Maroc : comment Abdelilah Benkirane a perdu la partie au PJD

Après plusieurs mois de suspense, le verdict est tombé : le secrétaire général sortant du PJD n’a pas pu briguer un troisième mandat. C’est Saadeddine El Othmani, actuel chef du gouvernement, qui a pris sa suite, ce dimanche 10 décembre, après un vote serré et d’intenses débats. Un nouveau camouflet pour le Premier ministre déchu, qui voit son étoile pâlir un peu plus.

Le chef du gouvernement marocain Saadeddine El Othmani (g.) et son prédécesseur Abdelilah Benkirane lors d’un meeting pour les législatives en septembre 2016. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Le chef du gouvernement marocain Saadeddine El Othmani (g.) et son prédécesseur Abdelilah Benkirane lors d’un meeting pour les législatives en septembre 2016. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

fahhd iraqi

Publié le 11 décembre 2017 Lecture : 6 minutes.

Des militantes du PJD, en octobre 2016 près de Rabat. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA
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Maroc : retour sur le bras-de-fer entre Benkirane et El Othmani pour la direction du PJD

Fin d’un suspense qui aura duré plusieurs mois : Abdelilah Benkirane, le secrétaire général sortant du PJD n’a pas pu briguer un troisième mandat. Un nouveau camouflet pour le Premier ministre déchu, qui voit son étoile pâlir un peu plus. Saadeddine El Othmani, élu nouveau secrétaire général ce dimanche 10 décembre, aura fort à faire pour rassembler un parti éclaté.

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«Intaha l’kalam » (qui peut se traduire par « la messe est dite »). La formule fétiche d’Abdelilah Benkirane à l’adresse des journalistes n’a jamais été aussi appropriée qu’en ce dimanche 26 novembre. Dans le hall du centre Moulay-Rachid, à Salé, où s’est tenu le conseil national du Parti de la justice et du développement (PJD), l’ancien chef du gouvernement fait une halte devant les nombreuses caméras guettant sa sortie.

« Le parti a tranché, c’est le jeu de la démocratie. Il n’y a rien à dire », lance-t-il en faisant tourner son chapelet à la vitesse d’un hand spinner. Quelques minutes auparavant, le parlement de la formation politique a fait barrage à l’amendement de l’article 16 du règlement intérieur, une clause qui limite à deux les mandats successifs du secrétaire général. Les 25 voix de différence (sur 231 votants au conseil national) ont mis ainsi fin à un suspense qui aura duré plusieurs mois.

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Mais, surtout, elles ont définitivement enterré les ambitions de l’ancien chef du gouvernement limogé par le roi de garder la haute main sur le parti. « Je n’ai jamais demandé ni à rempiler pour un troisième mandat, ni même à devenir chef du gouvernement. D’ailleurs, je me suis toujours interdit de prendre part à ce débat », ajoute-t-il, sur un ton plus grave qu’à l’accoutumée.

Le coup de poignard de Saadeddine El Othmani

Le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Othmani, en 2008 à Rabat. © Alexandre Dupeyron pour JA

Le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Othmani, en 2008 à Rabat. © Alexandre Dupeyron pour JA

Abdelilah Benkirane a beau forcer le sourire et feindre l’indifférence, ce troisième mandat à la tête de la première force politique du royaume (125 députés sur 395), il le voulait vraiment.

Pour lui, c’était l’occasion de prendre sa revanche après l’humiliation de son limogeage par le roi et le coup de poignard dans le dos asséné par son successeur, Saadeddine El Othmani, qui a accepté toutes les conditions qu’il avait, lui, rejetées lors des tractations pour la formation d’une majorité gouvernementale; Mais l’homme, fidèle à sa réputation de politicien madré, a toujours pris soin d’éviter de parler ouvertement d’un éventuel troisième mandat, tout en laissant percer ses ambitions dans ses discours.

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« Dans un premier temps, j’avais le sentiment que c’était fini […]. Mais certains ont insisté en interne, et aussi en externe à travers la société, ce qui m’a remonté le moral […]. On me disait de ne pas baisser les bras », déclarait ainsi Benkirane, le 1er juillet, durant une réunion des élus du parti de la lampe.

C’était d’ailleurs la première allocution du zaïm rendue publique par le site du PJD après son retour d’une retraite spirituelle, pour ne pas dire religieuse, de plusieurs semaines à La Mecque. Une période pendant laquelle les instances du parti ont tourné au ralenti, accentuant la crise interne qui déchirait ses rangs.

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Fissure au sein de la formation islamiste

Les conditions dans lesquelles le gouvernement El Othmani a été formé ont en effet créé une fissure au sein de la formation islamiste, de sa base à son sommet. Sur les réseaux sociaux, des militants accusent ouvertement le chef du gouvernement et les autres ministres PJD de « trahison », les parlementaires apportent un « soutien conditionnel » au programme gouvernemental et malmènent leurs frères ministres durant les débats dans l’hémicycle, les réunions du secrétariat général tournent au règlement de comptes…

Le parti traverse la crise la plus grave depuis sa création

Les dirigeants du PJD ont reconnu eux-mêmes à plusieurs reprises que le parti traverse la crise la plus grave depuis sa création, il y a vingt ans. Et toute cette tension s’est naturellement cristallisée autour de la perspective d’un troisième mandat d’Abdelilah Benkirane, dont les partisans estiment qu’il est le seul garant de la crédibilité du parti auprès de sa base électorale.

