RDC : une Histoire Belge

Politique, diplomatie, business, réseaux parallèles… Les relations entre le royaume et son ancienne colonie sont tumultueuses. Radioscopie du petit milieu de la Belgafrique.

 © Antoine Moreau Dusault pour JA

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Publié le 16 novembre 2017 Lecture : 8 minutes.

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Belgique – RDC : que reste-t-il de la Belgafrique ?

Plus d’un demi siècle après l’indépendance, les liens entre la RDC et l’ancien colonisateur sont complexes et les relations parfois tumultueuses. Le point sur ce qu’il reste encore de la «Belgafrique ».

Sommaire

« Tout ça ne nous rendra pas le Congo ! » Généralement prononcé sur un air de lamentation ironique, ce dicton populaire belge dit en creux la place qu’occupe l’ancienne colonie dans l’imaginaire du royaume. Ancienne propriété personnelle du roi des Belges, qui l’a rétrocédée à l’État en 1908, le Congo belge a été à la fois l’une des sources de sa prospérité et un démultiplicateur de son influence sur la scène internationale.

Du temps des colonies et des guerres mondiales, ce territoire regorgeant de matières stratégiques – l’uranium de la bombe de Hiroshima était, par exemple, congolais – a permis à ce pays de 11,3 millions d’habitants de se hisser dans la cour des grands. Des sentiments paradoxaux – entre amour et haine – sont nés entre les Congolais – surtout des classes dirigeantes – et leurs « nokos » (« tontons ») belges.

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« Au Congo, j’entends aussi bien “Vous, les Belges, n’avez rien fait pour ce pays, vous devez vous rattraper” que “Vous n’avez plus rien à faire ici” », témoigne André Flahaut, ministre francophone du Budget, qui séjourne fréquemment dans ce pays.

Tensions Kabila – Belgique

Chez les proches de Joseph Kabila, c’est plutôt le second sentiment qui domine ces derniers temps. Et cela rend très périlleux le voyage, programmé pour fin novembre, du ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, qui doit inaugurer une nouvelle ambassade sur le boulevard du 30-Juin, à Kinshasa. Son communiqué d’avril 2017 dénonçant le choix de Joseph Kabila de nommer Bruno Tshibala à la primature, en violation « de l’esprit et de la lettre de l’accord de la Saint-Sylvestre » entre pouvoir et opposition, n’est toujours pas passé.

En jouant sur la culpabilité coloniale et la fibre nationaliste congolaise, Kabila tente de diviser le front occidental

Mais Kinshasa tient surtout la Belgique pour responsable des pressions occidentales croissantes qu’il subit pour forcer Joseph Kabila, président hors mandat depuis décembre 2016, à organiser l’élection présidentielle. Les responsables sécuritaires, qui n’hésitent pas à réprimer une contestation interne grandissante, ont été sanctionnés par l’Union européenne (UE) en mai dernier.

Le gouvernement congolais surestime, sans doute, l’influence du royaume. Mais prendre la Belgique pour cible est toujours utile : en jouant sur la culpabilité coloniale et la fibre nationaliste congolaise, il tente de diviser le front occidental (composé notamment, outre la Belgique, de la France et des États-Unis). Kinshasa a donc unilatéralement suspendu sa coopération militaire en avril, ce qui a donné lieu à un épisode rocambolesque de plusieurs mois : les soldats belges étaient contraints de quitter le territoire congolais, sans pouvoir rapatrier leur matériel – essentiellement des jeeps et des camions bloqués à Kindu. Il a fallu un contact téléphonique direct entre le Premier ministre, Charles Michel, et le président Joseph Kabila pour dénouer la crise.

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Éloignement sous Mobutu

Les relations entre les deux pays n’ont pourtant pas toujours été aussi tendues. Elles étaient certes très dégradées sous Mobutu (1965-1997) avec la « zaïrianisation » des années 1970 – nationalisation des grandes propriétés détenues par des étrangers –, puis le massacre des étudiants de Lubumbashi, en 1990, qui a précipité la rupture.

