanisation » des effectifs a été signé le 27 juillet 2016, prévoyant le transfert de 80 % des postes d’encadrement à des Mauritaniens d’ici à 2020. Fin 2016, les cadres de Las Palmas qui travaillaient sur les projets de Tasiast – une vingtaine de personnes – ont déménagé à Nouakchott sous la houlette de Jean Félix-Paganon, ancien ambassadeur de France en Afrique du Sud, en Égypte et au Sénégal, nommé pendant six mois à la tête de la filiale locale.
Assainir les relations
Après une période de chasse aux coûts tous azimuts menée par l’Écossais Raitt Marshall, directeur général du site de Tasiast de 2015 à 2017, ce dernier, parti à la retraite, a été remplacé en juillet par le Français Daniel Marini, venu d’Eramet.
Plus diplomate et fin connaisseur de la région – il travaillait précédemment au Sénégal – le nouveau DG s’est empressé d’aplanir les dernières difficultés avec le ministère des Mines, et s’attelle désormais à la création d’une chambre des mines afin de mieux coordonner les interactions entre les compagnies extractives et le gouvernement.
Multiplier les capacités de traitement
Rassuré par l’amélioration de ses relations avec les autorités mauritaniennes, Kinross a lancé il y a un an la première phase du chantier d’extension de la mine avec près de 1 000 ouvriers et ingénieurs impliqués, pilotés par Guy Bourassa, le patron des projets de Kinross.
« Notre capacité de traitement du minerai va passer de 8 500 t actuellement, avec les installations héritées de Red Back Mining, à 12 000 t en février 2018 », se félicite-t-il, désignant le gigantesque moulin-broyeur de 12 m de diamètre en cours d’assemblage, en surplomb de l’installation industrielle.
Tasiast pourrait à terme dépasser Kibali, l’autre mégagisement d’or en exploitation sur le continent
Il va transformer une plus grande quantité de minerai en résidus prêts à subir les différentes étapes de lixiviation, le procédé chimique qui permet de séparer l’or du minerai. « Avec la phase 2 de l’extension du chantier qui s’étendra d’avril 2018 à la fin de 2020, nous installerons une nouvelle ligne de broyage et de lixiviation, ce qui nous permettra d’atteindre 30 000 t de capacité de traitement », explique encore Guy Bourassa.
Réduire les pertes
Actuellement, Kinross accélère l’extraction de minerai pour pouvoir approvisionner les futures installations de transformation. « Au début de l’exploitation, le taux de découvrement de minerai stérile avant de parvenir au minerai riche en or – de un à trois grammes par tonne – était important. Nous devions enlever 16 t stériles pour 1 t de minerai aurifère. Mais désormais nous sommes à 8 t stériles pour 1 t, ce qui augmente notre productivité », indique l’ingénieur des Mines Mohamed Elmany, face à la fosse ouest, profonde de plus d’une centaine de mètres.
Actuellement, cette dernière fournit 90 % du minerai traité, grâce au ballet quotidien entre la mine et l’usine des 48 camions de 220 t. à l’épuisement du gisement de cette fosse, d’autres seront creusées sur un permis de 320 km2.
Nouvelles explorations
« Tasiast est un gisement de classe mondiale, son potentiel est inégalé dans la région. Nous nous devions d’investir », se réjouit Michel Sylvestre. Le groupe canadien, qui a réalisé 3,47 milliards de dollars de revenus en 2016 et produit 2,8 millions d’onces, est en revanche peu intéressé par d’autres opportunités en Afrique de l’Ouest, où ses concurrents disposent souvent de plusieurs mines, mais de taille plus modeste.
Le groupe de Toronto préfère se concentrer sur la Mauritanie parallèlement à l’exploitation de sa mine ghanéenne de Chirano qui arrivera en fin de vie en 2020. « Nous pensons que nous pouvons mettre au jour de nouvelles réserves d’or en Mauritanie. C’est pourquoi nous menons des activités d’exploration à proximité de Tasiast », précise Michel Sylvestre.
Doper la rentabilité
Avec les réserves déjà prouvées, le groupe estime pouvoir produire 812 000 onces par an à Tasiast de 2020 à 2024, puis 457 000 onces de 2024 à 2029. En cas d’autres découvertes, il pourra allonger sa durée de vie, et donc diminuer encore ses coûts et doper sa rentabilité.
Si la mine de Tasiast tient ses promesses, elle pourrait à terme dépasser l’autre mégagisement d’or en exploitation sur le continent, celui de Kibali, mené par Randgold en RD Congo, qui a produit 585 000 onces d’or en 2016 et prévoit de dépasser les 750 000 onces dès 2018.
Daniel Marini aux manettes
Ce pur produit maison du groupe minier français Eramet, qui a fait une bonne partie de sa carrière en Nouvelle-Calédonie, dirigeait jusqu’en juin le projet de Grande Côte, au Sénégal, une opération d’extraction d’ilménite et de zircon. Déjà passé par le Sénégal mais aussi le Gabon (pour la Comilog) et le Cameroun (à la Banque mondiale), ce chaleureux Corse de 59 ans, docteur en géologie, nommé par Kinross directeur pays et directeur général de Tasiast en juillet, doit diriger le site industriel et minier, et également rétablir des relations sereines tant avec les autorités qu’avec les employés.
Bientôt la fin de la mine de Chirano
À moins d’une improbable nouvelle découverte de gisement, la mine de Kinross Gold à Chirano, à 100 km à l’ouest de Kumasi, dans le sud-ouest du Ghana, qui a produit 212 000 onces en 2016, fondra son dernier lingot d’or en 2020.
À cette date, le site mauritanien de Tasiast devrait être en mesure de prendre la relève grâce aux projets d’expansion en cours. Kinross a d’ailleurs fait appel à des cadres et à des techniciens ghanéens de Chirano pour l’aider à démarrer ses activités en Mauritanie.
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