Aérien : en difficulté financière, Tunisair souhaite étendre son offre avant l’Open Sky 

Pour faire face à la libéralisation du ciel tunisien en 2018, la compagnie, Tunisair ouvre de nouvelles lignes vers l’Afrique. Mais elle doit avant tout réussir sa restructuration.

Un avion Tunisair (photo d’illustration). © RHL Images from England by Wikimedia Commons

Un avion Tunisair (photo d’illustration). © RHL Images from England by Wikimedia Commons

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 18 décembre 2017 Lecture : 5 minutes.

Enfin ! Après sept ans de discussions, de nombreux reports et un printemps arabe, c’est ce 11 décembre que l’accord de libéralisation du ciel tunisien sera officiellement paraphé avec les autorités européennes. Une fois ratifié par le Parlement tunisien, l’Open Sky entrera en vigueur en 2018. Après deux derniers rounds de négociations menés ces derniers mois entre Tunis et Bruxelles, tous les aéroports du pays, comme ceux de Djerba, Monastir ou encore Tozeur-Nefta, seront ainsi ouverts aux low-cost du Vieux Continent. Tous, sauf un ­ – préservé de l’accord pendant cinq ans, l’aéroport de Tunis-Carthage, qui, avec 4,92 millions de passagers reçus en 2016, a atteint son seuil de saturation –, ont fait valoir les autorités du pays. « Un Open Sky intégral aurait été catastrophique pour Tunisair, qui n’aurait pas pu résister à la concurrence », rappelle Salma Kharbachi, analyste financière au sein du cabinet AlphaMena.

Si elle bénéficie d’un certain répit, le temps presse cependant pour la compagnie à la gazelle rouge, présidée par Elyes Mnakbi, qui fêtera ses 70 ans l’année prochaine. D’autant plus que son bilan 2016, qui n’a toujours pas été présenté à ce jour, « pourrait afficher 60 millions d’euros de pertes, les plus lourdes de son histoire », d’après une source non officielle.

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Symptômes inquiétants

À la mi-novembre à Kigali, dans les travées de la 49e assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa), son chef du département relations internationales, Mohamed Anis Chouchene, se félicitait pourtant d’un climat plus favorable et de chiffres encourageants pour 2017, dus à la reprise du marché touristique et à un retour des voyageurs français (+ 15 %) et allemands. « Le nombre de passagers transportés durant les trois premiers trimestres a progressé de 17,4 % pour dépasser les 2,7 millions de passagers. Entre septembre 2016 et 2017, le taux d’occupation de nos avions est passé de 71,3 % à 74,9 %, avec une hausse de 25 % de nos revenus » (918,7 millions de dinars, soit 310 millions d’euros environ).

Mais, en dépit de cette bouffée d’oxygène, Tunisair présente toujours des symptômes inquiétants, héritage des crises politiques et sociales qu’a connues le pays depuis 2011. L’endettement de la compagnie est passé de 1,015 milliard de dinars en décembre 2016 à 1,1 milliard au 30 septembre 2017, soit 8,7 fois son ebitda (bénéfice avant impôt), contre 1,9 fois pour les compagnies européennes, selon AlphaMena.

À cela s’ajoute un effectif pléthorique. « Il y a aujourd’hui 269 employés par avion, contre 62 pour Royal Air Maroc en 2014. La masse salariale pèse 28,2 % du chiffre d’affaires en 2016, contre 16 % chez la concurrence », décrypte l’analyste. Il faudra donc pour Tunisair inévitablement passer par l’épreuve de la restructuration.

Thermomètre social

Élaboré par le management de la compagnie et maintes fois reporté, un plan de sauvetage est soumis depuis quelques semaines à l’examen de sa tutelle, le ministère des Transports. Dans ce cadre, l’entreprise négocie actuellement avec les syndicats le départ volontaire de 1 200 employés (sur 7 700). La partie ne s’annonce pas de tout repos : « Il faudra trouver un accord avec les caisses sociales, excessivement déficitaires, qui vont payer les primes de départ », s’inquiète Salma Kharbachi.

