« Mali Twist » : Malick Sidibé, incontournable source d’inspiration
Exposé en grande pompe à la Fondation Cartier, à Paris, le photographe malien Malick Sidibé n’en finit pas d’inspirer les jeunes créateurs. Au risque de la répétition.
Le clin d’œil est discret mais efficace. Dans le clip réalisé pour son tube planétaire Come Closer, sorti cet été, le petit génie de la pop nigériane Wizkid chante devant un tissu tendu aux motifs très graphiques. Antiques téléviseurs à tube cathodique, vieille cylindrée, sapes et coiffures rétro… Le réalisateur de la vidéo, Alan Ferguson, rend hommage à l’univers chic, jeune et sixties de Malick Sidibé. Il n’est pas le premier à piocher dans l’œuvre du photographe malien…
En 1997, déjà, Janet Jackson avait repris les mêmes codes esthétiques pour le clip d’un autre hit, Got ’Til It’s Gone. C’est dire si « l’œil de Bamako », disparu l’année dernière à 80 ans, n’a jamais perdu son pouvoir de séduction auprès des jeunes générations.
Mais pourquoi le pape malien de l’argentique captive-t-il encore à l’heure où les images se parent de millions de pixels multicolores ? La grande exposition monographique présentée à la Fondation Cartier donne certains éléments de réponse au fil des quelque 250 photographies accrochées dans l’espace parisien.
Génération de l’indépendance
Dès l’entrée, un délicieux parfum de nostalgie prend le visiteur par les sentiments. Et l’on comprend d’emblée que c’est peut-être cet âge d’or révolu, ce temps d’insouciance (relative) sur fond de naissance à l’indépendance qui séduit aujourd’hui.
L’expo joue d’ailleurs très bien la carte du flash-back. Sur une bande-son yéyé, twist et rock – Johnny Hallyday, Claude François, Boubacar Traoré… – imaginée par l’écrivain malien Manthia Diawara et par André Magnin, le « découvreur » français de Sidibé, on replonge un demi-siècle en arrière.
Grands formats récents, tirages des années 1960 à 1980, planches-contacts originales, on accompagne le Swinging Bamako des indépendances… Garçons et filles endimanchés, 16 ans maximum, flirtent sous la lune. Les jupes sont courtes, les nuits sont longues, les pantalons pattes d’eph de rigueur. Le jour, on prend un bain de soleil près du fleuve Niger, on brandit ses 45 tours préférés comme des trophées, on pose sur une Vespa flambant neuve…
J’ai toujours envié le travail de Sidibé, j’aurais aimé être photographiée à cette époque
Dans l’exposition, un ministudio créé pour l’occasion permet de jouer à Sidibé avec d’autres visiteurs, le temps d’un selfie rétro. L’idée rappelle la démarche de Fatoumata Diabaté, photographe malienne (d’ailleurs invitée pour quelques jours à la Fondation) qui s’amuse depuis quatre ans à recréer des studios dans la rue, mettant à la disposition des modèles des objets et des sapes délirantes : radiocassette, énorme réveil, lunettes et chapeaux extravagants…
Elle assume très clairement l’héritage et la nostalgie des « années twist » : « J’ai toujours envié le travail de Sidibé, j’aurais aimé être photographiée à cette époque, même si ce n’est pas la mienne, avoue l’artiste de 37 ans. Je me suis dit que je pouvais au moins donner cette possibilité à d’autres. »
Humilité et curiosité
Jeunesse, beauté, modernité, témoignage d’un temps où les utopies n’avaient pas été rattrapées par le cynisme politique… L’art de Malick Sidibé crée une brèche tentante dans un présent morose, voire tragique. Ce n’est pas un hasard si la chanteuse Inna Modja a demandé au photographe, qui était un ami de son père, de réaliser les photos de son premier disque, Everyday Is a New World, et le clip de la chanson « Tombouctou ».
