Bénin : Patrice Talon sans parti politique, tient les rênes
Un an et demi après son élection, Patrice Talon ne s’est toujours pas doté d’un parti. Ce qui ne l’empêche ni de resserrer son emprise sur l’Assemblée ni de remodeler l’échiquier politique de son pays. Dans sa ligne de mire : l’élection de 2021.
En Afrique de l’Ouest, Patrice Talon fait un peu figure d’exception. Faure Gnassingbé a l’Union pour la République (Unir), Alassane Ouattara, le Rassemblement des républicains (RDR), et Roch Marc Christian Kaboré, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). De la même manière, Macky Sall et Nana Akufo-Addo peuvent s’appuyer respectivement sur la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) et sur le Nouveau Parti patriotique (NPP). Mais le président béninois, lui, ne bénéficie du soutien d’aucune formation pour accompagner son action.
Certes, les Béninois ont, avec leurs partis politiques, des rapports un peu particuliers. Sans doute est-ce parce qu’ils n’en attendent pas grand-chose, puisque tous les présidents qui se sont succédé depuis la conférence nationale de 1990 ont été portés au sommet de l’État sans avoir eu à s’appuyer sur un grand parti. Mais, une fois élus, tous pourtant choisirent d’en créer un : Mathieu Kérékou mit sur pied l’Union pour le Bénin du futur, Nicéphore Soglo créa – avec son épouse – la Renaissance du Bénin (RB), et Thomas Boni Yayi imagina les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE).
Mais pas Patrice Talon : plus d’un an et demi après son arrivée au pouvoir, et même s’il paraît désireux d’organiser un groupe parlementaire sur lequel il pourra compter pour gouverner, il ne semble pas décidé à s’encombrer d’un appareil politique en tant que tel.
Arrivé en politique par accident
Pour le comprendre, il faut se souvenir que Talon est arrivé en politique presque par accident. Que, longtemps, il fut l’homme de l’ombre. Celui qui finance et tire les ficelles depuis sa villa, au calme, ce dont il ne s’est jamais caché.
Dès le début des années 1990, il s’assure de solides amitiés et remporte nombre de marchés publics, profitant des balbutiements de la démocratie béninoise. Jamais militant mais toujours plus influent, il fait partie de ceux qui façonnent Thomas Boni Yayi et qui permettront son élection en 2006.
« Talon a toujours été un élément central pour les partis politiques, précise un influent patron de presse. Son rôle a été encore plus important sous Yayi, qui lui a longtemps fait une confiance aveugle. » Pour autant, la politique en elle-même ne le passionne toujours pas. Seul compte l’empire qu’il a bâti.
Le plaisir de torpiller son ennemie
Les années passent. En avril 2012, en froid avec le chef de l’État, il quitte le Bénin pour la France. Il y restera trois ans. À Paris, depuis le salon de son bel appartement du 16e arrondissement ou ceux du luxueux George-V, l’hôtel parisien où il a ses habitudes, il prend un malin plaisir à torpiller à distance celui qui est désormais son ennemi.
Son assise financière lui permet d’influencer le Parlement et de renforcer l’opposition. On parle à Cotonou de « la télécommande de Paris ».
Talon répète à qui veut l’entendre que la politique ne l’intéresse pas. À chacun, il laisse entendre qu’il aura ses faveurs pour 2016… En réalité, il sonde, il observe, mais le candidat, ce sera lui.
À l’époque déjà, rares sont les hommes politiques béninois qui ont le respect de Talon – et cela ne va pas aller en s’arrangeant
« Nous sommes arrivés à la conclusion qu’aucun n’avait la stature pour s’imposer. Et surtout qu’aucun ne pouvait garantir à Talon qu’il ne lui ferait pas revivre la même mésaventure qu’avec Boni Yayi », expliquera à JA un membre de son cercle rapproché.
À l’époque déjà, rares sont les hommes politiques béninois qui ont le respect de Talon – et cela ne va pas aller en s’arrangeant. Car lorsqu’à son retour à Cotonou, en octobre 2015, il officialise sa candidature, il espère rallier à sa cause ceux qu’il a financés pendant tant d’années.
« Il y a cru jusqu’au dernier moment, assure l’un de ses amis de longue date. Il a vraiment pensé que la RB et le PRD [Parti du renouveau démocratique] le soutiendraient. » Mais c’est peine perdue.
« Cela explique pourquoi Talon n’a pas beaucoup d’estime pour le personnel politique béninois, poursuit le même ami. La plupart ont profité de ses largesses, mais quand il a eu besoin d’eux, ils étaient aux abonnés absents. Et puis, compte tenu de son parcours, Patrice Talon est bien placé pour connaître les faiblesses de la démocratie béninoise. »
Arrivé au pouvoir avec l’idée de « réformer »
Il arrive donc au pouvoir avec la ferme intention de réformer le système partisan.
Il sait qu’il doit s’offrir une majorité au Parlement – lors de la présidentielle, seuls 12 députés sur 83 l’avaient soutenu
Dans son esprit, il faut réduire le nombre de partis, se contenter de deux ou trois blocs et réguler leur mode de financement pour, notamment, réduire l’influence des hommes d’affaires qui seraient tentés d’emprunter le même chemin que lui.
« Le président a conscience que les partis politiques dans leur forme actuelle ne représentent plus grand-chose sur le terrain. Et plus encore depuis l’élection, puisque leur mot d’ordre – “Votez Zinsou !” – n’a pas été respecté », explique un proche du pouvoir.
