Mauritanie : Aziz en position de force
Affaibli par le très modeste taux de participation au référendum constitutionnel du 5 août, qui s’est pourtant soldé par une victoire du oui, le président Mohamed Ould Abdelaziz n’en demeure pas moins maître du jeu face à une opposition divisée.
Mauritanie : l’avenir en pointillé
Croissance et grands chantiers sont de retour. Après le référendum constitutionnel, les réformes s’engagent. Pourtant Pourtant, à un an des législatives, ultime test avant la présidentielle de 2019, l’horizon est incertain.
Le 12 mai, le sénateur Mohamed Ould Ghadda, membre de la majorité mais opposé au référendum constitutionnel et à la suppression du Sénat, causait le décès de deux personnes lors d’un accident sur la route de Rosso. Il est condamné à six mois de prison avec sursis pour homicide involontaire en juillet. Ses téléphones, saisis lors de son arrestation, sont analysés par la gendarmerie.
Selon des fuites en provenance des autorités, leur contenu mettrait en lumière une conspiration pour faire échouer le scrutin référendaire, discréditer le pouvoir et provoquer des manifestations. Le cerveau présumé de ce complot, toujours selon le régime mauritanien : l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, en exil volontaire à Marrakech depuis 2010. Celui-ci est l’ennemi du président, qu’il accuse de despotisme et de détournement de fonds.
En août, le sénateur Ould Ghadda est à nouveau incarcéré, cette fois pour corruption. Un mandat d’arrêt est lancé contre Bouamatou et son bras droit, Mohamed Ould Debbagh. Douze sénateurs, quatre journalistes et deux syndicalistes sont placés sous contrôle judiciaire. L’opposition dénonce des procédures destinées à la museler. Elle y voit la dérive autoritaire d’un président qui se préparerait à se succéder à lui-même, contrairement à ce que prévoit la Constitution. La guerre entre Bouamatou et Aziz, jadis proches, est déclarée. Elle s’annonce d’une violence extrême. Si Mohamed Ould Bouamatou avait pour objectif de déloger son cousin du pouvoir ou, à tout le moins, de lui en compliquer l’exercice, c’est raté.
Sous surveillance
De fait, l’opposition mauritanienne est en miettes. Sa politique de boycott systématique des scrutins l’a marginalisée. L’un de ses chefs historiques, Ahmed Ould Daddah, président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), aura 75 ans en décembre et ne pourra plus être candidat à la magistrature suprême. L’ancien président Ely Ould Mohamed Vall, qui aurait pu fédérer autour de son nom, est mort début mai.
La pression judiciaire sur Ould Ghadda comme sur les personnes placées sous contrôle judiciaire doit être maintenue pour empêcher d’autres potentiels mécènes de financer l’opposition
Et on voit mal les partis d’opposition réunis au sein du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) s’entendre sur un programme plus consistant que leur envie farouche de faire partir le chef de l’État ou sur le nom d’un candidat commun à la présidentielle. Encore moins au sein du « G8 », regroupement encore plus vaste au sein duquel coexistent des ennemis : l’IRA et les islamistes de Tawassoul.
Enfin, l’opposition ne peut plus compter sur la générosité de Bouamatou, dont les canaux de financement sont fermés depuis la mise sous surveillance de ses entreprises mauritaniennes. Or, comme l’explique un responsable de l’opposition : « Nous pouvons remporter Nouakchott et Nouadhibou sans argent, mais il en faut beaucoup pour gagner à l’intérieur, et nous n’en avons pas. »
Que va faire le chef de l’État de la relative position de force dans laquelle il se trouve désormais ? La pression judiciaire sur le sénateur Ould Ghadda comme sur les personnes placées sous contrôle judiciaire devrait être maintenue afin de dissuader d’autres potentiels mécènes de financer l’opposition. Cette menace latente convaincra aussi les membres de la majorité de ne pas tenter une rébellion, comme celle à laquelle se sont risqués certains sénateurs, et de rester unis derrière le président, bien que celui-ci fasse moins peur à ses troupes depuis qu’il a juré qu’il ne se présenterait pas pour un troisième mandat.
Flambeau
Ce maniement du bâton est délicat, car il ne faut pas irriter la communauté internationale. On peut voir dans le refus d’incarcérer la totalité des comploteurs supposés et leur placement sous simple contrôle judiciaire une tentative de rassurer sur l’État de droit en Mauritanie. On frappe, mais avec mesure… Ainsi ressoudée (et financée), la majorité serait en bonne posture pour aller aux élections régionales, municipales et, surtout, législatives, prévues en octobre-novembre 2018.
Restera à mener à bien deux chantiers majeurs. Le premier est domestique, puisqu’il faut réussir la décentralisation régionale adoptée via le référendum du 5 août (lire ci-contre), dont le pays a grand besoin pour associer les populations à la gestion de leur quotidien.
Le second, c’est la participation à une force combattante du G5 Sahel pour venir à bout, au niveau régional, du terrorisme, que la Mauritanie a pour l’instant dompté sur son territoire. Le président Mohamed Ould Abdelaziz est sur la même longueur d’onde que son homologue français Emmanuel Macron : il faut au préalable que tous les pays effectuent leur travail sécuritaire, notamment le Mali, qui sait où se trouvent les jihadistes mais les combat mollement.
Ensuite, pas question d’envoyer des soldats mauritaniens hors des frontières s’il n’y a pas de budgets adéquats. « Si nous y allons, ce ne sera pas pour adopter une posture défensive comme la Minusma au Mali, qui se contente d’encaisser les coups derrière ses fortifications, mais pour écraser l’ennemi, explique un ministre. Et, pour cela, il nous faut des moyens supplémentaires. »
Quand ces deux chantiers seront en bonne voie, en 2019, Mohamed Ould Abdelaziz est censé passer le flambeau à son dauphin. Sait-il lui-même qui il choisira pour lui succéder ? Rien n’est moins sûr.
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