Audiovisuel : la société de distribution et de production Côte Ouest change de cap

Face à une concurrence croissante, le leader de la distribution de contenus dans les pays subsahariens, Côte Ouest, a décidé de revoir sa stratégie en profondeur. Son nouveau maître mot : la diversification.

Les Bododiouf, série burkinabè créée en 2000, est déjà culte en Afrique francophone. © DR

Les Bododiouf, série burkinabè créée en 2000, est déjà culte en Afrique francophone. © DR

Julien_Clemencot

Publié le 17 novembre 2017 Lecture : 5 minutes.

Depuis les bureaux abidjanais de sa société de distribution et de production Côte Ouest, Bernard Azria a une vue imprenable sur le quartier général de Vivendi dans la capitale économique ivoirienne. Canal+, l’un de ses anciens meilleurs clients, y occupe deux étages. Ironie de l’histoire, depuis que le groupe présidé par Vincent Bolloré a fait du continent un objectif majeur, il y a environ quatre ans, en lançant la chaîne A+, dévolue aux contenus africains, le patron franco-tunisien a compris qu’il devait accélérer la mutation de son modèle économique.

Bernard Azria n’aime pas en parler, mais Canal+ ne l’a pas ménagé. Nombre de producteurs qui lui vendaient leurs programmes ont été directement approchés par le groupe français et incités à se passer de ses services. L’homme d’affaires avait pourtant mis tout en œuvre pour être le grand bénéficiaire du renouveau de l’audiovisuel au sud du Sahara en constituant en une décennie le plus important catalogue de fictions en Afrique francophone, avec 18 000 heures de programmes.

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Productions locales

Avant tout le monde, et après avoir inondé pendant des années les chaînes publiques de série américaines, puis de telenovela brésiliennes, il a compris le potentiel des productions locales. « Il était seul et donc incontournable pour entrer en contact avec les diffuseurs », reconnaît le producteur camerounais Jean-Hubert Nankam.

C’est à lui que l’on doit la découverte dans les pays francophones de la série sud-africaine Jacob Cross, la saga d’un héritier sur fond d’intrigue politique, d’affairisme et de guerre des clans. C’est lui, toujours, qui est allé dénicher la telenovela angolaise Windeck, série explorant l’univers de la mode qu’il vendra un peu partout sur le continent, ainsi qu’en Amérique et en France.

Fin des intermédiaires

Mais aujourd’hui l’activisme des groupes audiovisuels, qui cherchent à éliminer les intermédiaires, fragilise sa position. Après Canal+, Lagardère Studios s’est rapproché en 2015 des producteurs en devenant actionnaire majoritaire de la société de distribution Diffa, créée par le français Alain Modot et Jean-Hubert Nankam. « De plus en plus de chaînes en Côte d’Ivoire et au Cameroun proposent désormais des contrats de distribution aux producteurs », plaide ce dernier.

 Ce sont les opérateurs qui vont écrire la musique sur laquelle on va danser

À cela vient s’ajouter l’attentisme de certains de ses clients, qui ont gelé une partie de leurs investissements le temps de mieux évaluer les risques nés de l’arrivée des plateformes vidéo comme l’américain Netflix, qui compte déjà plus d’un million d’abonnés africains, ou du malaisien Iflix, lancé au Kenya et au Ghana. Depuis deux ans, le chiffre d’affaires de Côte Ouest a fléchi, autour de 15 millions d’euros pour une centaine de salariés.

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Un paradoxe, au moment où l’émergence de l’internet très haut débit décuple les besoins en contenus. « 70 % de l’utilisation des données provient de la consommation de vidéo sur le Net. Ce sont les opérateurs qui vont écrire la musique sur laquelle on va danser, même si pour le moment leur stratégie n’est pas établie », estime l’homme d’affaires. Cerise sur le gâteau pour les distributeurs, la TNT, promise en Côte d’Ivoire pour 2018, va elle aussi entraîner une nouvelle demande de contenus.