Les plus « radicaux » appellent même les leurs à se retirer du gouvernement et ont manœuvré pour réduire l’influence des ministres d’El Othmani en limitant leur nombre à un seul au sein de la direction du parti, alors que les ministres sont tous membres de droit du secrétariat général.

Soumise devant le conseil national, la proposition d’amendement de l’article 37 du règlement intérieur du PJD fixant la composition de son secrétariat général a d’ailleurs essuyé le même refus que la révision de l’article portant sur les critères d’éligibilité du secrétaire général.

« le PJD n’est pas une zaouïa »

Lancement de la campagne du PJD, à Rabat, le 25 septembre 2016. © Alexandre Dupeyron pour JA

Lancement de la campagne du PJD, à Rabat, le 25 septembre 2016. © Alexandre Dupeyron pour JA

Le clan des ministres a été naturellement le plus farouche opposant au troisième mandat de Benkirane. L’hostilité des membres du gouvernement El Othmani est même montée d’un cran à l’approche de la date fatidique du conseil national.

Le PJD n’est pas une zaouïa [confrérie religieuse] pour dépendre d’une seule personne

« Prolonger le mandat de Benkirane reviendrait à dénaturer le PJD », répétait à l’envi Mustapha Ramid, insinuant même qu’une telle décision pourrait poser un problème de conformité avec la loi sur les partis cause du délai serré entre l’amendement des statuts et la date de tenue du congrès).

« Le PJD n’est pas une zaouïa [confrérie religieuse] pour dépendre d’une seule personne », renchérissait, de son côté, Lahcen Daoudi. Une position partagée par tous les ministres, sauf Mustapha El Khalfi, lequel a choisi de rester fidèle au zaïm, qui a fait de lui un ministre en 2012.

« Il faut savoir capter les signaux des élections partielles. Le parti a besoin de toutes ses ressources et de Benkirane à sa tête », a lancé le porte-parole du gouvernement devant ses collègues du PJD durant le conseil national.

D’autres soutiens de Benkirane ont viré de bord au dernier moment. Parmi eux, Slimane El Amrani, secrétaire général adjoint, qui s’est laissé convaincre par ses frères que permettre à Benkirane de se maintenir durant treize ans à la tête du parti conduirait à faire de lui un mourchid, un guide spirituel. Mais ce qui a pesé aussi dans la balance, c’est la position des figures de proue du Mouvement unicité et réforme (MUR), base arrière idéologique du parti. Les deux principaux prédicateurs du MUR, Ahmed Raïssouni comme Mohamed Hamdaoui, ont clairement manifesté leur opposition à un nouveau mandat de Benkirane.

Démocratie interne

« Même quand il était chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane entretenait des rapports tendus avec les leaders du MUR, nous rappelle le politologue Mohamed Tozy. Il avait d’ailleurs essayé de contrôler cette base arrière en encourageant son ex-conseiller, Abderrahim Chikhi, à prendre la tête du mouvement. »

Au-delà de la position des uns et des autres, le déroulement du conseil national du PJD a été, de l’aveu de tous les observateurs, une nouvelle illustration du bon fonctionnement de la démocratie interne au sein du parti. La formule est d’ailleurs reprise en chœur par l’ensemble des dirigeants de la formation. « Il faut admettre que le parti a bien négocié ce virage compliqué dans son parcours, poursuit Mohamed Tozy. Comparativement à ce que l’on voit dans d’autres formations politiques, le PJD a démontré qu’il a des instances qui fonctionnent et qu’il compte dans ses rangs des gens de conviction. »

Une scission aurait été plus probable si Benkirane avait rempilé pour un troisième mandat

Le politologue estime par ailleurs que le risque d’implosion du parti s’est considérablement atténué à l’issue de ce vote. « Une scission aurait été plus probable si Benkirane avait rempilé pour un troisième mandat », affirme-t-il. Mais la voie est désormais toute tracée devant Saadeddine El Othmani pour reprendre le poste de secrétaire général, qu’il avait déjà occupé entre 2004 et 2008. Et pour cause : cumuler le poste de chef du gouvernement et de secrétaire général du parti est devenu une sorte de tradition au PJD.

Abdelilah Benkirane avait lui-même usé de cet argument lors du congrès de 2012, qui lui a permis de décrocher haut la main un deuxième mandat. Le congrès du 9 décembre pourrait ainsi tourner au plébiscite en faveur de l’actuel chef du gouvernement. La formation islamiste cherchera sans doute à faire une nouvelle démonstration de son unité pour prouver que les frères ont définitivement enterré la hache de guerre et tourné, une fois pour toutes, la page Abdelilah Benkirane.

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