Médias : « A Nasty Boy », le magazine nigérian qui interroge les genres

En février 2017, le Nigérian Richard Akuson lance A Nasty Boy, un magazine en ligne qu’il souhaite décliner en version papier et dans lequel il questionne la masculinité au Nigeria.

 © tema iwar/a nasty boy

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KATIA TOURE_perso

Publié le 26 octobre 2017 Lecture : 4 minutes.

Julile I Parktown, Johannesburg, 2016 © Zanele muholi, courtesy of Stevenson and Yancey Richardson
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C’est l’histoire d’un jeune homme de 23 ans, qui, en parallèle de ses études de droit à la Nigerian Law School de Lagos, cultive un goût prononcé pour la mode et se préoccupe des questions de société au Nigeria. Si bien qu’en attendant de passer l’examen du barreau, en novembre prochain, Richard Akuson a lancé, en février 2017, son propre webzine : A Nasty Boy.

Le propos : « Amorcer le dialogue sur les normes sexuelles dans un pays où le climat politique et les traditions culturelles contraignent au silence. » Une résolution née un jour où il se promenait dans les rues d’Abuja, en mini-short moulant, et que les insultes des passants fusaient tous azimuts.

 Nous ne sommes pas obligés d’être puissants, insensibles ou riches parce que nous sommes des hommes » déclare Richard Akuson

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C’est que le jeune homme aime à jouer avec la controverse : « Dès lors, je me suis mis en tête d’imaginer une plateforme créative qui permettrait aux hommes nigérians d’être qui ils veulent sans crainte d’être jugés. Nous ne sommes pas obligés d’être puissants, insensibles ou riches parce que nous sommes des hommes. »

Clichés provocateurs

A Nasty Boy, publication au design épuré et à la direction artistique soignée, porte sur la mode, la culture, la société, l’actualité des créateurs du Nigeria et d’ailleurs. Mais, surtout, le média questionne la masculinité sans prendre de gants et « transgresse les genres ».

Ainsi défilent de superbes clichés, ô combien provocateurs, d’éphèbes maquillés, affublés de robes ou de jupes, avec paillettes sur le corps et coiffures sophistiquées. Le webzine consacre notamment « Velvet Revolution », une surprenante série photographique du Sud-Africain Tutu Zondo sur les queers.

Au Nigeria, l’homosexualité est passible de dix années de prison

On trouve aussi des récits visuels comme « Not Just A Boy », avec des hommes nigérians androgynes lourdement fardés, coiffés de perruques et les ongles vernis.

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Cela dit, A Nasty Boy est loin d’être un magazine gay, prévient son rédacteur en chef. Au Nigeria, l’homosexualité est d’ailleurs passible de dix années de prison, entre autres sanctions.

« Je voulais que ce magazine parle aux gays, aux transgenres, aux hétérosexuels, soit à tous ceux qui s’interrogent sur leur identité. Et le genre est une part essentielle de l’identité », explique Richard Akuson avant d’ajouter qu’il reste conscient du danger que représente une telle ligne éditoriale au Nigeria.

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« Vilain garçon »

« A Nasty Boy se fiche des étiquettes, et c’est sans doute en cela qu’il prête à la controverse. Gay, féministe, créatif, tendance… Tout cela fait partie de la réalité de notre pays comme de celle du monde globalisé auquel on appartient. »

Je me suis toujours intéressé au regard des femmes sur notre société », raconte Richard Akuson

C’est aussi pour montrer le caractère peu conventionnel de son magazine qu’Akuson a opté pour le titre « nasty boy », que l’on pourrait traduire par « vilain garçon ». « Je voulais un nom qui désarme le lecteur. Au Nigeria, on utilise le terme “nasty” pour désigner quelque chose que l’on désapprouve. J’ai pris les devants et me suis approprié ce qualificatif avant nos éventuels détracteurs. »

Né à Nassarawa, ce futur avocat a fait ses premières armes dans la presse de mode, dès 2015, en prêtant sa plume à l’édition sud-africaine de Marie-Claire et à Cosmopolitan Nigeria. Il officie aussi comme rédacteur de mode pour le magazine people nigérian très apprécié Bella Naija.

« J’avais une véritable passion pour l’écriture, et mes sujets de prédilection concernaient la mode et le féminisme. Je me suis toujours intéressé au regard des femmes sur notre société. Je n’ai jamais compris pourquoi elles étaient souvent considérées comme des personnes inférieures, reléguées dans des cases invisibles dont elles ne sortent que pour être au service des hommes. » D’ailleurs, A Nasty Boy évoque aussi le féminisme et le « girl power » à travers les portraits de jeunes artistes…

Féminisme

En 2016, « Richie » est las de ne pouvoir explorer ses propres tropismes. Il fonde d’abord une agence de communication, The PR Boy, et dispense ses services à des designers de mode et de grandes marques. Parmi ses clients, la prestigieuse institution du cinéma africain Africa Movie Academy Awards (Amaa), le fabricant suisse de montres de luxe TAG Heuer – qui a ouvert une boutique à Abuja – et Style Temple, une célèbre marque nigériane de prêt-à-­porter féminin.

 © tema iwar/a nasty boy

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C’est grâce aux revenus de son agence qu’il parvient à s’entourer d’une véritable équipe, même s’il admet que la rémunération des mannequins et des photographes relève parfois d’un échange de bons procédés. À ses côtés, dans un espace de la capitale africaine de la mode qu’est Lagos, travaillent deux contributeurs et un rédacteur permanent. Également trois stagiaires, basés aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Aujourd’hui, A Nasty Boy se voit adoubé par moult médias internationaux et galvanisé par sa notoriété croissante au-delà du Nigeria. Dès lors, Richard Akuson a lancé une campagne de crowdfunding sur la plateforme Kickstarter pour le lancement d’une version papier de son magazine.

Objectif : obtenir la somme de 25 000 dollars (environ 21 000 euros) avant la fin de novembre 2017. « A Nasty Boy est destiné à une diffusion internationale. Plusieurs universités nous ont déjà fait part de leur intérêt. Nous recevons des messages d’Afrique du Sud, des États-Unis, de France et du Royaume-Uni. » Voilà qui promet !

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