Design : place au bogolan

Depuis quelques années, de nombreux créateurs de mode et décorateurs d’intérieur s’affranchissent du wax. Au profit du tissu traditionnel malien, le bogolan.

Le bogolan conjugue des nuances de marron, de noir, de blanc ou d’ocre (ici, un atelier de fabrication à Ségou). © Robert Harding / AFP.

Le bogolan conjugue des nuances de marron, de noir, de blanc ou d’ocre (ici, un atelier de fabrication à Ségou). © Robert Harding / AFP.

KATIA TOURE_perso

Publié le 15 janvier 2018 Lecture : 5 minutes.

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« Fait avec de la terre. » C’est, en bambara, ce que signifie le terme bogolan. Et pour cause, la fabrication artisanale de ce tissu lourd et imposant doit beaucoup aux matières naturelles. Sur du coton tissé, teint puis trempé dans une décoction de feuilles d’arbre, des motifs tribaux à la symbolique ancestrale sont réalisés à main levée avec de la boue. Quand le wax flamboie de mille couleurs, le bogolan présente donc une esthétique beaucoup plus sobre : il conjugue différentes nuances de marron mais aussi des teintes comme le noir, le blanc ou l’ocre, obtenues grâce à un mélange de soude, de céréales et de cacahuètes.

Il est principalement confectionné au Mali, son pays d’origine, mais aussi au Burkina Faso, en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Traditionnellement, il avait valeur de protection, – selon la forme ou la couleur des motifs, inspirés par la nature ou les actes de la vie quotidienne – pour ceux qui arboraient le tissu : chasseurs, femmes enceintes, personnes âgées, nourrissons, etc. Il accompagnait aussi certains rituels. Mais au fil du temps les codes coutumiers qui lui étaient attachés ont disparu.

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Chris Seydou, un pionnier

C’est à l’orée des années 1980, peu après la naissance de sa propre marque à Abidjan, que le Malien Chris Seydou commence à faire connaître le bogolan. Premier styliste africain à avoir collaboré avec de grandes maisons de haute couture (Yves Saint Laurent, Mic Mac ou Paco Rabanne), dans les années 1970, il présentera ces créations autant en Afrique de l’Ouest qu’en Europe et aux États-Unis.

Aujourd’hui, d’autres stylistes prennent le relais, comme Mariah Bocoum. « Je travaille avec toutes les matières, mais je privilégie le bogolan, magnifique et noble. En l’utilisant, j’ai le sentiment de participer au développement artisanal de mon pays. C’est pour cela qu’on retrouve de moins en moins de wax dans mes collections », explique la créatrice, qui souhaite démocratiser ce tissu au même titre que le wax. Elle explique avoir été sollicitée par le fameux styliste ivoirien Gilles Touré, qui voudrait prochainement l’intégrer dans ses créations.

Haro sur le wax

Quand le Sénégalais El Hadji Malick Badji a fondé sa marque de vêtements et de maroquinerie, Nio Far by Milcos, le message était clair : haro sur le wax. Le créateur de 29 ans a lancé plusieurs modèles de baskets en cuir et bogolan, fabriquées dans son atelier du quartier de Liberté 6, qui connaissent un franc succès. Lors de sa dernière visite officielle à Dakar, en novembre 2016, le roi du Maroc lui en a acheté une paire.

Le bogolan permet une exploration créative vivifiante, mais je trouve que la modernisation des techniques fait qu’il perd de sa superbe

Le fondateur de Nio Far affirme que le bogolan connaît aujourd’hui un regain d’intérêt sur le continent africain. C’est à San, ville malienne située à 200 km de Mopti, que le jeune homme s’approvisionne. Là-bas, les deux yards (soit 1,83 m) de coton tissé puis travaillé selon ses envies lui coûtent entre 10 000 et 20 000 F CFA (entre 20 et 30 euros). « C’est un tissu résistant qui permet une exploration créative vivifiante, mais je trouve que la modernisation des techniques fait qu’il perd de sa superbe. »

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Promotion du coton malien

À l’instar d’El Hadji Malick Badji, de nombreux créateurs africains l’adoptent. Le designer ghanéen Selassie Tetevie, à la tête de Ramdesign, crée des chaises dont les assises sont recouvertes de bogolan, qu’il se procure à Accra. En 2013, sa compatriote Aisha Obuobi, créatrice de la griffe Christie Brown, lui consacrait toute une collection, de la veste blazer à la jupe haute en passant par la veste tailleur.

