Maroc : réplique d’un séisme
Après neuf responsables gouvernementaux, c’est au tour de quatorze hauts commis de l’État de faire les frais du désaveu royal exprimé le 24 octobre.
Après le limogeage par Mohammed VI, le 24 octobre, de quatre responsables gouvernementaux en fonction et le bannissement de cinq anciens ministres ayant quitté leur poste après la nomination du cabinet El Othmani, un coup de balai vient à nouveau secouer les départements ministériels qui ont failli dans l’exécution du projet Al Hoceima, phare de la Méditerranée.
Une décision attendue, puisque le communiqué du cabinet royal publié à l’issue de la présentation devant le souverain du rapport de la Cour des comptes sur ce chantier titanesque évoquait « le reste des responsables administratifs au sujet desquels les rapports ont relevé des manquements et des dysfonctionnements dans l’exercice de leurs fonctions, et qui sont au nombre de 14 » et soulignait que « Sa Majesté le roi a donné ses hautes instructions au chef du gouvernement en vue de prendre les mesures nécessaires et de soumettre un rapport à ce sujet à Sa Majesté ».
Le roi a chargé le chef du gouvernement de faire le ménage
Selon certaines sources, le rapport de Saadeddine El Othmani est déjà prêt et aurait même été transmis au cabinet royal. « Mais il ne faut pas s’attendre à une réponse officielle du Palais, nous explique un connaisseur des arcanes du Méchouar. Comme le dit clairement le communiqué, le roi a chargé le chef du gouvernement de faire le ménage. »
Pourtant, El Othmani tarde à rendre public ce rapport, ou du moins à révéler l’identité des 14 hauts responsables sanctionnés, malgré la fuite de certains noms et la confusion engendrée.
« Il est peu probable que le chef du gouvernement publie un communiqué relatif à ce sujet. Les noms des personnes relevées de leurs fonctions seront publiés au Bulletin officiel », nous confie une source proche de la primature, laquelle affirme qu’El Othmani a déjà apposé sa signature sur les décrets permettant le limogeage de plusieurs hauts commis de l’État.
Le poids des médias
Certains noms figurant sur la liste des quatorze sanctionnés ont effectivement été révélés par les médias. Le scoop revient au site d’information atlasinfo.fr, dirigé par Hasna Daoudi, qui a longtemps officié comme chef du bureau de l’agence Maghreb arabe Presse, à Paris.
Le site a évoqué la mise à l’écart de six secrétaires généraux de ministères, en plus du directeur de l’Agence pour la promotion et le développement des provinces du Nord. La responsabilité de cette agence dans les dysfonctionnements du projet d’Al Hoceima a été clairement relevée dans la synthèse du rapport de la Cour des comptes.
Certains noms figurant sur la liste des quatorze sanctionnés ont effectivement été révélés par les médias
L’institution, présidée par Driss Jettou, a estimé que « la décision de confier à l’Agence du Nord la réalisation d’un nombre important de projets, pour un montant total de près de 3 milliards de dirhams [environ 270 millions d’euros], représentant plus de 46 % du budget global du programme, comporte des risques en matière de suivi, de coûts et de délais ».
La Cour s’est interrogée aussi sur la « capacité de cette agence à réaliser, en plus de ses propres projets engagés dans d’autres provinces du Nord, un programme de cette envergure, malgré ses moyens humains limités ».
En conséquence, Mounir El Bouyoussfi, directeur général de l’agence depuis octobre 2014, s’est retrouvé dans le collimateur du gouvernement, et sa mise à l’écart paraît crédible.
Mais à l’heure où nous mettions sous presse, personne n’était en mesure de confirmer que son nom figure dans la liste des personnes visées par les sanctions du Premier ministre. L’intéressé est resté injoignable, mais une source autorisée à l’agence soutient qu’il continue « d’assurer ses fonctions normalement », mais, « tant qu’il n’y a rien officiel, nous restons nous aussi dans l’expectative ».
Tergiversations
En revanche, les sanctions contre plusieurs secrétaires généraux des ministres révoqués sont effectives. Parmi eux, Abdelouahed Fikrat, promu il y a moins de cinq mois secrétaire général au département du chef du gouvernement.