Les Belges se sont alors détournés largement de leur ancienne colonie, à l’exception de quelques familles profondément enracinées, comme celle de l’homme d’affaires George Forrest. « Quels que soient les déboires que nous subissons, nous sommes ici chez nous, explique encore aujourd’hui celui qui fut un temps surnommé vice-roi du Katanga. Nous avons une moralité : nous ne pouvons pas abandonner nos travailleurs. »

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Le plan de Louis Michel

C’est à Tervuren que les premiers signaux de détente se manifestent, à la fin des années 1990. Au Musée royal d’Afrique centrale, là où Hergé a puisé son inspiration pour Tintin au Congo, le département géologie reçoit des demandes venues du monde entier pour des cartes du sous-sol congolais. Après la chute de Mobutu, et en plein boom minier, le territoire redevient un eldorado pour les investisseurs. À condition de bien connaître le pays et ses usages. Les connaissances et compétences belges sur le pays, accumulées pendant la colonisation, redeviennent incontournables.

Sa diplomatie ne va pas tarder à faire aussi son grand retour. Le très affable Louis Michel, homme de conviction et de réseau (il est franc-maçon), arrive au ministère des Affaires étrangères en 1999 avec de grandes ambitions pour son pays et son ancienne possession coloniale. Comme pour la France, les deux vont souvent de pair. Or à l’époque, la RD Congo est plongée dans les guerres : il s’investit pour y mettre fin. Mais le royaume ne peut bien sûr y arriver seul.

Louis Michel aime enseigner et être écouté. À cette époque, Joseph Kabila avait besoin de son aide

Son plan : impliquer la communauté internationale, qui crée, en novembre 1999, la Mission de l’ONU en RD Congo (Monuc). Après l’assassinat du président congolais Laurent-Désiré Kabila, début 2001, Michel prend sous son aile son fils, Joseph, devenu président à seulement 29 ans. Le ministre belge va jouer un rôle clé dans la signature des accords de partage du pouvoir, en 2003, puis dans l’organisation des élections de sortie de crise. « Louis Michel est un ancien professeur, rappelle la journaliste Marie-France Cros, spécialiste de l’Afrique à La Libre Belgique. Il aime enseigner et être écouté. À cette époque, Joseph Kabila avait besoin de son aide. »

Parallèlement, son collègue – et à l’époque complice – André Flahaut s’active au ministère de la Défense pour rétablir la coopération militaire avec le pays, avec d’infinies précautions. « Nous avions un problème, se souvient-il. Après le drame du Rwanda, où dix paras belges avaient été tués en 1994, le Parlement avait recommandé de ne plus déployer de troupes dans ses anciennes colonies. Nous avons donc fait du billard à trois bandes pour revenir, explique-t-il, en déployant en RD Congo des soldats béninois que nous formions à l’époque dans le cadre de la Monuc. » Avec Kinshasa, de nouveaux accords de coopération ne tardent pas à être signés. Ils incluent notamment de la formation militaire, en Belgique et sur le terrain.

Kabila l’«espoir du Congo »

En 2004, Louis Michel devient commissaire européen à la Coopération internationale, avec le ferme soutien du président français d’alors, Jacques Chirac. À ce poste, il continue de veiller sur la transition, dans laquelle la communauté internationale joue un rôle clé. En juin 2006, quelques mois avant la première élection présidentielle pluraliste de l’histoire du pays, il estime, publiquement, que Joseph Kabila représente « un espoir pour le Congo ». Cette phrase lui vaudra une rancune tenace de la part des « combattants », ces opposants radicaux très actifs en Belgique.

Mais après cette épiphanie, les relations belgo-congolaises ne vont pas tarder à connaître une nouvelle crise. « Une fois élu, Joseph Kabila a estimé qu’il n’avait plus besoin de parrain », s’amuse Marie-France Cros. Entre-temps, le gouvernement fédéral a changé, et c’est désormais le Flamand Karel de Gucht qui a repris le ministère des Affaires étrangères. Son attitude à Kinshasa, puis ses propos sur la « corruption congolaise » et le « droit moral » de s’exprimer qu’aurait la Belgique, choquent Joseph Kabila, qui en fait une affaire personnelle. Il rappelle son ambassadeur à Bruxelles et ferme deux consulats belges.

Quand une délégation belge vient sur son sol, les Congolais adaptent l’hymne joué – Brabançonne ou Vlaamse Leeuw

« Dans ce pays, la dimension affective des relations entre dirigeants est fondamentale », rappelle un vieux briscard des relations belgo-congolaises. Mais peut-être les commentaires de Karel de Gucht étaient-ils aussi à usage interne, pour se démarquer de Louis Michel.