L’Afrique du Sud est aussi en première ligne sur ce terrain. Le bogolan, mudcloth, en anglais, se retrouve au cœur des créations de moult enseignes de mode et de décoration portées sur l’éthique et le coton bio, parmi lesquelles Kisua ou Lim. « Avec des pièces uniques confectionnées à partir de ce tissu, le Sud-Africain, en quête identitaire, a le sentiment de retrouver sa dignité tant extérieure qu’intérieure », analyse la styliste et décoratrice Awa Meité van Til, fondatrice du festival de mode Daoulaba, dont l’objectif est la promotion du coton malien, à Koulikoro.

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Un textile prisé par les designers

Boubacar Doumbia est le fondateur et directeur de Ndomo, l’un des nombreux ateliers artisanaux de Ségou, au Mali, où est confectionné le bogolan. Il confirme que sa technique de fabrication s’est modernisée avec la réalisation de différentes gammes : lourde, semi-lourde et légère – ces deux dernières ayant la préférence des créateurs. Et pour s’adapter à la demande, les motifs traditionnels sont un peu délaissés au profit de modèles plus contemporains, explique Boubacar Doumbia.

« Nous exportons au Burkina Faso, au Sénégal, en Côte d’Ivoire mais aussi au Ghana, pour les boutiques de souvenirs et pour les designers », poursuit-il. Ce commerce se développe aussi à l’international pour des maisons de haute couture, de prêt-à-porter ou de décoration. La tendance touche l’Europe et les États-Unis. Et la France n’est pas en reste, avec des griffes comme Bogolove-Paris, House of Sudan ou la boutique Africouleur.

« Proposer du textile décoratif en bogolan est une façon de donner les moyens aux artisans de Bamako et de Ségou de faire perdurer leur travail », explique Férouz Allali, directrice et fondatrice d’Africouleur. À côté de ces tissus, qu’elle vend 130 euros pièce environ, elle propose aussi des produits en wax, de confection asiatique, qu’elle se procure sur les marchés de Lomé. « Il reste à la mode », glisse-t-elle.

D’Oscar de la Renta à Nanawax

En 2008, le styliste haute couture américain Oscar de la Renta proposait déjà une collection printemps-été exclusivement consacrée au bogolan. En 2011, la chanteuse Beyoncé prenait la pose dans les pages du magazine L’Officiel avec une imposante robe confectionnée dans ce tissu. Et, en 2013, c’est la marque italienne Marina Rinaldi qui le célébrait.

Mais, succès oblige, la fabrication du bogolan, à l’instar de celle du wax, s’industrialise. Aujourd’hui, on peut ainsi retrouver ses motifs sur n’importe quel textile. « C’est un tissu que j’ai toujours apprécié. Mais il s’agit d’un coton épais et difficile à manier. Aussi, je me procure de la soie, du crêpe ou du coton plus léger, sur lesquels je fais reproduire les dessins traditionnels », explique Maureen Ayité, fondatrice de Nanawax, qui possède des boutiques à Cotonou, Abidjan, Dakar et Brazzaville, avec un point relais à Paris. Ses pièces ont aussi séduit Flora Coquerel, Miss France 2014, et le rappeur Black M.

Il est certain que de plus en plus de créateurs s’attachent à leur africanité à travers le bogolan, tissu au fort aspect identitaire

La marque de maillots de bain Oba Swimwear, créée par Leïla Toukourou, une Parisienne aux origines béninoises et togolaises, utilise le même procédé que Nanawax pour ses modèles. Le jeune styliste malien Jean Kassim Dembele, créateur de la marque de prêt-à-porter JK Dressing, se procure des bogolans à la boutique Comatex du grand marché de Bamako, où le pagne de 1,80 m, coûte 1 500 F CFA. « Comatex ne propose pas de bogolan artisanal, mais ce tissu est en pleine évolution. Pour moi, en utiliser les motifs est déjà un gage d’authenticité. »

Selon Awa Meité van Til, s’il ne supplante pas encore le wax compte tenu de la force de frappe de Vlisco et de ses filiales sur le continent, « il est certain que de plus en plus de créateurs s’attachent à leur africanité à travers ce tissu au fort aspect identitaire ».

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