Parcours : Amine Metani, DJ au carré

Ingénieur en rééducation neurologique à Lyon, ce Franco-Tunisien de 34 ans est aussi l’un des talents à suivre de la scène électro.

Le compositeur-chercheur planche sur une manière de transformer une pensée en mouvement mécanique. © Vincent Fournier/JA

Le compositeur-chercheur planche sur une manière de transformer une pensée en mouvement mécanique. © Vincent Fournier/JA

Publié le 16 novembre 2017 Lecture : 4 minutes.

Amine Metani cherche. Quand il n’explore pas les propriétés du cerveau, il sonde les méandres de l’électro. Postdoctorant du laboratoire de physique de l’école normale supérieure (ENS) de Lyon, ce Franco-Tunisien est également musicien, producteur et compositeur. « Je flirte avec le burn-out », concède-t‑il dans un sourire au bout d’un quasi-monologue passionné de vingt minutes, à la table d’un bar parisien.

Deux passions

Mais entre ses deux « métiers passions », il refuse de choisir. « J’alterne entre des phases au labo et d’autres où je pars jouer et composer. Car dans les deux domaines, je dois en permanence être créatif », explique ce talent double, relevant sa longue chevelure noire pour dévoiler une tempe soigneusement rasée. Venu spécialement à Paris pour un concert, cet hyperactif s’attrape au vol, entre deux trains. Entre deux projets.

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Né à Sousse, Amine se découvre très tôt une vocation pour la musique : à l’école primaire, à Tunis, il réussit à trouver un charme à la flûte à bec, et dans les couloirs du lycée son premier MiniDisc fait fureur. Pourtant, son orientation professionnelle sera plus « rationnelle ». Après le bac, en 2001, il part étudier en France – comme avant lui ses parents, médecins. Maths sup, maths spé à Paris, la prestigieuse école centrale de Lyon puis une thèse à l’ENS : la voie royale des têtes bien faites.

Notre musique est un contrepoint à la mode orientaliste, superposition de fantasmes un peu faciles

Mais le physicien n’en oublie pas ses gammes : avec son ami Nessim Zghidi, il organise des concerts dans les caves lyonnaises et détourne en musique des discours de Bourguiba. Une fois sa thèse bouclée, Amine replonge. En 2013, il fonde avec son acolyte le label Shouka et le collectif d’artistes d’origine nord-africaine Arabstazy, explorant les liens entre les musiques électroniques et la superstition, entre transes traditionnelles et actuelles. Depuis, du Caire à Copenhague en passant par Tunis et Paris, au Quai Branly ou à l’Institut du monde arabe, Arabstazy envoûte régulièrement les foules lors de « soirées de possession » et autres live hypnotiques.

« Notre musique est un contrepoint à la mode orientaliste, superposition de fantasmes un peu faciles », insiste Amine. À l’exact opposé des sons du duo parisien Acid Arab, même s’ils sont « souvent programmés dans les mêmes événements », s’amuse-t-il. « Ils s’approprient ce qui leur est exotique, nous faisons la même chose à l’envers. » Début 2018, les sons d’Arab­stazy seront compilés dans Under Frustration, au bénéfice des réfugiés syriens au Liban.

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Amine joue collectif. Ces derniers temps, il s’est aussi beaucoup investi auprès de la chanteuse Emel Mathlouthi pour aider la « voix du Printemps tunisien » à accoucher d’Ensen, un album résolument électro. « Le processus a été difficile. Pour avancer ensemble, il faut savoir ravaler son ego », avoue-t‑il. Humble, il a déjà rempilé pour le troisième disque de la chanteuse.

L’art de la science

Infatigable créateur, Amine trouve encore le temps de composer pour lui-même, sous le nom de scène de Mettani. Son premier EP devrait aussi sortir dans quelques mois. Presque un exploit. Car il y a deux ans déjà, l’artiste tiraillé a fini par revenir sur la planète sciences. Par accident – au sens premier du terme. En 2013, son ancien directeur de thèse, Vance Bergeron, perd brutalement l’usage de ses jambes dans un accident de vélo. Loin de se laisser abattre, ce chercheur franco-américain s’engage sur une nouvelle voie : la rééducation neurologique. Amine décide de le suivre. En 2016, tous deux signent une belle victoire au Cybathlon de Zurich, les JO des athlètes bioniques.

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En inventant un procédé mécanique fondé sur la stimulation électrique des muscles, le jeune ingénieur permet à son mentor d’évoluer seul sur une piste de 750 m. Parallèlement, l’équipe travaille sur une innovation qui semble tenir de la science-fiction : l’interface cerveau-machine, qui permet à une personne paralysée d’effectuer un mouvement rien qu’en l’imaginant.

À Centrale, on nous répétait “vous êtes l’élite”. Mais peu se préoccupaient de l’impact qu’ils auraient sur la société

Les mains d’Amine s’agitent et les pensées fusent, plus ou moins organisées, dans son complexe cortex. Mais pour lui, tout revêt un sens. Il y a bien une finalité, un ordre dans ce désordre. S’il est ingénieur, c’est avant tout pour mettre sa science au service de l’humain. « À Centrale, on nous répétait “vous êtes l’élite”. Mais peu se préoccupaient de l’impact qu’ils auraient sur la société. »

Pas question pour lui de travailler pour un fabricant d’armes ou pour le monde de la finance. S’il est producteur, c’est pour redorer le côté africain de la culture tunisienne, « souvent négligée au détriment d’une identité arabe », et surtout le stambeli, un rituel musical thérapeutique tunisien venu d’Afrique subsaharienne. « Musique de Noirs » liée aux superstitions – donc contraire à l’islam –, elle est « comme le cannabis en France : tolérée mais mal vue », regrette-t‑il. Amine aime flirter avec les interdits : il prévoit très sérieusement de partir réaliser des enregistrements d’un autre rituel musical, le zâr, en Iran. Un pays peu enclin à entrer dans la transe.

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