Bénin - Agriculture : la filière coton reprend sa marche en avant

La récolte de coton 2016-2017 au Bénin a affiché des niveaux record, et la prochaine s’annonce encore meilleure. Tandis que les usines d’égrenage tournent à plein, l’industrie textile demeure la grande absente.

La récolte de coton 2016-2017 au Bénin a affiché des niveaux record © Ji-Elle by Wikimedia Commons

La récolte de coton 2016-2017 au Bénin a affiché des niveaux record © Ji-Elle by Wikimedia Commons

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Publié le 19 décembre 2017 Lecture : 6 minutes.

C’est comme une renaissance. Mais en mieux. D’après les chiffres de l’International Cotton Advisory Committee (Icac), après une année catastrophique en 2015, marquée par un recul de 38 % de la production de coton fibre (après égrenage), 2016 a connu un rebond spectaculaire : + 67 %, de 104 000 à 174 000 tonnes (de 260 000 à 453 000 t de coton graine récolté). Un niveau qui n’avait plus été atteint depuis 2005 (171 000 t). Après une décennie jalonnée de trous d’air, dont 2010 fut l’annus horribilis (60 000 t), correspondant aux difficultés de la fibre sur le marché international (rendements qui stagnent, concurrence du polyester) et à une gestion discutable de la filière au Bénin, concernant notamment les importations d’intrants.

En juin, un rapport d’audit commandé par le gouvernement sur la période 2013-2016 a mis en cause la gestion de la filière par le pouvoir précédent : « irrégularités », « commandes non livrées », « dépenses non justifiées », « ventes d’insecticides non facturées »… Le manque à gagner s’élèverait à près de 125 milliards de F CFA (190 millions d’euros). À en croire l’Association interprofessionnelle du coton (AIC), cet épisode est révolu, et le regain observé paraît « durable ».

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Fin de la « guerre »

Selon ses propres estimations, corroborées par celles de l’Icac, la récolte 2017-2018 est partie sur des bases encore plus élevées et devrait « dépasser les 500 000 t de coton graine ». Et, d’ici à 2020, l’objectif affiché par le gouvernement est d’atteindre 600 000 t. Une vraie bonne nouvelle pour le Bénin, dont près de 80 % des recettes d’exportation et 45 % des recettes fiscales proviennent de la filière.

Pour la plupart des observateurs, cette embellie est la conséquence de la fin de la « guerre » que menait l’ex-président Thomas Boni Yayi (2006-2016) contre celui qui deviendra son successeur, Patrice Talon, « roi du coton » et propriétaire de multiples entreprises en amont comme en aval de la chaîne de valeur. Une fois élu, le nouveau président a par ailleurs engagé une réorganisation de son groupe – notamment en élargissant les activités de la Société pour le développement du coton (Sodeco), principal égreneur du pays, à la distribution d’intrants – et transmis une partie de ses actifs à ses proches.

« Les prix du coton et des engrais ont été déterminés de manière collégiale, ce qui a donné davantage de visibilité et de confiance » se réjouit Léopold Lokossou, président de la Pnoppa

Parallèlement, il s’est empressé de revenir sur les mesures prises par son prédécesseur : fin des réquisitions des usines d’égrenage de Sodeco, rétablissement de l’accord (annulé en 2012) qui délègue la gestion de la filière à l’AIC (dont Patrice Talon fut vice-président), règlement des dettes en souffrance de l’État envers la filière (équivalant à 19,5 milliards de F CFA) et fin des subventions pour l’achat d’engrais et du coton graine (23 milliards de F CFA pour la campagne 2014-2015).

« En soldant les dettes des campagnes antérieures et en assurant à nouveau l’accès aux engrais, le gouvernement a créé une forte incitation à produire », s’enthousiasme Léopold Lokossou, président de la Plateforme nationale des organisations paysannes et de producteurs agricoles du Bénin (Pnoppa). Rétablie dans ses prérogatives le 28 avril 2016, l’AIC a pu réunir producteurs, égreneurs et distributeurs d’intrants autour d’une même table. « Les prix du coton et des engrais ont été déterminés de manière collégiale, ce qui a donné davantage de visibilité et de confiance, se réjouit le président de la Pnoppa. Pour la récolte 2016-2017, un appel d’offres a permis de sélectionner importateurs et distributeurs. De ce fait, le cahier des charges a été respecté, et les intrants sont arrivés à temps. »

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Rendement en hausse

Pour la campagne 2017-2018, l’interprofession a reconduit dès le mois de mai le prix du coton graine malgré une hausse du cours du coton fibre sur les marchés internationaux, passé de 0,65 dollar/kg (0,55 euro) à 0,80 dollar/kg entre mai 2016 et mai 2017 (il était retombé à 0,69 dollar/kg le 27 novembre). Pour les agriculteurs, le premier choix a été fixé à 260 F CFA/kg, le deuxième choix à 210 F CFA/kg, et le bio à 312 F CFA/kg.

