La Nouvelle-Calédonie face au référendum de l’indépendance
Pour ou contre l’indépendance ? À l’issue d’un référendum, qui se tiendra l’an prochain, les électeurs devront se prononcer sur le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République française.
En 2018, les Néo-Calédoniens seront appelés à dire par référendum s’ils souhaitent ou non quitter la République française. Lors de son récent séjour dans l’archipel (2-5 décembre), le Premier ministre, Édouard Philippe, a habilement donné des gages aux deux camps : les indépendantistes kanaks et les autres.
Afin que cette consultation soit « transparente, sereine et incontestable », et que ses résultats soient « reconnus par tous », il a proposé devant le Congrès du territoire, le 5 décembre, une méthode qui semble faire l’unanimité : le scrutin devrait avoir lieu fin octobre - début novembre 2018 ; les formations représentées au Congrès constitueront un « groupe de dialogue » qui fera le bilan de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 et déterminera les valeurs et les projets qui font consensus avant que soit formulée la question soumise au vote. Le déroulement du référendum sera supervisé par un « comité des sages ».
Ces précautions sont essentielles pour en finir avec les séquelles du dramatique affrontement, dans les années 1980, entre le peuple autochtone kanak, qui voulait son indépendance, et les descendants des immigrés européens, les caldoches, qui la refusaient.
Identité kanak
Le 26 juin 1988, les accords de Matignon, conclus sous l’égide de Michel Rocard, le chef du gouvernement de l’époque, avaient organisé la paix et procédé à un rééquilibrage entre les deux communautés. Ils furent suivis, dix ans plus tard, sous Lionel Jospin, par l’accord de Nouméa, qui prévoyait une nouvelle période de vingt ans au cours de laquelle l’identité kanak serait reconnue, les institutions seraient réformées afin d’impliquer toutes les communautés et l’économie serait développée de façon plus équitable. À l’issue de cette période, un référendum était prévu pour trancher la question de l’indépendance. Nous y sommes.
Le raccordement à l’eau et à l’électricité, l’amélioration de l’habitat et des routes, la construction d’hôpitaux et d’écoles ont considérablement élevé le niveau de vie et les compétences des autochtones
Les résultats de ces deux accords sont positifs. La Nouvelle-Calédonie est, de loin, la collectivité la plus autonome de la République française. Seules les compétences régaliennes (justice, ordre public, défense, monnaie, affaires étrangères) demeurent l’apanage de l’État. La création d’un Sénat coutumier composé de seize membres et le recours au droit coutumier dans la justice locale ont consacré la reconnaissance de l’identité kanak.
Les indépendantistes dirigent 23 communes sur 33 et 2 provinces sur 3. Ils détiennent au Congrès néo-calédonien 25 sièges sur 54, et possèdent 51 % des parts de l’usine de traitement du nickel de Vavouto. Grâce aux prix élevés de ce métal, la croissance de l’archipel a été jusqu’en 2014 comprise entre 3 % et 4 % par an. Le raccordement à l’eau et à l’électricité, l’amélioration de l’habitat et des routes, la construction d’hôpitaux et d’écoles ont considérablement élevé le niveau de vie et les compétences des autochtones.
Inégalités
Reste que de graves inégalités perdurent. Un non-Kanak a cinq fois plus de chances d’obtenir son baccalauréat qu’un Kanak. Plus d’un tiers des jeunes Kanaks sont au chômage, et nombre d’entre eux se réfugient dans la drogue et la violence. Depuis la chute des cours du nickel, en 2015, la croissance est retombée à moins de 2 %, et l’emploi, bien sûr, en pâtit.
Les positions des uns et des autres demeurent donc tranchées. Pour les indépendantistes de l’Union calédonienne (UC) ou du Parti de libération kanak (Palika), seule l’indépendance totale permettra d’imposer le respect des coutumes et de l’identification à la terre auxquelles leur peuple est viscéralement attaché. Daniel Goa, président de l’UC, a prévenu, le 11 novembre : « Sur le terrain politique, nous n’attendrons plus, car nous avons suffisamment fait d’efforts et accepté l’inacceptable. Nous demanderons à tous nos jeunes citoyens de prendre le relais, de s’investir [dans la lutte] et de s’approprier le pays ! »
L’État injecte chaque année quelque 1,25 milliard d’euros dans l’économie locale
Le problème est que le oui à l’indépendance a peu de chances de l’emporter. Les Kanaks ne votent qu’à 80 % pour les indépendantistes, et ils ne représentent que 40 % de la population. D’autre part, l’aile dure des Républicains calédoniens brandira la menace que la métropole coupe les vivres à un pays devenu indépendant.
