Mouloud Achour, la voix de sa génération
Le journaliste et producteur d’origine algérienne fédère un public qui lui ressemble : jeune, ultraconnecté et qui prend le temps du débat.
Il nous accueille dans les bureaux parisiens de sa société, Première Fois Productions. Souriant, il tourne le dos à une étagère où se nichent des récompenses musicales, comme celle du rappeur MHD. Mouloud Achour, 37 printemps, est devenu en quelques années une figure incontournable du paysage audiovisuel français. La reconnaissance ne l’empêche pas de rester décontracté. Son ambition ? « Être le prince de ma ville », lâche-t-il, un large sourire illuminant son visage tandis qu’il indique du doigt une pochette d’album du groupe de rap 113, qu’il vient de citer.
La belle histoire
Achour, né en Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, a commencé dans la presse rap, chez Radikal… mais a fait beaucoup de chemin depuis. De 2008 à 2013, il officie au Grand Journal de Canal+.
En 2013, il anime Clique, sur la même chaîne. Le concept, à l’époque, ne prend pas bien. Du moins sa diffusion télé. Mais en replay, il fonctionne mieux que certaines émissions-phares de la chaîne.
Les fans se racontent encore le passage de Kanye West chez Achour : le rappeur américain lui a réservé sa première interview filmée en France.
Et les entretiens en plateau retransmis sur le site clique.tv connaissent un énorme succès. À tel point que l’émission est réadaptée : depuis la rentrée, il présente toutes les semaines Clique Dimanche.
Le concept a été adapté pour séduire une audience plus large que les jeunes urbains ou périurbains qui suivent l’animateur : les invités, le ton sont plus classiques. Le 12 novembre, l’émission a réalisé sa meilleure audience : 123 000 téléspectateurs.
« Mouloud » il clique tous les dimanches
« Mouloud », comme il est le plus souvent appelé par son public, s’est lancé sur la bande passante « à la hussarde ». C’est là qu’il s’est révélé.
Il devient un visage singulier et précieux du paysage médiatique. « Clique », le nom du site à l’impératif, porte à la fois mal et bien son nom.
« La culture, c’est le reflet de l’époque », souligne l’animateur
Parce qu’on ne vient pas forcément s’y délasser les neurones en se passionnant, par exemple, pour la dernière coupe de cheveux du rappeur Sofiane… On peut aussi y lire un long entretien érudit avec l’auteure et sociologue franco-marocaine Kaoutar Harchi.
Les formats marient le décalé et le sérieux, la culture populaire et la politique… comme l’atteste cet entretien ovniesque avec le philosophe marxiste Alain Badiou, qui analyse la chanson Validée, de Booba. « La culture, c’est le reflet de l’époque », souligne l’animateur, qui a toujours une formule définitive à portée de lèvres.
De fait, le site et son fondateur ressemblent à leur génération : ils lient des contenus qui peuvent paraître disparates mais forment un tout homogène dont la force est d’imposer et d’exposer les contre-cultures au grand public.
« À l’époque, on nous regardait de haut », précise-t-il à propos de sa prime carrière dans le monde du hip-hop. Entre-temps, le genre musical est devenu hégémonique. Et sa recette paie : aujourd’hui, Clique, c’est 1 million de visiteurs uniques par mois. Dont 25 % de l’étranger.
Mouloud Achour, le militant
Achour va au-delà d’un traitement convenu de l’actualité. Parmi ses expériences les plus originales, citons Téléramadan. Une revue au numéro unique parue le premier jour du ramadan en 2016 et qui donnait la parole à des personnalités comme la sociologue Nilüfer Göle, auteure de Musulmans au quotidien (éditions La Découverte).
« C’était un moyen de prendre du recul devant un flot d’informations matraquées et pas toujours remises dans leur contexte… », explique-t-il tout en branchant son téléphone portable, sur lequel il jette un coup d’œil. « Je ne voulais pas répondre par des tweets. »
Entre 2016 et 2017, Achour présente un Gros Journal, sur Canal+, très proche de clique.tv dans l’esprit et rediffusé sur son site. Certains relèvent la familiarité d’Achour et de ses « convives », qu’il tutoie la plupart du temps et qui sont rarement mis à mal.
« Les questions identitaires sont au centre du débat. Et ce débat, on ne va pas le fuir », résume-t-il
Ils disposent en revanche d’un temps dont ils sont souvent privés sur de nombreux plateaux. Certains d’entre eux sont d’ailleurs rares sur le petit écran : c’est le cas par exemple d’Assa Traoré, militante dont le frère est mort lors d’une interpellation par la police française, invitée à deux reprises par Achour.
Pour autant, le trentenaire se défend d’être « militant ». Si son site apparaît parfois comme engagé, c’est que le racisme est une réalité qu’il ne peut ignorer.
« Les questions identitaires sont au centre du débat. Et ce débat, on ne va pas le fuir », résume-t-il. Il ne se veut pas pour autant le porte-parole de la diaspora.
À première vue, le seul indice hypothétique de ses origines algériennes est peut-être sa passion pour le dessin animé japonais Dragon Ball Z, ultrapopulaire à Alger. « Il y a mille choses qui indignent et qui sont trop peu discutées dans les médias », remarque-t-il.
« Le suicide chez les agriculteurs. Voilà un sujet qui tord le ventre. Tu peux pas ne pas être frappé par des faits comme ça. » Des colères, des sujets d’émissions, des projets, Mouloud Achour en a encore beaucoup. Lui qui lâche, l’air de rien : « Peut-être des Clique étrangers… »
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