Mais c’est aussi un pragmatique. Il sait qu’il doit s’offrir une majorité au Parlement – lors de la présidentielle, seuls 12 députés sur 83 l’avaient soutenu.
La peur qu’il suscite (nombreux sont ceux qui pensent que c’est parce qu’il s’est opposé à lui que l’homme d’affaires Sébastien Ajavon s’est retrouvé accusé de trafic de cocaïne) lui facilite la tâche.
Le chef de l’État parvient à contrôler le jeu politique : après avoir gouverné par décret dans les premiers mois de son mandat, il profite de sa large majorité au Parlement pour lancer sa politique. Ainsi, la première année de son mandat se déroule sans accroc majeur.
Patrice Talon, ennemi public numéro 1 ?
Plusieurs événements vont ensuite venir contrarier sa stratégie. En mars 2017, Candide Azannaï, son ministre de la Défense et soutien de longue date, démissionne. Le départ de ce stratège madré et redouté affaiblit le chef de l’État.
Quelques jours plus tard, les députés qui avaient voté à l’unanimité le budget 2017 refusent d’examiner son projet de Constitution. À Cotonou, c’est l’électrochoc.
En quelques jours, la parole se libère : ceux qui n’osaient pas critiquer le pouvoir en public s’émancipent. Patrice Talon a désormais une opposition.
Cela finit de le convaincre qu’il a besoin d’un véritable bloc politique pour soutenir son action. Le 17 avril, il rassemble dans un salon du Novotel de Cotonou des élus qui lui sont fidèles.
Au premier semestre de 2018, selon nos sources, Talon compte faire passer deux lois
Moins d’un mois plus tard, une soixantaine de députés de tous bords officialisent leur soutien et se regroupent au sein du Bloc de la majorité parlementaire (BMP). Briefés par les membres du gouvernement à chaque projet de loi, ils deviennent la courroie de transmission entre Talon et l’Assemblée.
Le chef de l’État refuse que ce groupe agisse comme un parti classique, mais lui transmet régulièrement des messages. Les premiers mois, Talon entretient des rapports assez informels avec les députés.
Il communique avec eux via son bras droit, Olivier Boko, via Adrien Houngbédji, le président du PRD, élu au perchoir en avril 2015, ou par l’intermédiaire des têtes de pont du BMP : Augustin Ahouanvoebla, élu PRD, Rachidi Gbadamassi, l’influent député de Parakou, ou les anciens présidents de l’Assemblée nationale que sont Bruno Amoussou et Mathurin Nago.
Mais à la demande des députés, que Talon ne consulte pas directement et qui s’agacent parfois du poids trop important pris par certains, celui-ci a accepté de revoir son fonctionnement. Des représentants du Bloc devraient bientôt être désignés et devenir le point de contact officiel avec le chef de l’État.
Le souhait d’une majorité groupée
Finalement, Talon est parvenu à resserrer son emprise sur l’Assemblée. Un député du BMP affirme que celui-ci leur a demandé, le 8 novembre, « de commencer à préparer les législatives de 2019 » : « Il souhaite que la majorité présidentielle reste groupée, qu’elle ne forme qu’une ou deux listes. »
Au premier semestre de 2018, selon nos sources, Talon compte faire passer deux lois. Une première modifiant la charte des partis politiques, une autre réformant le code électoral.
Le but étant de favoriser le regroupement de la myriade de partis existant aujourd’hui (environ 150) et de s’assurer que ceux « qui survivront » auront une base représentative.
Il est trop tôt pour assurer que Talon se représentera. Mais il fait de la politique comme un futur candidat
Pour Patrice Talon, l’enjeu est aussi idéologique que stratégique, puisque l’opposition pourrait en ressortir affaiblie. Or il pense déjà à 2021, date de la prochaine présidentielle.
Lui qui avait annoncé qu’il ne ferait qu’un seul mandat semble désormais vouloir jouer les prolongations depuis que son projet de réforme de la Constitution (qui prévoyait d’instaurer le mandat présidentiel unique) a échoué.
« Il est trop tôt pour assurer que Talon se représentera, conclut un visiteur du soir du palais de la Marina. Mais il fait de la politique comme un futur candidat. »
La grogne des alliés
De nombreux acteurs politiques de premier plan espéraient faire leur apparition dans le gouvernement remanié le 27 octobre. Mais Patrice Talon en a décidé autrement, et il a dû calmer le mécontentement qui couvait au sein du Bloc de la majorité parlementaire (BMP).
La colère est encore plus grande au sein du Parti du renouveau démocratique (PRD) : sur les sept noms proposés, un seul a été retenu (celui de Serge Ahissou, nommé ministre de l’Industrie et du Commerce).
Allié principal du chef de l’État, Adrien Houngbédji pourrait-il revoir son soutien ? « Il a pris part au processus de sélection des ministres. Talon le consulte très régulièrement. Il n’y a aucune tension entre les deux », assure un proche du président.
Selon notre source, Talon attendrait les législatives de 2019 pour faire entrer ses alliés du BMP au gouvernement.
Tour de force
Patrice Talon a réussi à bouleverser la répartition à l’Assemblée nationale sans élections législatives – les dernières ayant eu lieu en avril 2015. À son arrivée au pouvoir, 11 partis se partagaient les 83 sièges disponibles.
Aujourd’hui, partisans et opposants au chef de l’État sont répartis en deux grand groupes (le Bloc de la majorité parlementaire et le bloc de la minorité parlementaire) : 60 députés pour le premier, 23 pour le deuxième…
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