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Dans une entreprise souvent perçue comme le thermomètre social du pays mais aussi comme un ministère, l’autre chantier portera sur une nouvelle répartition des rôles avec la tutelle. « Dans un univers plus compétitif, cette réforme permettra plus de souplesse et de réactivité, avec un contrôle des décisions par l’état a posteriori et non plus a priori. L’objectif est aussi d’améliorer les synergies entre les filiales (catering, handling, maintenance). Tunisair et sa filiale dévolue au domestique Tunisair Express pourraient ainsi mieux coordonner leurs vols », détaille Mohamed Anis Chouchene.

Tunisair inaugurera en 2018 un vol vers New York, elle veut avant tout davantage couvrir le continent africain

Misant sur le succès de ses destinations algériennes et de sa liaison vers Montréal lancée en juin 2016 (une quatrième fréquence hebdomadaire sera ajoutée), Tunisair n’a néanmoins pas attendu la validation de sa restructuration pour lancer un plan de relance commercial, qui sera mis en œuvre l’année prochaine.

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Expansion géographique

Si elle inaugurera en 2018 un vol vers New York, elle veut avant tout davantage couvrir le continent africain. Atterrissant déjà à Dakar, Nouakchott, Abidjan, Ouagadougou, Niamey et Conakry, le transporteur se posera à Cotonou le 13 décembre et vise d’ici à 2020 Khartoum, Douala, N’Djamena, Accra, Lagos et Libreville. Desservant des villes de province françaises comme Bordeaux, Lyon, Marseille, Nice ou encore Strasbourg, « il offrira ainsi des connexions intéressantes via Tunis vers ces villes subsahariennes », souligne Mohamed Anis Chouchene.

Et parie surtout sur un attrait grandissant de la Tunisie auprès de patients et d’étudiants d’Afrique de l’Ouest. Selon nos informations, Tunisair étudie aussi le lancement entre Monastir, Djerba et l’Europe d’un nouveau produit low fare, doté de quelques Boeing, qui devrait l’armer dans la bataille de l’Open Sky contre des concurrents potentiels comme easyJet, Aigle Azur ou Joon, la nouvelle petite sœur d’Air France…

« Tunisair a donc les moyens de rayonner au Maghreb et au sud du Sahara face aux compagnies du Golfe » selon Karim Elloumi, président de la Fédération tunisienne des pilotes de ligne

Pour soutenir cette expansion, la compagnie souhaite moderniser sa flotte, composée aujourd’hui de 28 appareils, accusant une moyenne d’âge de 15 ans. « D’ici à 2022, cinq monocouloirs (qui devaient être au départ achetés) de type Airbus A320 Neo seront loués pour dix à douze ans », détaille le dirigeant de Tunisair. Un renouvellement déjà prévu en 2008 sous Ben Ali, « lorsque Tunisair avait signé l’achat de 13 Airbus », rappelle-t-il. Les livraisons ont été retardées pour étaler les paiements.

Car en plus du dynamisme du trafic vers le sud du Sahara, Tunisair regorge de potentiel. Karim Elloumi, président de la Fédération tunisienne des pilotes de ligne, met en avant l’avantage compétitif dont jouit la compagnie. « Alors qu’en trois ans les salaires ont augmenté de 120 % sur les hubs du Moyen-Orient, le coût de la main-d’œuvre en Tunisie est l’un des plus bas du monde. Tunisair a donc les moyens de rayonner au Maghreb et au sud du Sahara face aux compagnies du Golfe. »

Coopération africaine

Les alliances RAM-Kenya Airways en mars 2016 et Egyptair-Kenya Airways en juin 2017 vont-elles faire école ? Koussaï Mrabet, ancien de Tunisair, aujourd’hui directeur commercial de l’Association des compagnies aériennes africaines, y travaille à la tête du Comité de pilotage des alliances des compagnies aériennes. Objectif : stimuler le trafic et ramener sur les hubs africains des connexions intra-africaines qui se font en Europe, en Turquie ou au Moyen-Orient. Concrètement, ces accords commerciaux permettent notamment aux passagers de ne s’enregistrer qu’une fois et aux compagnies de réaliser des économies en kérosène et en maintenance.

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