Au Nigeria, Lola Shoneyin veut transmettre l’amour du livre
Romancière et éditrice passionnée, la Nigériane Lola Shoneyin organise chaque année l’Aké Festival, à Abeokuta, où elle réunit des écrivains anglophones comme francophones.
Tee-shirt extra-large, jean délavé, baskets élimées. Les yeux rivés sur son portable, Lola Shoneyin pourrait, à 43 ans, passer pour une adolescente attardée. Son style décontracté dénote au pays du bling-bling, où les femmes aisées se font facilement refaire le visage et le corps à la manière de Kim Kardashian et arborent fréquemment des talons de 15 cm, des faux cils et des perruques brésiliennes.
« Les gens me prennent presque toujours pour une bénévole, avant de découvrir que c’est moi qui dirige le festival », s’amuse la fondatrice de l’Aké Festival, le plus important du Nigeria en matière littéraire, qui vient d’avoir lieu à Abeokuta, dans le sud-ouest du pays. Shoneyin en est l’âme, la femme-orchestre. Quand tout ne va pas assez vite à son goût, c’est-à-dire presque toujours, c’est elle qui déplace les tables et les chaises. « La première chose qui impressionne chez elle, c’est son énergie », souligne l’écrivain Eghosa Imasuen.
Abeokuta, un lieu important
Shoneyin possède également une incroyable force de persuasion. Et il en faut pour créer de toutes pièces un festival littéraire international au fin fond du Nigeria, ce pays n’étant pas a priori une destination de rêve pour les écrivains. Combien de fois s’est-elle heurtée à des refus ?
« Les moins courageux, ce sont souvent les Africains d’origine, ceux qui ont si peur de quitter leur confort occidental. Ils trouvent toujours une bonne excuse pour ne pas se déplacer. La crainte d’Ebola, de Boko Haram ou de la violence. Mais nous sommes loin des fiefs islamistes radicaux ! » tempête-t-elle.
Abeokuta est une ville essentielle pour la culture yorouba. À l’époque des razzias des marchands d’esclaves, les populations venaient se réfugier dans cette région escarpée, l’une des premières terres où l’enseignement s’est développé.
Abeokuta est la ville natale de Fela Kuti et de l’écrivain Wole Soyinka. Son livre le plus célèbre ici est intitulé Aké. Les années d’enfance, ouvrage qui donne son nom au festival.
L’écrivain est par ailleurs le beau-père de Shoneyin, mais, malgré ce lien de parenté, le Nobel de littérature s’implique peu, très méfiant vis-à-vis des accusations de népotisme qui fusent rapidement au Nigeria.
A Discussion on what Africans are reading with @adebolarayo @Roqeebah Nneka Ijeoma moderated by @IAkinseye #AkeFest17 pic.twitter.com/PyTbDMiTDv
— AkeArts&BookFestival (@akefestival) November 22, 2017
Une organisatrice consciencieuse
Lancé sans grands moyens en 2013, l’Aké Festival est devenu une institution. Les plus grands noms de la littérature africaine s’y sont rendus. L’an dernier, il a accueilli le Kényan Ngugi wa Thiong’o. Alain Mabanckou, Florent Couao-Zotti, Marcus Boni Teiga, Véronique Tadjo et Edwige-Renée Dro ont fait le déplacement, et même Marguerite Abouet est venue y présenter ses bandes dessinées.
Pourquoi tous les grands événements sont-ils organisés en Occident ?
« Lola Shoneyin a des qualités d’organisatrice incroyables », s’enthousiasme l’écrivaine Molara Wood. Ce qui étonne beaucoup ceux qui la connaissent depuis longtemps. « Lola était l’une des personnes les plus bordéliques que je connaissais. Comment a-t-elle réussi cette mutation ? La passion, sans doute… » s’amuse l’écrivain lagotien Toni Kan.
Il faut la voir pendant les jours qui précèdent l’événement, le moindre désistement la met en rage. Son monde semble se fracasser. Une heure après, elle repart comme si de rien n’était, plus déterminée que jamais, comme investie d’une mission. « Cela fait des années que je suis invitée dans des festivals. Souvent, je suis la seule Africaine. Pourquoi tous les grands événements sont-ils organisés en Occident ? Nous devons aussi avoir les nôtres ! »
#HowToWinElectionsInAfrica #GettingWomenInPolitics
— AkeArts&BookFestival (@akefestival) November 22, 2017
Yemi Adamolekun of @EiENigeria @bisiafayemi @DebolaLagos @IAkinseye and the First Lady of Kwara State, Mrs Omolewa Ahmed at #AkeFest17 pic.twitter.com/DUgB8K2x9z
« C’est vrai qu’il est extrêmement rare d’être aussi bien traité dans un festival. À Aké, on respecte les écrivains », estime le romancier ibo Okey Ndibe, qui vit aux États-Unis mais revient chaque année. Un peu comme en pèlerinage : « Cela me permet de retrouver la grande famille des écrivains du continent. »
Soif de lecture
Sa proximité avec les auteurs a fourni à Shoneyin les réseaux suffisants pour fonder une maison d’édition à succès : Ouida Books. « J’ai choisi un nom d’inspiration béninoise parce que je pense qu’il est temps de créer des ponts entre les deux Afrique : la francophone et l’anglophone », explique celle qui s’est récemment lancée dans l’apprentissage du français.
