Diplomatie : « La bande des quatre »
Tous les trois sont des hommes neufs : ils se sont hissés au pouvoir suprême dans leurs pays respectifs il y a moins d’un an. Depuis, les médias du monde entier accordent à leurs moindres faits et gestes une attention toute particulière. Pas un jour ne passe sans que se révèle quelque chose de nouveau et d’intéressant sur eux.
À la tête de pays qui comptent, l’Américain Donald Trump, le Français Emmanuel Macron et le Saoudien Mohamed Ibn Salman (MBS) méritent que je vous en dise davantage sur eux.
D’abord un mot sur celui des trois qui croit pouvoir changer les deux autres : Emmanuel Macron. Un homme politique français qui a été parmi les premiers à se mettre sous sa bannière, Richard Ferrand(1), a parfaitement résumé, en quatre lignes, sa personnalité :
« Il est passé par Rothschild, comme Georges Pompidou. C’est un inspecteur des Finances, comme Giscard. Il a l’empathie qu’a Jacques Chirac, la culture de François Mitterrand et l’humour de François Hollande. » C’est Michèle Cotta qui nous l’apprend dans son livre Quelle Histoire ! Carnets secrets 2016-2017, qui vient de paraître, édité à Paris par Robert Laffont.
Vous avez observé comme moi que Richard Ferrand ne cite pas Nicolas Sarkozy, qui est pourtant, lui aussi, l’un des prédécesseurs de M. Macron. À tort, à mon avis, car Sarkozy lui-même, bien que peu enclin à la modestie, a fait la comparaison : « Macron, c’est moi en mieux. » Macron l’a ensuite invité à déjeuner avec son épouse, Carla Bruni, preuve que les deux hommes se reconnaissent des points communs et se trouvent des motifs de rencontre…
Mercredi dernier, Emmanuel Macron a observé le rite du voyage à Alger. Il s’est entretenu une heure durant, sans interprète, avec le président Abdelaziz Bouteflika, diminué par l’AVC qui l’a frappé il y a plusieurs années. Les prédécesseurs de M. Macron avaient tous honoré cette tradition, et plusieurs autres chefs de grands États, dont Angela Merkel, ont fait ou voulu faire de même. Cela signifie que l’Algérie compte, même lorsque ses hydrocarbures se vendent difficilement et moins cher, et que, même malade, son président suscite de l’intérêt et réussit à se faire entendre.
Cette « bande des quatre » que rien n’arrête est extrêmement dangereuse pour la paix dans le monde
Les deux autres membres de cet étrange trio – Donald Trump et Mohamed Ibn Salman – sont en réalité trois, car Donald Trump ne fait presque rien sans son gendre Jared Kushner, promu conseiller spécial. Ils sont même quatre : s’agissant du Moyen-Orient, les deux derniers se font un devoir de consulter Benyamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël.
Ces quatre hommes de droite, voire d’extrême droite, à la tête de pays riches et d’armées puissantes, se sont arrogé le droit de redessiner à leur guise la carte du Moyen-Orient. Ce sont des dynamiteurs. Parmi eux, deux trentenaires, intelligents mais inexpérimentés : un juif orthodoxe, Jared Kushner, et un musulman sunnite d’obédience intégriste, anti-iranien viscéral, Mohamed Ibn Salman.
Le premier doit son pouvoir à son beau-père, qu’il a puissamment aidé à se faire élire ; le second, choisi et désigné par son père, peut agir à sa guise, faire arrêter dans son pays qui bon lui semble et dispose d’une caisse noire aux fonds illimités. Tant qu’elle est au pouvoir et unie, cette « bande des quatre » que rien n’arrête est extrêmement dangereuse pour la paix dans le monde.
Ce quatuor a déjà pris deux décisions dont nul ne peut, pour l’heure, mesurer les conséquences.
1) Le conflit israélo-palestinien.
Ils veulent le trancher en 2018 aux conditions de la droite israélienne.
La reconnaissance par Donald Trump, le 6 décembre, de Jérusalem comme capitale d’Israël et sa décision d’y installer l’ambassade américaine sont le premier volet de leur plan. Convoqué à Riyad par Mohamed Ibn Salman, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a reçu notification de ce plan, et le maître de l’Arabie saoudite lui a donné deux mois pour l’accepter.
Faute de quoi Mahmoud Abbas sera démis de ses fonctions et remplacé. On trouvera bien un autre Palestinien disposé à être le gouverneur stipendié d’un non-État palestinien calqué sur ce que furent les bantoustans sud-africains. Il pourra se donner pour capitale une banlieue de Jérusalem du nom d’Abou Dis.
« Le bruit et la fureur » provoqués par la décision américaine dureront trois jours, une semaine ou un mois. L’Europe, l’ONU, la Ligue arabe et d’autres diront leurs regrets ou leur désapprobation ; l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Jordanie s’associeront hypocritement à ces manifestations de refus pour sauver les apparences. Mais, sur le terrain, une succession de « faits accomplis » régleront le problème. Les colonies israéliennes installées en Cisjordanie n’ont-elles pas été elles aussi des faits accomplis ?
2) L’Iran sera refoulé des pays du Moyen-Orient où il a pu se ménager une place.
Pour obliger l’Iran à réintégrer ses frontières, objectif partagé avec Netanyahou et Trump, le jeune maître de l’Arabie, réputé impétueux, mettra sur pied une nouvelle coalition des pays musulmans sunnites, dont il a convoqué, à Riyad, fin novembre, les ministres de la Défense. Se constitueront deux camps : les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite, d’un côté ; l’Iran, la Turquie et la Russie, de l’autre. Une nouvelle « guerre froide » en somme, qui pourrait à tout moment tourner au conflit armé.
« La bande des quatre » nous promet donc des lendemains agités. Mais nous pourrions y échapper si, comme certains le prévoient, ce quarteron de narcissiques explosait. On me dit que nous pourrions voir ses membres se séparer, voire s’affronter… On rappelle également que Benyamin Netanyahou et Jared Kushner sont dans le collimateur de la justice de leurs pays respectifs, que Donald Trump et Mohamed Ibn Salman pensent que chacun a « acheté » l’autre…
Il se pourrait donc que cette « bande des quatre » soit en réalité un panier de crabes.
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