La jeune femme garde le souvenir d’un vieil homme joyeux et coquin, qui « aimait beaucoup photographier les généreux postérieurs des dames », mais qui était surtout resté humble, continuant à travailler dans son minuscule studio aux murs couverts de boîtiers argentiques.
Il a structuré une forme d’imagerie de la modernité africaine et du beau que l’on retrouve partout…
Dans les années 1960, le photographe avait sa table et un « sucré » à toutes les fêtes. Il portait un regard curieux sur la danse, la musique et la mode de l’époque. S’il participait rarement aux réjouissances, il était fasciné par le tourbillon créatif qui secouait les nouvelles générations.
L’exposition présente des portraits du couturier de Bamako Amadou Ballo, qui venait faire des prises de vue de chacune de ses nouvelles pièces au studio. Juste retour des choses, le monde de la mode s’intéresse aussi aujourd’hui à Sidibé. Gucci, par exemple, a repris ses mises en scène cette année dans une récente campagne de publicité.
Pas étonnant que le photographe marocain Hassan Hajjaj, qui capte la beauté subversive des black dandys, joue également sur les effets de son aîné malien. Poses provocantes, fonds chargés de motifs très graphiques, regard des modèles face à l’objectif… Chez Hajjaj s’ajoute une critique du capitalisme : des produits de consommation – conserves, bouteilles – s’invitent sur ses clichés, semblant dire que les Africains se définissent d’abord par ce qu’ils achètent.
Photographie optimiste d’une Afrique en mouvement
Au fond, Malick Sidibé (avec le Malien Seydou Keïta et le Congolais Jean Depara) est aujourd’hui une référence, un pionnier, que ses suiveurs peuvent imiter, contourner, rejeter, mais qu’ils ne peuvent ignorer. Il a structuré une forme d’imagerie de la modernité africaine et du beau que l’on retrouve partout…
Jusque chez le très tendance photographe sénégalais Omar Victor Diop. Les deux artistes ont d’ailleurs déjà été réunis lors d’expositions. Curieusement, malgré le noir et blanc de l’un, les couleurs vives de l’autre (notamment pour sa série Le Studio des vanités), leurs portraits se télescopent. Pose frontale, beaux atours, objets fétiches…
Le dispositif vise au même effet pour le modèle : se présenter sous son meilleur jour et séduire le spectateur. C’est la même jeunesse optimiste et conquérante qui plante son regard dans le nôtre, loin des clichés parfois misérabilistes réalisés par l’Occident. Une Afrique en mouvement.
Et c’est le mouvement saisi par Malick Sidibé, justement, qui a inspiré le peintre JP Mika, à qui la Fondation Cartier a commandé deux toiles pour l’exposition. Comme souvent, l’artiste au style photoréaliste, né à Kinshasa en 1980 et représenté par la galerie d’André Magnin (comme Malick Sidibé et Omar Victor Diop), s’est mis en scène.
Les artistes devront aussi dépasser cet héritage pour ne pas faire éternellement bégayer la création africaine.
On le voit habillé en sapeur, pompes cloutées aux pieds, posant avec femme et enfant sur un scooter. Chez JP Mika comme chez les autres artistes influencés par Sidibé, l’inspiration vintage est un étonnant bain de jouvence. Avec ses couleurs stridentes, ses personnages contemporains (Barack Obama main dans la main avec Mandela), ses hommages aux sapeurs, il se prête à un exercice plein de fraîcheur.
Reste à savoir si le filon ne va pas finir par se tarir… Souriant, le style Sidibé se vend bien, il rassure une clientèle qui s’est peu à peu habituée à ce type d’iconographie et tend un miroir plaisant au continent. Mais les artistes devront aussi dépasser cet héritage pour ne pas faire éternellement bégayer la création africaine.
« Malick Sidibé. Mali Twist », jusqu’au 25 février 2018 à la Fondation Cartier, à Paris.
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