Littérature – Deon Meyer : « Si le président vole, tout le monde peut voler »

Avec « L’Année du Lion », le romancier sud-africain propose une fiction postapocalyptique dans une Afrique du Sud ravagée par une fièvre mortelle. Et s’attache à décrire la naissance d’une nouvelle société, Amanzi, sur les ruines de l’ancien monde.

Deon Meyer (Afrique du Sud), ecrivain, scenariste, auteurs de romans policiers. A Paris, le 17.10.2017. © Vincent Fournier/JA

Deon Meyer (Afrique du Sud), ecrivain, scenariste, auteurs de romans policiers. A Paris, le 17.10.2017. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 17 novembre 2017 Lecture : 8 minutes.

Benny Griessel, le détective récurrent des polars de Deon Meyer, n’apparaît pas dans L’Année du Lion. Et pour cause. L’intrigue se déroule dans le futur, après qu’une épidémie mondiale a décimé une grande partie de l’humanité. Nous sommes en Afrique du Sud, un père et un fils tentent de survivre. Ils s’appellent Nico et Willem Storm. Porté par une foi indéfectible en l’homme, Willem Storm entend construire une société nouvelle, Amanzi, avec les survivants qui veulent le rejoindre tandis que des bandes de pillards écument le pays à la recherche d’armes, de diesel et de nourriture. Une parabole politique qui, par bien des aspects, fait écho à la situation contemporaine de l’Afrique du Sud. Rencontre à Paris.

Jeune Afrique : Vous avez commencé à écrire L’Année du Lion il y a six ans. D’où est venue cette idée de roman postapocalyptique ?

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Deon Meyer : J’ai lu une nouvelle postapocalyptique et, au cours de ma lecture, j’ai imaginé que l’histoire allait partir dans une direction. En réalité, elle partait dans une tout autre direction. Mais je me suis alors dit que celle qui n’était pas empruntée était sans doute la plus intéressante. Cette idée a été la première graine du roman. Je n’ai cessé d’y penser par la suite. J’ai rédigé les deux premiers chapitres, puis je me suis arrêté.

Pourquoi ?

J’en ai parlé à mon agent, et il m’a dit : « Tu ne peux pas écrire ce livre maintenant, parce que sur certains marchés il est très important de publier encore deux romans policiers. » J’ai répondu « d’accord, je vais attendre ». C’était un bon conseil, parce qu’il faut plusieurs livres pour s’établir et construire son lectorat. Et si vous disparaissez soudainement en écrivant quelque chose de différent, cela rend les choses difficiles. Après deux nouveaux romans policiers, mon agent m’a donné son accord, je me suis assis à ma table et j’ai recommencé à écrire.

Nous faisons un vrai gâchis de ce monde

Dans votre livre, une fièvre dévaste l’humanité entière. Est-ce que la propagation d’Ebola en Afrique vous a inspiré ?

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Tout à fait. Je savais où irait le livre et j’ai étudié de près tout ce qui avait trait à Ebola.

Ainsi, vous reconstruisez complètement une société sur les ruines de l’ancienne. C’est un fantasme d’écrivain ?

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Oui ! Mais c’est aussi un fantasme très humain, tout recommencer de zéro en se disant que les erreurs que nous avons commises sont derrière et qu’il est possible de prendre un nouveau départ.

Vous étiez désespéré quand vous avez commencé ?

Nous faisons un vrai gâchis de ce monde.

Une démocratie dotée d’un bras militaire fort est la meilleure de toutes les mauvaises options

Pourtant Willem Storm, le père du héros, est plutôt optimiste quant aux capacités de l’humanité à bâtir un monde meilleur.

J’essaie d’être honnête et de confronter plusieurs points de vue. Si les personnages pensaient tous de la même manière, ce serait un livre très ennuyeux, dépourvu de conflit. Or le conflit est la mère du suspense, il ne peut y en avoir sans. Alors, oui, je voulais qu’il y ait aussi cette vision très optimiste, ce rêve d’une nouvelle société démocratique.