Or l’État injecte chaque année quelque 1,25 milliard d’euros dans l’économie locale. Ses diverses contributions représentent 13 % du PIB du territoire, soit beaucoup plus que le nickel, sa principale ressource (4 %). Qui serait assez fou pour choisir une indépendance synonyme de paupérisation ?
« Système colonial »
Pourtant, la victoire du non ne réglera rien. Et les responsables français savent parfaitement que les Kanaks n’accepteront pas le statu quo, même validé par les urnes. La hantise de ces derniers est de se perdre « dans le système colonial comme des petits pois dans le potage », selon la formule d’un de leurs héros, feu Éloi Machoro.
« La France a la mission de protéger, et pas dans des parcs, l’essence de cette extraordinaire culture kanak » assène Christian Blanc, ancien responsable de la Mission du dialogue
Jean-Jacques Urvoas, un ancien garde des Sceaux, a publié au mois de juillet une note dans laquelle il juge que « l’intérêt de chacun est d’éviter un référendum-couperet, source d’humiliation ». Il préconise plutôt de parler d’« État associé » ou « fédéré ». Philippe Gomès, le patron de Calédonie ensemble, pivot de la majorité anti-indépendantiste, reconnaît qu’il serait stupide de « gagner un référendum si c’est pour perdre le vivre-ensemble construit depuis trente ans ».
Il va donc falloir beaucoup se parler pour définir un « destin commun ». Cela commencera par l’élaboration d’une question référendaire qui n’enferme pas les électeurs dans « une alternative manichéenne » qui les obligerait à « se répartir entre deux camps hostiles », avait déclaré, en mars, le socialiste René Dosière, rapporteur de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de l’archipel.
« Il faut que la France comprenne qu’elle a la mission de protéger – et pas dans des parcs – l’essence de cette extraordinaire culture kanak, qui est un véritable cas d’espèce dans sa diversité et dans son mode de vie écologique », analyse Christian Blanc, ancien responsable de la Mission du dialogue qui, en 1988, mit fin à la guerre civile et prépara les accords de Matignon.
« Délinquance »
« La victoire du non à l’indépendance, dit encore Christian Blanc, risque de faire glisser un peu plus la jeunesse kanak dans la délinquance, car si la pauvreté était supportable dans les cases, elle ne l’est plus dans les HLM de Nouméa. Cela provoquera des désordres. Je crois que le concept d’une “indépendance-association” énoncé dès janvier 1985 par Edgard Pisani, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, mérite réflexion.
Il reste moins d’un an à Paul Néaoutyine, et Emmanuel Macron pour trouver les raisons et les moyens de continuer à vivre ensemble.
“Indépendance”, car il faut bien reconnaître que renoncer à piloter un pays situé à 20 000 km de Paris serait une décision de bon sens. “Association”, parce que, seul, ce pays n’a aucune chance de connaître un développement. La Nouvelle-Calédonie et la France pourraient passer un contrat à respecter sous peine de sanctions. Nous en avions, à l’époque, discuté avec Jean-Marie Tjibaou, le leader kanak dont l’assassinat fit dérailler le processus. Il avait compris que cela impliquait une obligation de rigueur de la part des élites kanaks, et non la course à l’enrichissement à laquelle on a assisté. Il avait conscience que le respect de la coutume devait évoluer sans disparaître. »
Il reste moins d’un an à Paul Néaoutyine, président indépendantiste de la province Nord, qui est partisan d’un « nouveau partenariat avec la France », et à Emmanuel Macron, favorable pour sa part au maintien de l’archipel « dans la communauté nationale », pour trouver les raisons et les moyens de continuer à vivre ensemble.
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