Printemps arabe : de la transition tunisienne à la tragédie syrienne

Si pour l’ancien ambassadeur, il est difficile de tirer des conclusions générales des Printemps arabes, tant les situations sont diverses, les ressorts des révolutions n’ont pas disparu et déboucheront, à terme, sur plus de démocratie et d’État de droit.

Des jihadistes de l’État islamique à Raqqa, en Syrie, en 2014. © AP/SIPA

Des jihadistes de l’État islamique à Raqqa, en Syrie, en 2014. © AP/SIPA

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Publié le 27 décembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Un soldat de l’armée libyenne à Tripoli, en novembre 2013. © Manu Brabo/AP/SIPA
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Printemps arabes : que reste-t-il du vent révolutionnaire de 2011 ?

Que reste-t-il du vent de contestation populaire qui s’est levé en 2011 dans les pays arabes, du Maroc au Yémen ? Alors que les rêves de changement ont été balayés par des crises politiques profondes et par l’hydre jihadiste, l’heure est à la « reprise en main » contre-révolutionnaire.

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Faire un bilan d’ensemble du Printemps arabe, depuis son émergence en 2011, ne fait pas vraiment sens, tant les situations sont contrastées au Machrek comme au Maghreb. La relative réussite de la transition en Tunisie et la tragédie sans fin que vit la Syrie en sont la démonstration.

Les diplomaties occidentales, surprises par les mouvements tectoniques à caractère révolutionnaire qui ont renversé les régimes autocrates en Tunisie et en Égypte, ont cru à tort à un effet domino. Mais il faut se garder de porter un jugement réducteur sur l’échec du Printemps arabe, même si la désillusion est grande devant les conflits qui n’en finissent pas, de la Libye au Yémen, en passant par la Syrie et la Palestine.

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De nouvelles voies pour l’islamisme radical

Les causes sont tout aussi endogènes au sein d’États faillis, qu’exogènes du fait des interventions des puissances régionales et internationales. L’échec de l’islam politique, notamment en Égypte et en Tunisie, où des formations islamo-conservatrices s’étaient pourtant imposées par des voies démocratiques, a ouvert de nouvelles voies à l’islamisme radical. Le groupe État islamique a été démantelé en Irak et en Syrie, mais ses épigones survivent, aux côtés des branches d’Al-Qaïda, au Yémen, en Libye et en Égypte.

Les équilibres géostratégiques bousculés par les révolutions s’en trouvent modifiés. La Russie de Poutine fait un retour impérial au Proche-Orient, tandis que les États-Unis s’effacent relativement. Les bouleversements créés par l’occupation américaine en Irak et les insurrections en Syrie et au Yémen favorisent l’extension de l’influence de Téhéran, qui détient entre ses mains l’avenir du régime de Bachar al-Assad.

En réaction, la monarchie saoudienne, sous l’impulsion de l’impétueux Mohammed Ibn Salman, constitue un front sunnite contre l’axe chiite. Son aventure guerrière risquée au Yémen, l’échec de ses initiatives pour isoler le Qatar et mettre le Liban sous tutelle fragilisent le royaume.

L’exception tunisienne

Au total, dans ce chaos multipolaire, les États ne seront pas démantelés. Le dogme de l’intangibilité des frontières s’imposera. Sont ainsi écartés l’instauration d’un « Sunnistan » au Levant, un État alaouite en Syrie ou un État kurde en Irak. Mais, à terme, une fois la stabilité retrouvée, ces États évolueront probablement dans un cadre décentralisé.

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Hormis la Libye, pays fragmenté, où tout est à construire, le Maghreb devrait connaître la stabilité en dépit des tensions sociales et politiques récurrentes. La singularité de la situation en Tunisie tient surtout à la force de la société civile, qui a réussi à sauver la transition.

Quatre de ses composantes, l’UGTT [premier syndicat], la Ligue des droits de l’homme, l’Ordre des avocats et l’Utica [patronat], récompensés en 2016 par le prix Nobel de la paix, ont été les promoteurs du « dialogue national », qui a permis l’adoption d’une Constitution, la plus avancée du monde arabe. L’État y est qualifié de « civil », tandis qu’est reconnue la liberté de conscience et de croyance.

Les populations des trois pays du Maghreb central se sentent assez peu concernées par les tragédies que vivent celles du Proche-Orient

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La monarchie marocaine, dont la légitimité n’est pas en cause, a su anticiper les réformes institutionnelles nécessaires, tandis que le souvenir des années noires de la guerre civile en Algérie a sans doute écarté une contestation généralisée. Les populations des trois pays du Maghreb central se sentent assez peu concernées par les tragédies que vivent celles du Proche-Orient.

Les ressorts des révolutions arabes n’ont pas disparu, tant ils sont profondément ancrés dans les sociétés. Même s’ils n’ont pas débouché sur des solutions politiques stables, ces mouvements portés par les jeunes générations marqueront à terme la fin progressive du modèle monolithique autoritaire dans ses différentes versions : religieuse, civile ou militaire. Le mouvement vers plus de démocratie, d’État de droit, de pluralisme, de lutte contre la corruption est inéluctable, mais s’inscrira dans le long terme.

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