À Berlin, Seyran veut devenir la première imame avec un « e »
Apôtre d’un islam libéral, une avocate d’origine turque a ouvert à Berlin une mosquée où femmes et hommes prient côte à côte.
Quand elle arrive pour l’entrevue, Seyran Ates est encore bouleversée. La veille, des médias turcs ont lancé ce qu’elle appelle des « fake news » concernant la mosquée qu’elle vient d’inaugurer dans le nord de Berlin. « Ils ont dit que nous mettions le Coran à même le sol, que nous ne priions pas dans la direction de La Mecque et que nous étions des soutiens de Fethullah Gülen* », enrage-t‑elle.
Ce qui choque le plus les musulmans conservateurs ? Dans cette mosquée féministe et progressiste placée sous le double parrainage d’Ibn Rushd (Averroès) et de Goethe, hommes et femmes peuvent prier côte à côte. Ces dernières ne sont pas obligées de porter le voile et les homosexuels sont les bienvenus. Et, pour faire bonne mesure, toutes les obédiences de l’islam sont autorisées : sunnisme, chiisme, alévisme, soufisme. « À l’exception de celles qui portent burqa ou niqab, tout le monde est accepté ici », sourit Seyran.
Cartes postales
Sur les réseaux sociaux, les menaces – de mort, parfois – se multiplient. Mais Seyran, escortée en permanence par deux policiers, reste stoïque. « Ils espèrent nous contraindre à fermer, mais ils se trompent. Les messages d’encouragement que nous recevons nous incitent à continuer. » Elle montre une table sur laquelle s’entassent des cartes postales venues du monde entier. « Merci de donner à la communauté LGBT [lesbiennes, gays, bi et trans] un endroit où nous pouvons enfin être nous-mêmes », dit l’une d’elles.
Trouver une salle de prière qui lui corresponde, c’est exactement ce qui pousse Seyran Ates à se battre depuis dix ans. Née en 1963 à Istanbul, elle rejoint ses parents à Berlin à l’âge de 6 ans. Bonne élève mais adolescente rebelle, elle fugue, vit dans des squats, a des amants… Tout le contraire de l’éducation très stricte et conservatrice qu’elle a reçue.
Beaucoup ont peur et attendent que l’intérêt médiatique diminue et que les menaces se calment
Féministe, elle devient avocate spécialisée dans le droit des femmes, la lutte contre les mariages forcés et les violences conjugales. En 1984, lors d’une consultation, un père de famille lié à l’extrême droite turque tire à trois reprises sur la jeune avocate et sa cliente. Cette dernière ne survivra pas. « Depuis, j’ai appris à vivre avec la peur, explique-t‑elle. Cette terrible expérience a renforcé ma spiritualité. »
Égaux
Mais la fréquentation des lieux de culte musulmans de Berlin lui pose problème. « La non-mixité me gênait, dit-elle. Je pense qu’elle n’a pas de fondement et que Dieu nous a créés égaux. » Pour l’heure, sa mosquée, financée par des dons privés, est hébergée dans l’annexe d’une église évangélique.
Mais les fidèles ne se bousculent pas au portillon. Beaucoup ont peur et attendent que l’intérêt médiatique diminue et que les menaces se calment. « Ce sera mon dernier combat politique », jure-t‑elle. Le prochain sera théologique : Seyran Ates envisage de prendre des cours de théologie pour devenir la première imame d’Allemagne.
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