Face à la concurrence de groupes qu’il perçoit comme des rouleaux compresseurs, l’entrepreneur a repensé sa stratégie de fond en comble. « Pour survivre, il faut s’adapter, faire preuve d’agilité, car personne ne sait où sera la valeur ajoutée », analyse-t-il. Fini le modèle de simple distributeur, Côte Ouest ambitionne d’être présent à la fois dans la production, la distribution, le packaging et la diffusion.

J’attends mon chevalier blanc, de préférence africain, mais je sais que les investisseurs ont encore du mal à lire la manière dont notre industrie va évoluer

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La vente de programmes reste son activité numéro un. Chaque année, il participe à plus d’une quinzaine de salons comme le Mipcom de Cannes ou le Discop de Johannesburg pour présenter son catalogue. Mais, plus que jamais, le fondateur de Côte Ouest sait qu’il a besoin de programmes de qualité pour attirer l’attention des acheteurs.

Actuellement, il mise beaucoup sur la série The Nairobians, une coproduction sud-africaine et kényane qui met en scène l’ascension d’un jeune au sein d’une organisation mafieuse. Pour être le premier à trouver les nouvelles pépites, Côte Ouest paie des pigistes qui scrutent les marchés et possède une équipe d’acheteurs. « La création fait partie de la contre-offensive, il faut capter les meilleures idées », martèle-t-il.

 Production

Depuis 2014, Côte Ouest s’est aussi lancé dans la production. L’objectif de Bernard Azria est de cofinancer un ou deux projets par an, à l’image de la deuxième saison de la série burkinabè Les Bobodiouf, diffusée cette année sur TV5 Afrique. La société mise également sur le développement de formats humoristiques courts, très appréciés sur les réseaux sociaux. Bernard Azria a créé en 2015 le studio CO2 qu’il définit comme un incubateur de talents taillé pour faire émerger de nouveaux créateurs parmi les blogueurs et les youtubeurs.

Pour tirer parti de la multiplication des canaux de diffusion, Côte Ouest entend en outre éditer des chaînes à bas coût. Cela revient selon lui à adapter le modèle du prêt-à-porter à l’audiovisuel. Depuis l’an dernier, la société a créé la chaîne Nina, en anglais sur les bouquets de MultiChoice et en français sur celui de StarTimes, pour valoriser son catalogue de telenovela et son partenariat avec le groupe brésilien Globo.

En 2018, il pourrait utiliser les créations issues du studio CO2 pour alimenter une chaîne YouTube. Les plateformes VOD sont aussi dans son viseur. « On peut leur proposer des corners, un onglet à partir duquel leurs abonnés auraient accès à des contenus thématisés », explique l’homme d’affaires. Loin d’être à court d’idées, Bernard Azria imagine également la possibilité de créer une chaîne pour le compte de groupes privés ou de personnalités. « Les charges opérationnelles d’une chaîne à bas coût représentent environ 25 000 euros par mois », avance l’entrepreneur.

Dans un secteur en complète mutation, Bernard Azria sait qu’il lui faudra faire preuve de beaucoup de créativité pour ne pas disparaître. « Avant je n’étais pas mûr pour ouvrir mon capital. J’ai évolué. J’attends mon chevalier blanc, de préférence africain, mais je sais que les investisseurs ont encore du mal à lire la manière dont notre industrie va évoluer », reconnaît, fataliste, le directeur général.

Pionnier du secteur

Patron d’agences de pub dans les années 1990, Bernard Azria est arrivé dans l’audiovisuel par opportunisme. Afin d’offrir un rendez-vous populaire à ses annonceurs, il propose les séries américaines aux chaînes publiques subsahariennes qui, incapables de payer, lui offrent le droit de commercialiser les espaces publicitaires prévus pendant leur diffusion. L’affaire est tellement rentable qu’il continue après la vente de ses agences et crée Côte Ouest en 1997

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