Ce centralien occupait le même poste au sein du ministère de l’Environnement, alors dirigé par Hakima El Haité, ancienne secrétaire d’État bannie à vie de toute haute fonction, au point d’être priée de renoncer à sa participation à la COP23, malgré son statut de championne marocaine du climat auprès de l’ONU.
Le limogeage des homologues de Fikrat aux départements du Tourisme et de l’Habitat est également confirmé. Selon des fonctionnaires de ces ministères, les deux secrétaires généraux Nadia Roudies et Fatna Chihab ont disparu de la circulation depuis que ces sanctions ont été évoquées par les médias.
Idem pour les secrétaires généraux des départements de la Culture (Mohamed Lotfi Mrini) et de la Santé (Abdelali Alaoui Belghiti), qui, selon nos sources, ont reçu la notification de leur renvoi et ont déjà vidé leurs bureaux. Au ministère de la Jeunesse et des Sports, la sanction a concerné non seulement le secrétaire général, Abdellatif Aït Laamiri, mais aussi le directeur du Budget, Rouh Al Islam Chimi.
En revanche, le sort du secrétaire général du département de l’Éducation nationale, Youssef Belqasmi, n’est pas encore connu. Si plusieurs médias affirment que son nom figure dans la liste des sanctionnés, certaines sources expliquent que l’homme fort du département, qui a vu défiler trois ministres de l’Éducation nationale depuis sa nomination, en 2009, continue d’assurer ses fonctions.
Mais ce ne serait que temporaire à en croire d’autres sources, qui soutiennent que Belqasmi n’a pas encore reçu la notification de son limogeage pour lui laisser le temps d’épauler, pendant les discussions sur le projet de loi de finances, Mohamed Laaraj, ministre par intérim de ce département.
L’Intérieur épargné
Les sanctions contre les secrétaires généraux ayant travaillé sous la tutelle des ministres désavoués par Mohammed VI paraissent logiques. Sauf que cette logique n’a pas prévalu pour le département de l’Intérieur.
Noureddine Boutayeb a été épargné, alors qu’il a occupé pendant sept ans le poste de wali secrétaire général du département de l’Intérieur, avant d’être nommé ministre délégué au sein de ce même département avec l’avènement du gouvernement El Othmani.
« Sa responsabilité n’a pas été directement établie lors des différentes enquêtes réalisées au sujet des projets Al Hoceima, contrairement à ses homologues des autres départements ministériels », nous confie un haut responsable qui a eu accès au rapport détaillé de la Cour des comptes.
Notre interlocuteur explique en revanche que d’autres hauts fonctionnaires de l’Intérieur devraient théoriquement figurer dans la liste des quatorze sanctionnés, jalousement gardée secrète par le chef du gouvernement. Un silence incompréhensible qui en dit long sur les tergiversations qui caractérisent le début du mandat d’El Othmani.
Wait and see…
« Secrétaire général est le poste le plus stratégique au sein d’un ministère, c’est un peu lui qui fait tourner la boutique. » Les propos sont d’un ancien ministre qui nous confie qu’il n’aimerait pas être à la place des six ministres actuellement privés de leurs secrétaires généraux.
D’autant qu’il leur est impossible de proposer des remplaçants avant l’ajustement ministériel à venir, surtout pour les trois départements (Santé, Habitat et Éducation) chapeautés par des ministres intérimaires.
Attentisme
Selon des sources proches de Saadeddine El Othmani, le chef du gouvernement n’a pas encore relancé les leaders du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et du Mouvement populaire (MP) pour recueillir les noms des éventuels remplaçants de leurs ministres déchus.
Un attentisme que certains expliquent par le fait que Mohammed VI est en tournée au Moyen-Orient et que la nomination des nouveaux ministres ne peut intervenir avant son retour. D’autres voient en revanche dans l’inaction d’El Othmani les prémices d’un remaniement bien plus élargi, plutôt que le remplacement poste par poste au profit des mêmes partis qu’il préconisait initialement.
D’autant que le futur gouvernement comptera un nouveau maroquin : le ministère des Affaires africaines, dont le roi avait annoncé la création lors de son discours du 20 août.
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