Le milieu de la Belgafrique a beau être très petit, il est traversé par de multiples fractures et des haines recuites. La Belgafrique est en outre marquée par les antagonismes entre les deux grandes « tribus » belges, Wallons et Flamands, qui amènent parfois à des accords politiques byzantins, comparables à la « géopolitique » congolaise. « Kinshasa est très conscient de ces divergences, témoigne un ministre. Quand une délégation belge vient sur son sol, les Congolais adaptent l’hymne joué – Brabançonne ou Vlaamse Leeuw – en fonction de sa composition. »

C’est un jeune homme de 32 ans au nom familier qui va laver l’affront de De Gucht : Charles Michel, alors ministre de la Coopération. De Gucht est persona non grata, et le président Joseph Kabila reçoit ostensiblement le fils de son ancien parrain, ce qui fait de lui l’artisan de la réconciliation. Le chef de l’État congolais sait aussi jouer de la rivalité entre Charles Michel et Didier Reynders (pourtant membres du même parti, le Mouvement réformateur) en choisissant de s’afficher avec l’un plutôt qu’avec l’autre.

 Belgique terre d’asile

La catastrophique élection de 2011, par laquelle Joseph Kabila est malgré tout officiellement reconduit, n’arrange pas les choses entre les deux pays. Leurs relations vont continuer de se dégrader à mesure que les Belges acquerront la conviction que Joseph Kabila n’a pas l’intention de quitter le pouvoir en 2016, comme l’y oblige la Constitution.

La dépouille d’Étienne Tshisekedi, décédé en février, repose toujours dans une chambre froide à Bruxelles…

Un événement en particulier a été vu comme un casus belli par Kinshasa : la grande réunion de l’opposition congolaise, à Genval, dans la banlieue de Bruxelles, en juin 2016, pour fonder le « Rassemblement ». « Nous savons que les Belges l’ont organisé, clame Barnabé Kikaya Bin Karubi, le conseiller diplomatique de Joseph Kabila. Le gouvernement l’a facilité par ses conseils. »

Au grand dam du pouvoir congolais, la Belgique est aussi la terre d’asile de la plupart de ses opposants, des Tshisekedi (la dépouille d’Étienne, décédé en février, repose toujours dans une chambre froide à Bruxelles…) à Moïse Katumbi, candidat déclaré à la succession de Kabila et bête noire de ce dernier. La grande proximité de Katumbi avec George Forrest n’arrange rien. « Katumbi est un ami, admet l’homme d’affaires belge de 77 ans. Mais j’ai aussi des amis au pouvoir. Néanmoins, je ne m’implique pas politiquement », jure-t-il.

Les amitiés belges d’un autre Congolais éveillent également les soupçons à Kinshasa : le Dr Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes », dont l’hôpital Panzi, à Bukavu, est aidé par la Fondation George Forrest, dont le comité scientifique est présidé par Louis Michel. Dans l’opposition congolaise comme à Bruxelles, nombreux sont ceux qui voient en Mukwege un excellent président de transition dans l’hypothèse où Joseph Kabila quitterait le pouvoir avant l’organisation des prochaines élections. L’intéressé, qui a reçu le prix Sakharov du Parlement européen en 2014, a récemment fait connaître sa disponibilité.

« La politique belge n’est pas agressive contre Kinshasa, assure un responsable belge très bien informé. Pas plus que les Américains ou les Français, qui sont sur la même ligne. Nous ne défendons pas non plus nos intérêts : nous n’en avons presque plus dans ce pays. Mais nous ne pouvons pas rester sans rien dire face à une dérive dictatoriale. »

Belgafrique : silence royal sur la RDC

Entre la chute de Mobutu en 1997 et son abdication en 2013, le roi des Belges Albert II n’a séjourné en RD Congo qu’une seule fois, en 2010, à l’occasion de la commémoration des 50 ans de l’indépendance. Son fils, Philippe, qui a repris le flambeau, n’a lui jamais foulé son sol. Et si l’envie lui en prenait, il ne pourrait le faire sans l’assentiment du gouvernement belge. En 2011, la visite privée du prince Laurent, sans l’aval belge et sur invitation d’Olivier Kamitatu, alors ministre du Plan, avait d’ailleurs suscité la polémique

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