Togo – Jean-Pierre Fabre : « Le rapport de force est toujours en faveur du peuple souverain, mobilisé et debout »

Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition et président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), répond aux questions de Jeune Afrique au sujet de la crise politique qui secoue le Togo depuis plusieurs mois.

Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) lors de la campagne électorale de 2015. © Erick Kaglan/AP/SIPA

Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) lors de la campagne électorale de 2015. © Erick Kaglan/AP/SIPA

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Publié le 13 décembre 2017 Lecture : 6 minutes.

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Depuis qu’il est officiellement devenu le chef de file de l’opposition, statut qui lui a été conféré fin janvier 2016, le président de l’Alliance nationale pour le changement n’a rien changé à ses habitudes. Attaché à son image d’homme politique proche du peuple, Jean-Pierre Fabre a refusé la voiture avec chauffeur, l’aide de camp, le personnel de sécurité et les autres avantages y afférents.

Il reçoit toujours ses visiteurs dans sa maison de Kodjoviakopé (quartier populaire de Lomé), dont il a hérité de son père. Économiste de formation, l’ex-international de volley-ball fut pendant dix-huit ans le poulain de l’opposant historique Gilchrist Olympio : chargé de communication de l’Union des forces du changement [UFC] à sa création, en 1992, puis secrétaire général du parti, il remplace son mentor, qui n’a pas pu déposer son dossier de candidature à cause d’un problème de santé, en tant que candidat de l’alliance de l’opposition à la présidentielle de mars 2010.

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Deux mois plus tard, la décision unilatérale d’Olympio de rejoindre la majorité débouche sur la scission du parti et, en octobre 2010, à la création de l’ANC. Aux législatives de 2013, l’ANC remporte 19 sièges, supplantant l’UFC [3 sièges]. Et, à la présidentielle de 2015, Jean-Pierre Fabre réunit plus de 35 % des suffrages. Avec les membres du Combat pour l’alternance politique, depuis juin dernier, à l’approche des prochaines législatives (prévues mi-2018), il a lancé ses militants dans la rue pour exiger les réformes constitutionnelles et institutionnelles.

Jeune Afrique : Que répondez-vous à la proposition de dialogue formulée par Faure Gnassingbé ? *

Jean-Pierre Fabre : J’ai toujours manifesté à son égard une volonté claire d’évoquer les moyens de sortir de la crise. Les discussions auxquelles vous faites allusion devraient régler définitivement les modalités relatives aux conditions de son départ effectif du pouvoir. Nous sommes disposés à en convenir avec lui.

Fallait-il en arriver là pour que vous vous parliez enfin ?

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Mes récentes tentatives pour le rencontrer, notamment mes lettres des 13 janvier 2016 et 13 janvier 2017, sont demeurées sans réponse. À l’époque, je voulais relancer avec lui le processus de réformes constitutionnelles et institutionnelles prévu par l’APG [accord politique global, signé en 2006], qui devait aboutir, entre autres, au rétablissement de la limitation du nombre de mandats présidentiels et à celui d’un scrutin à deux tours.

Mais Faure Gnassingbé s’est obstinément enfermé dans son refus de mettre en œuvre ces réformes, sur lesquelles il s’était pourtant engagé depuis 2006. Il n’a cessé de recourir à des subterfuges pour tenter de se soustraire à ses engagements, multipliant les ateliers, les commissions et les colloques, en torpillant au passage un projet et deux propositions de loi portant sur lesdites réformes.

 Quand il s’agit de leur liberté, les populations ne peuvent pas avoir de revendications irréalistes

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Résultat : aujourd’hui, excédé par les dérives, exactions et autres atermoiements orchestrés par le régime RPT-Unir [l’ex-Rassemblement du peuple togolais, parti présidentiel, étant devenu Union pour la République en 2012], le peuple togolais souverain, massivement mobilisé sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger, via la diaspora, descend régulièrement dans les rues pour exiger le retour à la Constitution de 1992, ainsi que le départ du chef de l’État.

Cette exigence du retour à la Constitution de 1992 est-elle réaliste ?

C’est une revendication clairement exprimée par l’ensemble des populations togolaises et qui implique le départ de Faure Gnassingbé, lequel, au grand dam de ses concitoyens, perpétue un régime autocratique vieux de plus de cinquante ans. Quand il s’agit de leur liberté, les populations ne peuvent pas avoir de revendications irréalistes !

Quelle a été la teneur de vos échanges avec le Guinéen Alpha Condé à Paris, les 21 et 22 novembre ?

