Moussa Faki Mahamat : « Nous espérons pouvoir parler franchement avec nos partenaires européens »
À quelques jours de l’échéance, l’ex-Premier ministre tchadien expose les enjeux d’une plus grande coopération entre les deux continents. Et défend les réformes qui doivent redynamiser l’union panafricaine.
Sommet UA-UE : une nouvelle ère ?
Le « sommet UA-UE », premier du nom mais cinquième du genre, s’est tenu les 29 et 30 novembre à Abidjan. Retour sur les enjeux, les débats et les principales déclarations et décisions.
Élu en janvier président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat revient sur les grands enjeux, côté africain, du sommet UA-UE, ce rendez-vous devenu si important dans les relations que cherchent à tisser les deux continents. Ce diplomate tchadien âgé de 57 ans, ancien chef du gouvernement puis ministre des Affaires étrangères dans son pays, en profite pour détailler certains points de la réforme attendue de l’UA. Avec en ligne de mire l’Agenda 2063, ce document-cadre adopté en 2015 par les chefs d’État et de gouvernement de l’organisation panafricaine pour assurer un développement durable au continent.
Jeune Afrique : Que faut-il attendre du sommet d’Abidjan ?
Moussa Faki Mahamat : Le partenariat tissé avec l’Europe est aujourd’hui essentiel pour l’Afrique. Il est riche et divers puisqu’il porte sur les questions de sécurité, d’échanges migratoires et commerciaux, de développements socio-économiques. J’espère que ce sixième sommet sera l’occasion d’évoquer tous ces différents aspects et de renforcer encore ce partenariat. D’un commun accord, nous avons décidé de placer ce rendez-vous sous le signe de la jeunesse, qui est aujourd’hui la priorité des priorités pour le continent africain s’il veut tirer le meilleur parti de son dividende démographique. Comment régler les problèmes en matière d’emploi et de formation ? Comment aider les jeunes Africains à faire face aux difficultés qu’ils rencontrent ? Je souhaite que nous puissions parler de manière franche avec nos partenaires européens de nos attentes, qui sont nombreuses, sur le sujet.
Aussi complexes soient-elles, les négociations en cours – sur les Accords de partenariat économique (APE) – et à venir – sur un éventuel renouvellement de l’accord de Cotonou, signé entre les l’UE et les 79 pays du groupe ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) – seront-elles à l’ordre du jour ?
Il serait très important qu’elles le soient. Nous devons profiter de cette rencontre au plus haut niveau, qui intervient dix ans après le démarrage des APE et trois ans seulement avant l’échéance des accords de Cotonou, pour discuter ensemble de l’évolution de ces deux composantes fondamentales de notre partenariat. Il est important de mesurer aujourd’hui la pertinence des conventions ACP, quarante ans après les premières signatures, notamment dans le cadre de notre Agenda 2063.
Toute organisation digne de ce nom se doit de financer elle-même son fonctionnement
Peut-on espérer parvenir à une position commune sur la question migratoire, entre une Europe qui cherche à mettre un terme à l’immigration illégale et une Afrique qui souhaite la mise en place de corridors légaux ?
Cette question n’est que la conséquence d’un phénomène beaucoup plus large, lié au développement économique du continent. Et c’est un problème auquel les pays membres de l’UA font face eux-mêmes, l’essentiel de ces flux migratoires étant interafricain. Il faut espérer que nous pourrons aborder le sujet de manière sereine.
Que pouvez-vous dire sur la polémique entre le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique (RASD) qui a empoisonné les semaines précédant le sommet ?
La Maroc est un État africain, fondateur de l’Organisation de l’unité africaine [OUA, ancêtre de l’UA], qui en est parti avant de revenir en son sein cette année. Il est le bienvenu dans la mesure où il peut contribuer à donner plus de force à notre union et apporter une plus grande dynamique dans l’intégration du continent. La RASD est également membre de l’UA. Rabat n’ayant posé aucune condition à son retour, les choses sont donc juridiquement claires.
L’UA est entrée dans une phase de réformes fondamentales. Dans quels buts ?
L’objectif est de réformer l’UA, financièrement et institutionnellement, afin qu’elle dispose des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés dans l’Agenda 2063 tel qu’il a été adopté lors de notre sommet de 2015. La question du financement est primordiale. Toute organisation digne de ce nom se doit de financer elle-même son fonctionnement. Nous allons également revoir nos structures et évaluer nos différents organes pour les redimensionner, avec la volonté de nous doter d’instruments efficaces. Cette réforme doit également permettre une meilleure répartition des rôles et des responsabilités entre l’UA et les différentes communautés économiques régionales du continent, qui sont aujourd’hui les piliers de l’intégration continentale. Nous pourrions nous concentrer sur certains grands sujets – comme la paix et la sécurité, les partenariats extérieurs, etc. – et laisser la partie opérationnelle à ces communautés.
L’UA dispose de sa propre architecture en matière de paix et de sécurité, avec des forces militaires africaines en attente dans chaque région
Quel sera le rôle de la Commission à la suite de cette réforme ?
Plus l’intégration du continent devient une réalité, plus la structure chargée de cette intégration prend de l’importance. La Commission doit tenir un rôle de conception, d’impulsion et de coordination. L’Afrique ne peut peser que quand elle parle d’une seule et même voix. Il faut pour cela qu’elle soit mieux intégrée, et surtout en paix. Je constate qu’il y a aujourd’hui un consensus certain à voir l’Afrique coopérer d’égal à égal avec le reste du monde. Je crois que ces réformes peuvent fédérer toutes les énergies africaines autour d’un Agenda 2063 qui reflète parfaitement les ambitions et la vision que s’est fixées le continent.
Le financement de votre organisation dépend pour l’instant de vos partenaires étrangers, à commencer par l’UE, l’un des principaux contributeurs. Comment comptez-vous changer cet état de fait ?
Nous avons décidé de prélever 0,2 % de la valeur des importations africaines. Certains pays appliquent déjà cette directive, qui deviendra obligatoire dès 2018. Nous avons également mis en place un Fonds de la paix, qui doit nous permettre de contribuer à hauteur de 25 % au financement des opérations de maintien de la paix menées sur le continent par les Nations unies. C’est un premier pas dans la prise en charge de notre propre sécurité.
Le G5 Sahel est-il le modèle à suivre pour régler les conflits que connaît l’Afrique ?
Nous savons que les opérations classiques de maintien de la paix ne peuvent plus répondre aux menaces actuelles. L’UA dispose de sa propre architecture en matière de paix et de sécurité, avec des forces militaires africaines en attente dans chaque région. L’initiative du G5 Sahel, prise par les États de la région, est à saluer et nous la soutenons en adoptant son concept pour les futures interventions.
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