Ernest Dikoum, DG de Camair-Co : « À l’avenir, l’aérien pourra s’autofinancer au Cameroun »
Après s’être relancée grâce aux lignes domestiques, la compagnie Camair-Co reprend l’exploitation de liaisons régionales. L’apurement de sa dette par l’État et une chasse aux coûts doivent la ramener à l’équilibre.
«Il nous a donc fallu reculer pour mieux sauter », confie Ernest Dikoum, ancien responsable d’Emirates pour l’Afrique de l’Ouest et directeur général de Camair-Co depuis août 2016. Après avoir frôlé la banqueroute, la compagnie a suspendu toutes ses dessertes régionales et intercontinentales pendant un an, ne conservant que ses liaisons intérieures.
Et les premiers résultats sont là : depuis juillet 2017, les recettes mensuelles ont triplé, atteignant 1,2 milliard de F CFA (1,8 million d’euros). Suivant le plan sur sept ans élaboré par Boeing, elle nourrit désormais beaucoup d’ambitions au niveau régional et intercontinental (Londres, Bruxelles, Paris, Washington) ainsi que dans les domaines du fret et de la maintenance, avec un plateau prévu à Douala.
Elle compte aussi à terme élargir à quatorze avions une flotte aujourd’hui réduite à cinq appareils. Rencontré à la mi-novembre lors de l’assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa), à Kigali, Ernest Dikoum répond aux questions de JA et explique notamment comment il entend faire de Camair-Co une entreprise profitable.
Jeune Afrique : Plus d’un an après votre arrivée, quels sont les résultats du plan de relance mis en œuvre ?
Ernest Dikoum : La première phase de notre plan est passée par la reconstitution du réseau domestique sur trois villes. Nous avons ouvert la desserte de Bafoussam, dans l’Ouest, celle de Bamenda, dans le Nord-Ouest – fermées depuis une vingtaine d’années – et ouvrirons bientôt celle de Bertoua, dans l’Est.
Nous sommes autour de 70 % en matière de ponctualité, contre 35 % antérieurement
Il y a désormais quatre fréquences quotidiennes entre Douala et Yaoundé, contre une ou deux auparavant. Avec 200 000 passagers transportés cette année entre le nord et le sud du pays, le taux de remplissage de cette ligne avoisine 90 % [contre 51 % globalement], le taux de régularité atteint 86 %, et nous sommes autour de 70 % en matière de ponctualité, contre 35 % antérieurement.
Avec ces performances, nous sommes encouragés à faire plus et, progressivement, au niveau régional, sur des trajectoires bien ciblées. Nos équipements le permettent. Nous sommes au début de la deuxième phase : la reprise des dessertes fermées en Afrique centrale.
Alors que nous avions maintenu la desserte de N’Djamena, nous avons repris le service deux fois par semaine vers Cotonou, vers Libreville – le 27 octobre –, et nous retournerons à Bangui le 3 décembre. Nous viserons ensuite la réouverture des lignes d’Abidjan et de Johannesburg, et l’inauguration de celle de Dakar.
Vous reconstituez peu à peu votre réseau. comment ne pas reproduire les erreurs du passé ?
À l’ouverture de la compagnie, la priorité avait été de se tourner vers l’intercontinental. La desserte naturelle de Paris représentait d’ailleurs un pourcentage considérable du chiffre d’affaires. Or le potentiel du trafic domestique avait été négligé. Nous avons renversé cette logique.
Nous intervenons sur des secteurs courts avec des billets aux tarifs non négligeables
Nos revenus sur le domestique sont supérieurs à ce qu’ils étaient lorsque l’avion allait à Paris. En effet, nous intervenons sur des secteurs courts avec des billets aux tarifs non négligeables : 240 dollars [204 euros] en moyenne.
Vous parvenez à combler les pertes ?
Notre déficit d’exploitation était de 3 millions de dollars par mois l’année dernière, il est tombé en juillet à 200 000 dollars par mois. La réduction des charges s’est faite à tous les niveaux, jusque dans la consommation d’encre, qui s’élevait à 10 millions de F CFA par mois !
Nous cherchons à lever des fonds via Ecobank et non par l’État. Il n’y a aucune pression sur les fonds publics
La masse salariale a été énormément réduite. Les salariés éligibles à la retraite s’en vont. Nous payons un loyer moindre dans notre nouveau siège. L’État est décidé à apurer la dette. Celle-ci est plus locale (de l’argent est dû aux structures fiscales et sociales de l’État) qu’internationale. Nous cherchons à lever 30 milliards de F CFA via un pool bancaire dirigé par Ecobank, qui a mobilisé 50 % des fonds, et non par l’État. Il n’y a aucune pression sur les fonds publics. À l’avenir, l’aérien pourra s’autofinancer au Cameroun.