Nous avons remis au président Condé un mémorandum sur la situation, porté par 14 partis. Mais nos échanges se sont surtout concentrés sur les mesures d’apaisement, dont la mise en œuvre devrait permettre aux discussions politiques de se dérouler dans le climat de sérénité qui leur est nécessaire.

Ces mesures concernent principalement la libération de tous les prisonniers politiques, aussi bien ceux détenus dans l’affaire des incendies des marchés de Lomé et de Kara [en janvier 2013] que ceux qui ont été arrêtés lors des manifestations publiques pacifiques organisées par les partis d’opposition, y compris l’imam de Sokodé, enlevé à la tombée de la nuit à son domicile [l’imam, qui s’était rapproché du Parti national panafricain de Tikpi Atchadam, a été arrêté le 16 octobre].

Elles comprennent également la levée des inculpations arbitraires et fantaisistes qui frappent le chef de file de l’opposition – en l’occurrence moi-même – et toutes les autres personnes abusivement mises en cause dans l’affaire des incendies des marchés, ainsi que la levée de l’état de siège imposé dans certaines villes, comme Sokodé, Bafilo et Mango [où le chef de l’État a par ailleurs ordonné le retrait des militaires], sans oublier le rétablissement du droit à l’organisation, sans restrictions, de manifestations publiques pacifiques sur toute l’étendue du territoire togolais.

L’échec de son accord de gouvernement et la désillusion qu’il assume nous confortent dans notre attitude de fermeté

Ces discussions se feront sans Gilchrist Olympio, votre ex-mentor…

Alors qu’il s’est érigé en fidèle allié du régime RPT-Unir depuis l’accord de gouvernement qu’il a signé en 2010, au prix de sa réputation et de sa popularité, même lui déchante et, aujourd’hui, se rallie aux exigences du peuple souverain en réclamant à son tour, au nom de son parti, l’UFC, le retour à la Constitution de 1992 et le départ de Faure Gnassingbé !

Que pensez-vous de son retrait de la vie politique ?

Qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Malheureusement, par l’accord qu’il a signé le 26 mai 2010, Gilchrist Olympio aura fait prendre du retard à la lutte de libération du peuple togolais et à son dénouement, qui s’annonce désormais. Il aura ruiné les efforts et les espoirs de centaines de milliers de nos compatriotes, en particulier ses militants et collaborateurs, qui faisaient sa force et sa notoriété. Aujourd’hui, M. Olympio semble mieux comprendre les objections et les mises en garde de ces derniers, eux qui sont constamment et au quotidien confrontés, sur le terrain, à la majorité et à ses sbires !

L’échec de son accord de gouvernement et la désillusion qu’il assume nous confortent dans notre attitude de fermeté. Alors que les rapports de force étaient en sa faveur, Gilchrist Olympio a tout concédé au pouvoir qui, en retour, l’a complètement dépouillé, affaibli et neutralisé. Je lui souhaite une bonne retraite. Celle des grands politiques, qui ne reviennent pas gêner par leur ombre leurs successeurs.

Le rapport de force est-il le seul moyen de faire changer les choses ?

Le rapport de force est toujours en faveur du peuple souverain, mobilisé et debout. Aucun pouvoir, fût-il absolu, ne sait lui résister quand il se lève pour prendre son destin en main. L’ampleur de la mobilisation, lors des manifestations de la coalition des forces démocratiques, depuis le mois d’août, montre que nous sommes sur la bonne voie. Naturellement, cette mobilisation se poursuit et doit s’amplifier. Voilà pourquoi nous demandons aux forces démocratiques de rester vigilantes, tant à l’intérieur du pays que dans la diaspora.

Quelles sont les perspectives de sortie de crise ?

La crise est profonde. Notre peuple est meurtri, traumatisé, mais il reste debout, massivement mobilisé. Il ne tient qu’au régime en place de prendre en compte, sans louvoyer, l’intérêt général.

Nous répétons que l’alternance et le changement favorisent l’instauration de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance, ainsi que la promotion du respect des droits de l’homme… Autant de valeurs dont le déficit est patent dans la gouvernance actuelle du Togo. Une fois ces principes et valeurs intégrés, il suffira de planifier les différentes mesures et actions à mettre en œuvre pour une sortie de crise réelle, significative et durable. C’est tout l’objet des discussions et des négociations attendues.

(*) Cette interview a été publiée dans le N°2969 (3 au 9 décembre 2017) de Jeune Afrique

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