Dans cette nouvelle société, la principale opposition concerne deux personnages qui sont en réalité alliés, Willem Storm le démocrate et Domingo, le bras armé de cette démocratie. C’est ce en quoi vous croyez ?

Je ne sais plus vraiment en quoi croire ! Nous avons obtenu la démocratie en Afrique du Sud, et cela ne marche pas. Parfois je suis d’accord avec Domingo quand il dit qu’il faut un despote éclairé. Mais les chances d’avoir un despote éclairé sont très minces. Alors sans doute qu’une démocratie dotée d’un bras militaire fort est la meilleure de toutes les mauvaises options que nous avons.

Je ne dis pas au lecteur ce qu’il doit penser, j’essaie de le faire penser

La philosophie de Domingo, c’est de considérer les hommes comme des animaux. Vous la partagez ?

Ne pensez-vous pas qu’il y a assez de preuves, à travers l’Histoire, pour démontrer que nous avons la capacité de nous comporter comme des animaux ?

Nous sommes 7 milliards et nous parvenons à ne « pas trop » nous entre-tuer…

Oui, mais nous sommes des animaux, une espèce parmi d’autres. La plus intelligente, la plus créative, la plus avancée technologiquement, mais nous conservons des instincts animaux. Dans ce sens, Domingo a totalement raison. Prenez en compte l’Histoire, et je ne parle même pas de l’Holocauste : même les animaux ne tuent pas les autres animaux de cette manière.

À l’époque où les colons portugais envoyaient leurs premiers bateaux autour de l’Afrique pour rejoindre l’Inde, ils massacraient femmes et enfants sur leur chemin. Toute la question du livre, c’est de se demander si nous sommes l’humanité dont rêve Willem Storm ou celle que Domingo décrit. Je ne dis pas au lecteur ce qu’il doit penser, j’essaie de le faire penser.

En Afrique du Sud, l’Histoire permet de comprendre la société d’aujourd’hui

Vous avez beaucoup écrit sur le passé et sur le présent ; est-ce qu’écrire sur l’avenir relève d’un même attrait pour l’Histoire ?

Ce qui compte pour moi, c’est d’écrire des livres divertissants, qui apportent quelque chose sur les plans émotionnel et intellectuel. Mais en effet, j’aime l’Histoire, je l’ai étudiée, et c’est essentiel pour comprendre comment nous en sommes arrivés là. En Afrique du Sud tout particulièrement, l’Histoire permet de comprendre la société d’aujourd’hui. Le passé continue d’avoir un profond effet sur les Sud-Africains. L’apartheid déploie toujours son ombre immense sur notre société, et nous ne pouvons l’ignorer.

Lisez-vous beaucoup de romans postapocalyptiques ?

Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai lu les classiques des années 1950 et 1960, lorsque la menace nucléaire rendait la destruction du monde possible d’un instant à l’autre. Et je trouve intéressant de constater que, ces dix dernières années, il y a eu une nouvelle éclosion de fictions postapocalyptiques – ce qui dit beaucoup du monde dans lequel nous vivons.

La présidence de Jacob Zuma est un échec total pour l’Afrique du Sud

Nous avons parlé de Jacob Zuma la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, et il arrive désormais à la fin de son mandat. Quel bilan en faites-vous ?

Mon jugement à son propos a beaucoup changé. Quand il est devenu président, je me suis dit : « Soyons justes, laissons-lui sa chance. » Il avait un vrai parcours d’homme soucieux de son pays. J’avais parlé avec des soldats de l’ANC qui avaient combattu avec lui et qui le tenaient en haute estime, considérant qu’il était très intelligent même s’il n’avait guère d’éducation. Thabo Mbeki était un homme très éduqué qui n’avait pas réussi à être le président que nous espérions.

Malheureusement, Jacob Zuma a dramatiquement échoué. C’est devenu un homme très corrompu et très malhonnête, un dirigeant faible, alors que nous avons besoin d’un chef fort, doté d’une éthique solide, d’une grande intégrité, porteur d’une vision. Tout ce qu’il a, c’est son avidité pour l’argent. Sa présidence est, je le crains, un échec total pour l’Afrique du Sud, et les seuls Sud-Africains qui n’en paient pas le prix sont ses affidés, qui engrangent des milliers de dollars.