Le 15 juin, l’AIC a également maintenu le prix des engrais à hauteur de 240 F CFA/kg. Edward George, responsable de la section recherche chez Ecobank, résume la situation assez simplement : « Avant le rétablissement de l’AIC, les discussions entre le gouvernement, les planteurs, le syndicat de transporteurs et les importateurs d’intrants étaient interminables. Et personne n’était content. Les effets de cette reprise de pouvoir de l’interprofession ont été immédiatement bénéfiques. On peut dire que le secteur est revigoré, mais il reste encore de grands défis pour la filière. »

Le gouvernement s’est donné pour objectif de doubler les rendements d’ici à 2020

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D’abord côté rendement. Constamment au-dessus des 400 kg de coton fibre par hectare au cours des années 2000 (avec un pic en 2004 à 526 kg/ha), les rendements, chez les cotonculteurs béninois, ont baissé ces dernières années, le point le plus bas ayant été atteint en 2013, à 326 kg/ha. Pour la campagne 2016-2017 (416 kg/ha) et celle en cours (436 kg/ha), le Bénin a retrouvé ses standards habituels, qui le placent au-dessus des performances du premier producteur régional, le Burkina Faso (405 kg/ha prévus pour 2017-2018), mais derrière le Niger (447 kg/ha) ou le Cameroun (454 kg/ha).

Très ambitieux, le gouvernement s’est donné pour objectif de doubler les rendements d’ici à 2020, espérant rattraper les champions du continent que sont l’Afrique du Sud (998 kg/ha) ou l’Égypte (719 kg/ha). Si l’AIC dit avoir engagé une « intensification de la production », dont les résultats seront connus « au début de 2018 », les spécialistes du secteur restent prudents, d’autant que, selon Léopold Lokossou, les effets négatifs du changement climatique se font sentir « chaque année un peu plus ».

« Revitaliser » des usines

Deuxième point, plus complexe encore : la transformation locale. Aujourd’hui, la quasi-totalité de la production de coton fibre est vendue par les égreneurs béninois à des négociants européens (dont Louis Dreyfus Company), qui approvisionnent ensuite des filatures en Asie. Pour remonter la chaîne de valeur, l’idée du gouvernement serait de se fonder sur l’existant. « L’État cherche à revitaliser les usines qui fabriquaient des serviettes ou des pagnes et qui ont toutes fait faillite avec l’essor du textile asiatique dans les années 1980 », témoigne le président de la Pnoppa.

Des investissements dans les infrastructures de transport et dans l’énergie sont également envisagés pour réduire les coûts. C’est le sens du lancement à la fin du mois d’octobre d’une large opération de réfection des pistes rurales. Courant novembre, le président de l’AIC, Mathieu Adjovi, membre du premier cercle de Patrice Talon, a marqué l’intérêt qu’il y portait en effectuant une tournée à l’intérieur du pays pour s’assurer du bon démarrage des travaux.

À l’échelle mondiale, le marché du coton est hyperconcurrentiel et dominé par des pays comme la Chine, l’Inde, le Sri Lanka ou le Bangladesh

L’or blanc représente 60 % du tissu industriel du Bénin à travers 19 usines d’égrenage, 5 unités textile, 3 usines de trituration des graines et 1 usine de fabrication de coton hydrophile. Du côté de l’égrenage, il reste encore de la marge. Pour Edward George, les usines peuvent encore absorber « une augmentation de 20 % de la production de coton graine ».

Côté textile, le trader conseille de garder des ambitions mesurées. À l’échelle mondiale, le marché est hyperconcurrentiel et dominé par des pays comme la Chine (premier producteur et consommateur mondial de coton), l’Inde, le Sri Lanka ou le Bangladesh. « La seule façon d’avoir un secteur textile soutenable est de produire pour le Bénin et l’Afrique de l’Ouest », assène ainsi Edward George. Une stratégie qui en laisse certains sceptiques. « Pensez-vous que le niveau de vie des consommateurs leur permettrait d’acheter des vêtements plus chers ? » interroge Mamadou Togola, ingénieur au Centre de recherche et de formation pour l’industrie textile de Ségou (Mali).

Concentration dans l’égrenage

La société de l’homme d’affaires Martin Rodriguez, Marlan’s Cotton Industries (MCI), a dû céder début novembre son usine de Nikki, endettée à hauteur de 9 milliards de F CFA, au cours d’une vente aux enchères. La Société pour le développement du coton (Sodeco) a doublé sur le fil le groupe Aiglon avec une offre de 3 milliards de F CFA contre 2,9 milliards F CFA. En octobre, Sodeco avait déjà fusionné avec Industrie cotonnière associée, propriétaire de 5 usines. Au terme de la fusion et du rachat en cours de l’usine de MCI, le groupe contrôlera 16 des 19 unités d’égrenage du pays. Les trois autres appartiennent aux sociétés LCB, SEICB et SBTC.

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