Bancarisation : « la rentabilité ne se mesure pas à court terme »
En innovant dans leur distribution, les établissements bancaires touchent des populations jusque-là non bancarisées. Mais se pose la question du coût d’acquisition de cette nouvelle clientèle.
Avec 277 millions de comptes de mobile money et un taux de bancarisation moyen passé sur le continent, en dix ans, de 5,7 % à 15,7 %, les lignes bougent. La conquête du grand public reste néanmoins une nécessité brûlante pour les banques, comme l’ont souligné les cinq personnalités des secteurs de la finance et des télécoms conviées le 26 octobre sur l’estrade de la deuxième Conférence Jeune Afrique, dans les locaux parisiens du cabinet Orrick. Dans certains pays, moins de 6 % de la population possède un compte courant. D’où cette question légitime : les banquiers n’en auraient-ils pas assez fait ?
« Les évolutions de ces dernières années n’ont pas été suffisantes », assume Boubker Jaï, DG du numéro un marocain Attijariwafa Bank. « Il y avait un manque d’appétit pour ces segments les plus populaires, les banques préféraient s’adresser aux grandes entreprises, aux États », reconnaît Célestin Mukeba Muntuabu, DG de la banque ProCredit (RDC), filiale du kenyan Equity Bank. Pour nuancer les propos de son homologue marocain, le Congolais rappelle cependant que des efforts ont été accomplis.
Services bancaires atypiques
C’est en direction du marché de masse et des petites entreprises qu’a été lancé son établissement, il y a dix ans. « Jusqu’à cette époque, il fallait disposer de 5 000 à 10 000 dollars pour ouvrir un compte. On a levé ces verrous, il n’y a plus de dépôt minimum, de frais d’ouverture. » Et ça a payé. « En deux ans, on est passés de 100 000 à 5 millions de comptes bancaires dans le pays, on a gagné 50 % de parts de marché », précise-t-il.
Au départ dévolu au transfert d’argent, Wafacash (plus de 1 600 points de vente au Maroc, présent depuis un an et demi dans 300 points relais au Sénégal), filiale d’Attijariwafa, a fait évoluer sa clientèle vers des produits plus sophistiqués. « On a développé des offres pour que notre clientèle ne retire pas toutes les sommes qu’elle reçoit, ce qui constitue pour elle une certaine forme d’épargne, puis on a ajouté de l’assurance dans les porte-monnaie électroniques. »
Pour élargir leur clientèle, la Société générale ainsi que ProCredit Bank proposent des services bancaires hors des réseaux d’agences traditionnelles, par exemple au sein des stations Total. « On partage avec les commerçants les coûts de distribution, et ils sont commissionnés sur le montant des transactions », explique Ahmed El Yacoubi, directeur régional Afrique de l’Ouest de la Société générale, qui a lancé la banque mobile Yup en septembre en Côte d’Ivoire et au Sénégal.
Le recrutement de nouveaux clients à plus faibles revenus pose la question de la rentabilité de ces offres
Mais ces nouveaux canaux induisent la gestion de davantage de cash, dont le coût est exorbitant. « Notre but est de réduire sa circulation », indique Boubker Jaï. « Si la bancarisation revêt un enjeu social, l’objectif est aussi de collecter et de mobiliser les ressources pour financer l’économie », soulève Ahmed El Yacoubi.
Stock de clientèle
Reste que le recrutement de nouveaux clients à plus faibles revenus pose la question de la rentabilité de ces offres. « Qu’il s’agisse de l’ouverture de services numériques ou d’une agence physique, la rentabilité ne se mesure pas à court terme », souligne Binta Touré Ndoye, DG d’Oragroup.
« Tout est une question de volume, insiste Bruno Mettling, directeur Afrique et Moyen-Orient d’Orange. Il faut deux à trois ans à nos services financiers pour créer un stock de clientèle. Les niveaux de rentabilité sont ensuite très élevés », assure-t-il. Mais bien qu’Orange Bank ait été lancé ces jours-ci en France, le dirigeant se défend de vouloir devenir banquier en Afrique. Il mise plutôt sur des partenariats avec de grands groupes. Du côté des banques, on reconnaît l’intérêt du portefeuille d’abonnés des opérateurs, à condition de pouvoir bien évaluer le risque financier induit par cette clientèle d’un nouveau genre.
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