Habib El Malki : « Il faut faire évoluer la Constitution marocaine »

Sanctions royales, crise du Rif, alliance avec les islamistes du PJD, diplomatie parlementaire… Habib El Malki, le troisième personnage de l’État répond aux questions qui fâchent.

Le président socialiste de la Chambre des représentants dans son bureau, à Rabat, le 20 novembre 2017. © Nabila El Hadad/JA

Le président socialiste de la Chambre des représentants dans son bureau, à Rabat, le 20 novembre 2017. © Nabila El Hadad/JA

fahhd iraqi

Publié le 7 décembre 2017 Lecture : 6 minutes.

«C’est une table que je fréquente depuis un quart de siècle », nous confie Habib El Malki, qui nous a donné rendez-vous dans un restaurant discret du centre-ville de Rabat, à quelques encablures seulement du Parlement, où il siège depuis 1993.

Tout en dégustant son tagine de pageot royal, le président de la Chambre des représentants prend son temps pour répondre aux questions : le ton solennel, le verbe mesuré… On comprend mieux pourquoi il est réputé consensuel et a duré en politique.

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Une qualité qui a permis à cet économiste de formation d’être élu au perchoir début 2017, alors que la coalition gouvernementale n’était même pas encore formée et que son parti, l’Union socialiste des forces populaires (USFP), n’était même pas assuré d’en faire partie. Entretien.

Jeune Afrique : Jamais le roi n’a été aussi critique envers la classe politique que lors de ses derniers discours. Comment prenez-vous ce ton sévère de la part du chef de l’État ?

Habib El Malki : Mohammed VI est un grand réformateur. Il est porteur d’une vision réaliste de ce que doit être le Maroc des vingt prochaines années. Son ton est compréhensible, car il y a un décalage dans le rythme qui crée parfois des malaises : certains sont au stade de la marche tandis que d’autres sont à celui de la course.

Que pensez-vous des sanctions royales à la lumière de l’enquête sur le projet Al Hoceima, phare de la Méditerranée ?

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C’est l’une des rares fois où l’on assiste à un rappel à l’ordre de cette ampleur. Cela reflète une gouvernance exigeante, qui est salutaire pour le pays et contribue à l’émergence d’une nouvelle culture : la responsabilité n’est pas un privilège.

Mais croyez-vous que le rapport a été impartial et que les sanctions ont été justes ?

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S’il y a des limites aux enquêtes des départements des Finances et de l’Intérieur, ainsi qu’au rapport de la Cour des comptes, il faut les étudier de près. Ils ont le mérite d’avoir soulevé un véritable problème de gouvernance. Et personnellement, je considère que les mesures décidées par le roi s’inscrivent dans l’édification d’un État de droit, dont l’un des piliers est justement le principe de reddition des comptes.

Les problèmes de gouvernance ne se limitent pas aux seuls projets d’Al Hoceima. Pourquoi le Parlement ne prend-il pas les devants pour lancer des enquêtes sur d’autres projets d’envergure qui connaissent des dysfonctionnements ?

Le règlement intérieur de la Chambre des représentants permet aux groupes parlementaires de constituer des commissions d’enquête. Les bureaux des commissions permanentes peuvent également engager des missions d’information. Il y a effectivement ces deux possibilités, et si demain un groupe parlementaire prend cette initiative, le bureau de la Chambre ne pourra que l’approuver.

La politique conduit à des impasses quand elle n’est pas soutenue par une capacité d’adaptation et une grande lucidité

De manière générale, quelle lecture faites-vous de la crise du Rif à l’origine de ce « séisme politique » ?

Dès le début de ce mouvement revendicatif social, l’USFP a été le premier parti à tenir un conseil régional, à Tanger, pour discuter de la situation avec ses élus locaux. Nous avons soutenu les revendications de la population d’Al Hoceima, que nous considérions comme étant à caractère social.

C’est tout à fait légitime de réclamer des écoles, des hôpitaux, des routes, des emplois, l’accès à l’eau… Au niveau parlementaire, il y a eu plusieurs questions orales et écrites. Et nous avons même consacré une des séances mensuelles, en présence du chef du gouvernement, à la thématique de la justice territoriale pour parler des problèmes du Rif.

Mais il est vrai que l’installation dans la durée de ce mouvement a posé problème. Et c’est ce qu’il faut analyser, tout en soulignant le comportement responsable des forces de l’ordre et l’attitude pacifique, de manière générale, des manifestants. De part et d’autre, les choses n’ont pas débouché sur quoi que ce soit d’irréversible.

Pourquoi l’USFP n’appelle-t-elle pas à la libération des détenus du Rif, comme le font d’autres formations politiques ?