Si nous avons de nouveau un dirigeant faible, corrompu, sans vision ni leadership, notre pays court à la faillite

L’ANC a-t‑il échoué à se transformer ?

Tout à fait. Il y a des voix à l’intérieur de l’ANC qui veulent la réforme. Mais la question est celle-ci : auront-ils la majorité pour élire le prochain dirigeant ? Nous ne savons pas. C’est une course très serrée. Mais si nous avons de nouveau un dirigeant faible, corrompu, sans vision ni leadership, notre pays court à la faillite. Il y aura encore plus de pauvreté et de souffrance.

Vous êtes pessimiste…

Actuellement, oui. Les signaux sont vraiment terribles. J’étais autrefois tellement optimiste ! Nous avions tellement de possibilités merveilleuses !

Cyril Ramaphosa peut-il faire un bon président ?

J’ai toujours pensé qu’il était un homme intelligent, un bon politicien qui fait le nécessaire pour exprimer ce qu’il espère pour le pays. De nouveau, j’ai un peu d’espoir…

Avec l’Afrique du Sud, il est impossible de prévoir l’avenir

Ah, quand même !

Ce qui est sûr, avec l’Afrique du Sud, c’est qu’il est impossible de prévoir l’avenir. Quelle que soit la prédiction que vous faites, vous vous trompez. Les dommages que Zuma et ses affidés ont causés sont tels qu’il faudra beaucoup de temps pour les réparer. Ce n’est pas impossible. Ce qui est beau avec l’Afrique du Sud, c’est que les gens sont prêts à être dirigés, ils attendent qu’un chef émerge du chaos. Nous voulons travailler dur, nous sommes prêts à nous investir, et même à souffrir, si nous avons un dirigeant intègre. Mais si le président vole, tout le monde peut voler.

Pouvez-vous imaginer quelqu’un d’autre que Cyril Ramaphosa ?

Pas vraiment. Les seuls que je connaisse sont trop vieux pour être présidents. Il y a l’ancien gouverneur du Gauteng, Paul Mashatile, qui est un candidat sur lequel il faudra compter à l’avenir. Mathews Phosa promettait également beaucoup, mais il a été en quelque sorte excommunié par l’ANC.

Nous pouvons devenir la nation Arc-en-Ciel

Croyez-vous encore en l’idée de nation Arc-en-Ciel ?

C’est compliqué… Avez-vous lu les livres de Yuval Noah Harari ? Selon lui, les gens s’unissent derrière un récit spécifique, et je crois que l’idée de nation Arc-en-Ciel représente une colonne vertébrale pour l’Afrique du Sud. Car comment unir des gens qui parlent 11 langues différentes ? En Afrique du Sud, nous avons plusieurs récits issus de notre passé, selon que nous sommes afrikaner, xhosa, etc. Nous devons faire ce que les Américains ont fait quand ils ont rédigé leur déclaration d’indépendance. Ils ont créé leur propre récit national en affirmant : nous venons d’Irlande, d’Allemagne, d’Italie, de Scandinavie, mais voilà qui nous sommes désormais.

Bon, citer l’Amérique comme exemple à l’heure de Donald Trump n’est pas forcément une bonne idée, mais ils ont réussi à créer ce nouveau récit. En Afrique du Sud, nous avons besoin d’inclure tout le monde. Nous pouvons devenir la nation Arc-en-Ciel. La manière dont les Sud-Africains ordinaires travaillent ensemble tous les jours, le petit monde dans lequel je vis où Noirs, Blancs et métis s’entraident et vivent ensemble, cela donne de l’espoir. Je ne parle pas des politiciens ou des extrémistes des deux bords. Je parle de cette masse silencieuse, de tous ces gens qui entretiennent de saines relations humaines. Il y a quelques centaines d’années, l’Europe était un puzzle de petits duchés ; c’est devenu l’Union européenne.

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