Musique : au-delà de la révolte avec Martial Pa’nucci
Le rappeur congolais Martial Pa’nucci, en exil au Burkina Faso, revient à l’une de ses préoccupations majeures, son pays d’origine, tout en s’ouvrant à de nouveaux horizons.
C’est à quelques kilomètres de l’aéroport international de Ouagadougou, dans le quartier de Wemtenga, que Martial Pa’nucci a élu domicile. Les réacteurs des Boeing ponctuent l’échange, assortis de quelques soupirs. Le rappeur congolais de 27 ans est harassé. C’est que, dans la capitale burkinabè, il multiplie les prestations tout en assurant la promotion de son nouvel EP de cinq titres, # En attendant la rêv’olte, paru le 15 août (date anniversaire de l’indépendance du Congo) et disponible sur moult plateformes digitales.
Les textes, toujours aussi engagés, sont posés sur un flow tranchant, sans concession. Et cela sur des thèmes qui lui sont chers : la situation politico-sociale du Congo, l’oisiveté de la jeunesse congolaise ou encore la mainmise de la France sur les richesses du continent africain. Il s’exprime notamment en duo avec la chanteuse burkinabè Maï Lingani sur un morceau intitulé « Françafrique » ou rappe avec le Sénégalais Rosso sur « Résiste ».
Rappeur engagé
« Cet EP est le prélude à mon nouvel album, qui paraîtra courant 2018. Je continue à appeler les gens à plus de résistance et plus d’engagement », explique celui qui chante en français, en lingala, en lari et en kituba. Ce membre du mouvement citoyen congolais Ras-le-bol, émanation du collectif hip-hop 2 Mondes, auquel il appartient, continuera d’être étiqueté rappeur engagé. « Je suis un rappeur tout court mais je vis avec des urgences, dit-il. Ce sont ces urgences qui valent à ma musique d’être qualifiée d’engagée. »
C’est dans le quartier de Ouenze, dans le nord de Brazzaville, qu’est né et a grandi Martial Pa’nucci, élevé par sa mère, célibataire. Au collège, influencé par des rappeurs et des groupes de rap français comme Kery James, IAM ou encore Ärsenik, il se met à rapper sur des thèmes dont il est bien loin d’avoir fait le tour, de la violence policière au chômage des jeunes. « Le rap et mon parcours scolaire sont intimement liés », affirme celui qui a obtenu une licence en littérature et civilisations africaines à l’université Marien-Ngouabi.
Du rap à la poésie
« Le rap m’a conduit vers la littérature et plus particulièrement vers la poésie. C’est une autre forme d’exutoire car on ne peut pas tout dire avec le rap. » En mars 2016, il a publié un recueil de poèmes, Le Poids des maux, via l’éditeur français en ligne Les Éditions du chapitre. Musicalement, il doit son succès grandissant à internet et, plus précisément, aux réseaux sociaux, ce moyen de communication qu’il assimile à une bouffée d’air frais. « Vivre à Brazzaville, c’est comme vivre dans une marmite. Et recevoir des encouragements venus d’ailleurs permet d’un peu mieux respirer. » C’est en passant par WhatsApp qu’il arrive à écouler environ 800 exemplaires de son premier disque, # 2015 Chroniques, paru en août 2015.
Parfois, sans crier gare, Martial Pa’nucci se met à parler de lui à la première personne du pluriel. « Je me considère comme trois individus, explique-t‑il. Ces trois personnes sont Pa’nucci, le rappeur, Moyi Mbourangon, le poète qui dévoile son véritable nom, mais aussi Martial tout court, l’étudiant qui continue d’apprendre. » C’est un soir de juillet 2016 que le rappeur quitte discrètement Brazzaville en embarquant dans un vol pour Dakar depuis l’aéroport Maya-Maya avec deux autres membres du mouvement Ras-le-bol.
Je ne me suis jamais autant produit sur scène que depuis que je suis à Ouaga
« Nous étions désignés comme des opposants au pouvoir, il a donc fallu partir », souffle-t‑il avant de se refuser à révéler les dessous de son exil. Il passe alors trois mois au Sénégal avant de se tourner vers le Burkina Faso, où les opportunités artistiques foisonnent. « Je ne me suis jamais autant produit sur scène que depuis que je suis à Ouaga », lance-t‑il. Dès son arrivée, il participe au Waga Festival, au festival Hip-Hop Wakat ou prend part aux ateliers de Jazz à Ouaga, entre autres. Mais à Brazzaville, on ne l’oublie pas…
Martial Pa’nucci reste l’un des dignes représentants de la scène urbaine congolaise. Tant et si bien que les Beat Street Awards de Brazzaville le couronnent meilleur artiste hip-hop de l’année en décembre 2016. « Dès que je sors un projet, je reçois des retours des Congolais. Ils sont vraiment aux premières loges, mais je me rends compte que mon travail a aussi de l’importance à l’extérieur du Congo. »
Je ne serai pas en paix tant qu’il y aura des injustices et que des gens continueront à se faire tuer sans raison
Jusqu’à quand restera-t‑il aux prises avec l’urgence ? « Je ne serai pas en paix tant qu’il y aura des injustices et que des gens continueront à se faire tuer sans raison. » Toutefois, le jeune rappeur admet que son exil au Burkina Faso lui apporte d’autres sources d’inspiration. Le jeune homme découvre le panafricanisme, l’importance de la diaspora africaine, s’intéresse à l’émancipation des femmes, mais, surtout, se trouve confronté au terrorisme.
Le dimanche 13 août 2017, quelques jours avant la sortie de son EP, un attentat visait un café de Ouagadougou, faisant 19 morts et 22 blessés. « Je me sens beaucoup plus concerné par ce qui se joue à l’heure actuelle et je m’intéresse à tous les aspects que peut prendre la guerre. » Et peu à peu, Martial Pa’nucci semble se détendre : « Bon, je commence à parler d’amour… », sourit-il. En d’autres termes, si sa musique a toujours été pétrie d’humanisme, cet humanisme dépasse désormais les frontières du Congo.
De l’engagement à l’egotrip
Ces dix dernières années, la scène rap du Congo a largement évolué, et ce grâce à la création de labels et de studios d’enregistrement qui ont permis l’émergence de nouveaux artistes, parmi lesquels Weldoh Larafale, à la tête de Tomolowa Music, l’un des labels les plus populaires du pays. Citons également les rappeurs Biz Ice, Nix Ozay, Makhalba Malecheck, Boogie Black, Key Kolos ou encore Noiiz April.
S’il reste encore des rappeurs engagés comme Ya Vé, membre du collectif 2 Mondes, ou le nouveau venu qu’est Freud Vinces, la tendance chez cette nouvelle génération est plutôt au rap game, soit un rap où la compétition et les clashs sont de mise entre artistes. C’est à qui sera le plus populaire et dominera le royaume de l’egotrip… Le tout étant parfois saupoudré d’afrotrap.
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