Génération Bouteflika – Lynda Abbou : « Nos dirigeants ont tout fait pour que nos rêves soient limités »

Lynda Abbou, âgée de 27 ans, est journaliste. Comme les six autres jeunes dont Jeune Afrique vous livre le témoignage, elle n’a connu qu’un seul président.

Lynda Abbou © Romain Laurendeau/JA

Lynda Abbou © Romain Laurendeau/JA

FARID-ALILAT_2024

Publié le 5 décembre 2017 Lecture : 2 minutes.

Abdelaziz Bouteflika, alors ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme, le 27 septembre 1962. © Archives JA
Issu du dossier

Algérie : génération Bouteflika

Ils sont nés dans les années 1990 et n’ont connu qu’un seul président. JA vous livre le témoignage de sept d’entre eux. Leur perception de la vie politique, leurs motifs de satisfaction, leurs déceptions et leurs rêves… Ils se confient sans fard.

Sommaire

« Ma famille a fait campagne pour Hocine Aït Ahmed [fondateur du Front des forces socialistes, mort en 2015] lors de la présidentielle de 1999. Il y avait de l’enthousiasme et de l’espoir. Mais tous les candidats se sont retirés à la veille du vote, sauf Bouteflika. J’étais trop jeune pour saisir les enjeux politiques, mais j’ai compris plus tard qu’il avait été imposé par les militaires.

Depuis, je ne crois plus à la transparence des élections. Un jour, au collège, notre professeur d’histoire nous a expliqué, pendant un cours sur la Constitution, que le président ne pouvait faire que deux mandats consécutifs. J’y ai cru. Je n’avais pas de raison de douter de mon prof. Quelques mois plus tard [novembre 2008], Bouteflika modifiait ladite Constitution pour pouvoir briguer un troisième puis un quatrième mandat.

la suite après cette publicité

Souvenirs de répressions

J’ai alors pris la mesure du fossé qui sépare ce qu’on nous enseigne et ce que font et décident les politiques. Ce qui m’a le plus marquée pendant le “règne” du président ? Les émeutes en Kabylie, qui ont fait plus de 120 morts au printemps 2001. J’ai encore en mémoire l’image de mon frère, le visage en sang, après la marche du 14 juin 2001, à Alger. Ma mère était sous le choc.

Mes amis et mes proches me déconseillent de protester ouvertement

Aujourd’hui encore, quand j’y pense, j’en ai des frissons, et les larmes me montent aux yeux. Je ne comprends pas comment des policiers, issus eux aussi du peuple, peuvent tirer sur des jeunes qui manifestent pour réclamer leurs droits. C’est la plus grande déception des années Bouteflika.

Mon père ne veut pas que je manifeste ou que je m’engage politiquement parce qu’il a peur que je sois arrêtée. Mes amis et mes proches me déconseillent de protester ouvertement, ce qui me fait penser que je ne suis pas libre dans mon pays. Pourtant, les pluralismes politique et médiatique sont consacrés.

Je suis fatiguée de ce discours qui prétend que si la rue bouge, ça sera le retour de la décennie noire

Ailleurs, les jeunes ont le droit de sortir dans la rue, de manifester. À Alger, c’est interdit. Dès que tu sors, la police rapplique. J’entends souvent les gens me dire : “Tu es jeune, tu ne comprends pas. Tu n’as pas vécu les années de terreur. Tu parles comme ça parce que tu n’as pas vécu ce que nous avons enduré.”

la suite après cette publicité

Chantage à la stabilité

Je suis fatiguée de ce discours qui prétend que si la rue bouge, ça sera le retour de la décennie noire. Chaque fois que la société revendique le changement, ils nous font un chantage à la stabilité pour nous culpabiliser. Cette infantilisation m’est insupportable.

On peut conduire notre pays vers le progrès, la tolérance et la modernité sans violence. Ce qui me révolte le plus ? Que nos dirigeants aient tout fait pour que nos rêves soient limités. »

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image