Il faut juste respecter les procédures : la grâce est royale alors que l’amnistie est parlementaire. Il y a un procès en cours, mais je crois que le temps politique peut réguler le temps pénal, quand les conditions seront réunies.

Être président du Parlement alors que l’on appartient à un parti qui compte à peine le minimum requis pour un groupe parlementaire ne vous complique-t-il pas la tâche ?

Pas du tout ! La fonction de président de chambre est une fonction d’arbitre. Un président doit être respectueux de l’esprit et de la lettre des textes qui organisent le Parlement, mais doit être ouvert à toutes les composantes de la Chambre.

Il est normal que l’USFP soit partie prenante dans cette expérience d’édification d’un Maroc nouveau

Jusqu’à présent, tous les problèmes sont réglés de manière consensuelle, dans la concertation et en prenant en considération les positions des uns et des autres, dans le strict respect du règlement intérieur. Une institution parlementaire est de toute façon une institution de négociation.

Comment avez-vous pris le niet d’Abdelilah Benkirane, le chef du gouvernement destitué, quant à la participation de l’USFP au gouvernement ?

Dès le début, l’USFP a exprimé, par la voix de son premier secrétaire, le souhait de contribuer à cette nouvelle expérience gouvernementale, comme cela a été décidé lors de notre 10e congrès national. Et jusqu’à présent, nous ne comprenons pas les causes de ce niet catégorique.

Qu’est-ce qui a changé entre 2011 et 2016, pour que l’USFP accepte de s’allier au PJD et insiste pour revenir aux affaires ?

La politique conduit à des impasses quand elle n’est pas soutenue par une capacité d’adaptation marquée par une grande lucidité. L’USFP a été une école de l’opposition pendant quarante ans. Mais le Maroc actuel n’a rien à voir avec le Maroc d’antan. Nous sommes passés des alliances idéologiques aux alliances inscrites dans une logique programmatique. Et puis les réformes en cours ont été, pendant de longues années, revendiquées et défendues par notre parti.

Le rôle joué par le Maroc au sein de sa famille africaine est très apprécié.

Alors il est tout à fait normal que l’USFP soit partie prenante dans cette expérience d’édification d’un Maroc nouveau tourné vers la démocratie et la modernité, d’autant plus que l’avènement de la Constitution de 2011 est la consécration d’un parcours du combattant que l’USFP a mené depuis sa création.

La Constitution de 2011 n’a-t-elle pas montré ses limites lors du blocage gouvernemental que le Maroc a vécu pendant six mois ?

Effectivement, il faut faire évoluer la Constitution à la lumière des enseignements tirés de la pratique démocratique. Il serait peut-être utile de remédier au vide juridique qui pose problème lorsque le parti arrivé premier aux législatives n’arrive pas à rassembler une majorité.

Peut-être faudrait-il solliciter la formation arrivée deuxième ou engager de nouvelles élections. En tout cas, la loi fondamentale doit prévoir ce genre de cas pour avoir la marge de manœuvre nécessaire pour sortir d’une situation de blocage.

Vous êtes président de l’Union interparlementaire arabe. Quel rôle pourrait jouer cette instance pour contribuer à désamorcer la crise entre le Qatar et les autres pays du Golfe ?

Le comité exécutif de l’Union interparlementaire arabe se réunit ces jours-ci. Et l’un des points que nous allons discuter est de savoir comment contribuer à jeter les bases d’un dialogue serein et responsable entre les différents pays du monde arabe.

Quid de la diplomatie parlementaire marocaine en Afrique ?

J’ai participé récemment aux travaux du congrès de l’Union parlementaire africaine qui s’est déroulé au Burkina Faso. Nous sommes également en train de préparer notre adhésion au Parlement panafricain, lié à l’Union africaine. Il faut savoir que le rôle joué par le Maroc au sein de sa famille africaine est très apprécié.

À titre d’exemple, « la déclaration de Rabat » présentée à la COP23 a été élaborée à la suite d’une journée climat tenue avec les Parlements africains. Car il y a un nouveau ciblage de notre diplomatie parlementaire qui lui permet d’être plus efficace.

Bio express

1946 – Naissance à Bejaad, dans le Moyen-Atlas

1991 – Secrétaire général du Conseil national de la jeunesse et de l’avenir

1993 – Député de sa ville natale sous les couleurs de l’USFP

1998 – Ministre de l’Agriculture dans le gouvernement de l’alternance

2002 – Rempile au gouvernement Jettou à la tête du département de l’Éducation

2012 – Brigue le poste de premier secrétaire de l’USFP

2017 – Élu président de la Chambre des représentants

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