Liban : Saad Hariri, otage du destin

Après trois semaines d’un périple épique, le Premier ministre a fait un retour applaudi à Beyrouth et annoncé suspendre sa démission. Mais la crise est encore loin d’être finie.

Le chef du gouvernement « démissionné » par Riyad salue ses partisans rassemblés devant sa résidence dans la capitale libanaise, le 22 novembre 2017. © Bilala Hussein/AP/SIPA

Le chef du gouvernement « démissionné » par Riyad salue ses partisans rassemblés devant sa résidence dans la capitale libanaise, le 22 novembre 2017. © Bilala Hussein/AP/SIPA

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 29 novembre 2017 Lecture : 3 minutes.

De son départ discret de Beyrouth, le 3 novembre, à son retour dix-huit jours plus tard sous les vivats, c’est une odyssée à l’antique qu’aura accomplie le Premier ministre libanais, Saad Hariri. « Je resterai avec vous », a-t-il clamé, le 22 novembre, devant des milliers de partisans rassemblés aux abords de sa demeure beyrouthine. Son périple reste drapé de mystère.

Convoqué sans préavis à Riyad, il se serait fait accueillir à l’aéroport par des hommes du prince héritier saoudien Mohamed Ibn Salman, qui l’auraient soulagé de son téléphone et de sa montre connectée. Assigné à résidence dans son domicile riyadien, il n’en aurait été extrait que pour lire, sur une chaîne de télévision saoudienne et sous la contrainte, un texte de démission d’une virulence détonante contre ses adversaires politiques mais aussi partenaires gouvernementaux du Hezbollah.

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Au Liban, où rien ne laissait présager un tel geste, la vidéo a été immédiatement perçue comme celle d’une prise d’otage, au moment même où la justice du prince Ibn Salman arrêtait des dizaines de dignitaires et d’hommes d’affaires saoudiens accusés de corruption.

Une démission « en suspend »

À Beyrouth, l’affaire semble claire : une manipulation pour dresser le pays contre le Hezbollah chiite, allié de l’Iran, contre lequel l’Arabie saoudite se déchaîne. L’effet est contraire, et la mosaïque libanaise se cimente en défense du sunnite. Le président Michel Aoun invalide rapidement la démission qui ne respecte pas les formes constitutionnelles.

Il déclare, après s’être concerté avec le président Aoun, qu’il suspend sa démission

Les jours suivants, des apparitions filmées de Hariri au côté du roi saoudien Salman ou du prince Ibn Zayed d’Abou Dhabi, puis une interview le 12 novembre où, la mine décomposée, il s’affirme libre, ne convainquent pas du contraire. Hasard providentiel, le président français Emmanuel Macron se trouve alors à Abou Dhabi. Il se rend à Riyad et obtient des Saoudiens de recevoir le Libanais à Paris, où il atterrit le 18 novembre. Des tractations secrètes sont menées entre Paris, Riyad et Le Caire.

Le 21 novembre, Hariri est dans la capitale égyptienne, où il s’entretient avec le président Sissi, puis il s’envole pour Chypre. Sur l’île gréco-turque, il rencontre les présidents français et égyptien, affirme le quotidien libanais Al-Akhbar, qui cite des sources françaises. Le compromis alors trouvé est annoncé le lendemain à Beyrouth, où le Premier ministre tant attendu arrive enfin. Nouveau coup de théâtre, il déclare, après s’être concerté avec le président Aoun, qu’il suspend sa démission. L’Arabie saoudite, qui peut constater à la réaction libanaise et internationale avoir été trop loin, ne perd pas la face : la démission n’est pas annulée.

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Le fils de Rafiq Hariri

Pour les partisans de Hariri, l’honneur est sauf : elle n’est pas confirmée. « Cette suspension donnera du temps à Aoun, qui a annoncé des discussions avec le Hezbollah. Il pourrait ainsi obtenir du parti qu’il prenne ses distances avec les houthistes du Yémen, ennemis de Riyad, ce qui ne coûterait pas grand-chose au parti chiite, tout en permettant à Hariri de faire valoir ce gain aux Saoudiens pour se maintenir », analyse le politologue libanais Ziad Majed.

L’héritier du leader de l’importante communauté sunnite libanaise

Saad Hariri, 47 ans, est l’héritier de son père, Rafiq, qui, dans les bonnes grâces des rois qui ont précédé Salman, a bâti sa fortune en Arabie saoudite. L’héritier du leader de l’importante communauté sunnite libanaise. L’héritier du Premier ministre qui a engagé la reconstruction du pays après quinze ans de guerre civile. L’héritier, enfin, d’un drame national, celui de l’assassinat, en 2005, de son père, qui avait osé résister aux diktats de Damas.

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À 35 ans, Saad Hariri héritait d’une fortune colossale mais aussi de la charge délicate de présider aux destinées instables du Liban. Rafiq, politicien plus habile que son fils et au caractère mieux trempé, se serait-il laissé attirer dans la galère saoudienne ? Fort de ses soutiens internationaux, Saad vient d’éviter le naufrage. Mais la tempête n’a pas fini de gronder.

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