Créée fin 2016, son entreprise dégage déjà des bénéfices. « Avec une population de 190 millions de personnes ayant de mieux en mieux accès à l’éducation, le marché du livre est en plein boom au Nigeria », explique-t-elle, soulignant qu’elle soutient également le développement de bibliothèques scolaires par le biais de l’ONG Book Buzz Foundation, qu’elle a fondée en 2012.
Aujourd’hui, Shoneyin a un nouvel objectif : apporter la culture du livre dans le Nord, la région la plus déshéritée. « J’ai créé l’an dernier un festival à Kaduna. Là-bas, la soif de lecture est incroyable », s’enthousiasme-t-elle. L’activiste est également à l’origine d’un projet intitulé Right to Write, soutenu par l’Union européenne à hauteur de 2,4 millions d’euros et qui vise à former des jeunes du Nord à l’écriture. Un pied de nez à Boko Haram, qui affirme que le « livre est interdit ».
Parcours écossais
La liberté d’expression est l’un des combats majeurs de Lola Shoneyin. Étudiante au Nigeria dans les années 1990, elle a connu l’arbitraire de la junte militaire. Elle a manifesté contre le régime de Sani Abacha, à l’époque où il jetait en prison Moshood Abiola, le vainqueur de la présidentielle de 1993. Le même dictateur avait condamné à mort Wole Soyinka…
Issue d’une famille aisée, avec un grand-père roi et un père chef d’entreprise, Shoneyin fut envoyée à l’âge de 6 ans dans une prestigieuse pension écossaise. « Tous les ans, au moment des vacances d’été, mon père venait me chercher. Pour mes 10 ans, en 1984, il n’était pas là. Il avait été jeté en prison par Buhari, lors de son premier passage au pouvoir. Lui et d’autres hommes d’affaires avaient été convoqués par le régime sous prétexte qu’ils avaient des dettes à payer. Mon père a répondu qu’il ne voyait pas pourquoi il paierait pour des emprunts qu’il n’avait pas contractés. Cela a suffi », raconte l’écrivaine.
Ce fut le début d’une lente descente aux enfers. Fini l’Écosse. Retour au pays, sans argent. Un père ruiné et brisé par la prison. Lola Shoneyin n’a jamais oublié. Elle sait qu’au Nigeria plus qu’ailleurs les revers de fortune prennent un tour dramatique.
Shoneyin appartient à une génération qui écrit des livres plus grand public que celle de ses aînés
Son beau-père, Wole Soyinka, a lui-même passé plus de deux ans en prison pour avoir essayé de réconcilier le régime fédéral avec les sécessionnistes pendant la guerre du Biafra (1967-1970).
Méfiante vis-à-vis de l’élitisme, Shoneyin appartient à une génération qui écrit des livres plus grand public que celle de ses aînés. Baba Segi, ses épouses, leurs secrets, roman publié en 2016 par Actes Sud, évoque la question de la polygamie avec un égal mélange de profondeur et de légèreté.
Et un zeste d’humour. Grand succès au Nigeria, il a été traduit dans une dizaine de langues. Il est en cours d’adaptation au cinéma. « Mon style est simple. Je veux que mes textes soient accessibles au plus grand nombre », souligne celle qui s’est fait connaître sur la scène littéraire nigériane en publiant, il y a plus de vingt ans, ses premiers recueils de poésie.
« Mes amis nigérians me reprochent fréquemment d’être trop proche des Occidentaux », souligne Lola Shoneyin, qui ne cache pas qu’elle possède la double nationalité. Britannique, elle l’est par les papiers, mais aussi par la mentalité. Elle peut parler l’anglais posh et, dans une autre vie, elle fut enseignante en Angleterre. Il suffit que l’un de ses chiens, des lhassas apsos, tombe malade pour qu’elle panique. « So British! » s’exclament ses amis.
Des romans made in Nigeria
Portées sur les fonts baptismaux il y a à peine un an, à Abeokuta, les éditions Ouida Books se portent à merveille. « Nous sommes rentables depuis le début », se réjouit Lola Shoneyin.
Elle n’est pas peu fière d’une « production » 100 % nigériane. « Nos romans sont écrits par des auteurs nigérians. Ils sont imprimés à Lagos. Même les couvertures sont conçues ici, s’enthousiasme la poétesse yorouba.
Nous publions de la science-fiction et du polar alors que ce type de littérature était jusqu’alors méprisé. Je privilégie des textes qui s’adressent au grand public. » Certains romans se sont déjà vendus à plus de 10 000 exemplaires, comme Stay With Me, d’Ayobami Adebayo.
Ouida Books a été lancé avec quelques dizaines de milliers de dollars empruntés à des amis passionnés, « plus là pour aider que pour s’enrichir », selon l’un des bienfaiteurs.
Prochain défi : publier des auteurs du Nord dans un pays où ils ont rarement voix au chapitre. Ce mois-ci sort An Abundance of Scorpions, le premier roman de Hadiza Isma El-Rufaï, écrivaine de Kaduna qui ose parler de la sexualité et de la place des femmes dans la société musulmane.
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