Cependant, vous héritez de gros modules. N’est-ce pas un frein à votre redéploiement ?
Nos avions étaient sous-utilisés, nous en optimisons l’usage. Notre 737, qui ne volait que cent trente heures par mois, est désormais utilisé trois cents heures sur le réseau domestique. Le plan prévoit l’entrée en service de Bombardier Q400 pour soutenir les dessertes de moyenne capacité, de 737 et de 787 Dreamliner ainsi que d’un, voire deux cargos 737 pour couvrir les importants besoins de la sous-région.
Votre stratégie est un peu à rebours de celle d’Air Côte d’Ivoire ou d’Asky, qui préfèrent rester sur le domestique ou le régional. Vous visez déjà l’intercontinental… N’est-ce pas trop ambitieux ?
Ne comparez pas Camair-Co à Air Côte d’Ivoire ! Nous n’avons pas vocation à être une compagnie panafricaine. Asky et Air Côte d’Ivoire ont été créés pour répondre à la demande d’un trafic régional. Quelle est la demande intercontinentale depuis ou vers Lomé, où est basé Asky ? Notre pays est géographiquement étiré et comprend une diaspora très étalée en Europe et en Amérique du Nord.
Le coût moyen du billet d’avion en classe éco entre Douala, Yaoundé et Paris est de 1 400 euros
Le siège de la Cemac est à Yaoundé, plusieurs de ses bureaux sont décentralisés dans les pays voisins. Le Cameroun est peut-être le pays de la zone le plus outillé en matière aéroportuaire. Or, aujourd’hui, il faut passer par Addis ou Istanbul pour venir au Cameroun. Et le coût moyen du billet d’avion en classe éco entre Douala, Yaoundé et Paris est de 1 400 euros, soit le double d’un trajet vers la Côte d’Ivoire ou le Sénégal.
L’Afrique centrale est toujours affectée par la chute des cours du baril. N’est-ce pas un contexte défavorable à votre relance ?
Ce n’est pas la première fois que nous subissons une crise. L’ouverture des frontières décidée début novembre dans les pays de la zone Cemac facilitera les déplacements entre les pays, créera de la demande. Le marché est là, je l’estime à 40 millions de voyageurs.
Êtes-vous en quête de partenariats capitalistiques ou commerciaux ?
Nous discutons avec plusieurs compagnies. J’ai presque terminé les discussions commerciales avec Brussels Airlines. L’objectif, quand ils viendront à Douala, serait que je puisse amener leurs passagers à Libreville et qu’ils puissent me commercialiser sur leur réseau. Cela développera notre trafic.
Le Cameroun a une très forte communauté à Montréal, il faut que nos futurs partenaires (Corsair, Brussels Airlines) nous donnent la possibilité de faire des connexions directes avec le Canada.
Quand comptez-vous rouvrir la ligne vers Paris ?
C’est un marché qu’il faut aborder avec une bonne préparation. Si la reprise se fait, ce sera dans de bonnes conditions, avec un produit à la hauteur de la demande, un réseau de distribution plus étendu qui n’aura pas comme seul point d’aboutissement la France. Il n’y a peut-être que 30 % des passagers entre Paris et Yaoundé qui s’arrêtent à Paris, les autres vont en Allemagne, en Angleterre…
Les droits de trafic seront-ils cédés à Corsair sur cette ligne ?
Ce n’est pas la compagnie qui décide. Le Cameroun n’en a pas l’intention. Camair-Co pourra collaborer avec Corsair sans céder les droits de trafic.
Ernest Dikoum, le cinquième dirigeant depuis 2011
En raison de tensions à répétition avec les salariés, d’une rentabilité jamais atteinte entraînant une accumulation de dettes depuis le début de ses opérations en 2011, Camair-Co a connu une véritable valse de dirigeants.
C’est ainsi que, après les Néerlandais Alex Van Elk (2010-2013) et Matthijs Boertien (2013), et les Camerounais Frédéric Mbotto Edimo (2013-2014) et Jean Paul Nana Sandjo (2014-2016), Ernest Dikoum est le cinquième directeur général de la compagnie
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