Géopolitique : quelle place pour Mayotte ?
Mayotte, l’île aux syllabes dansantes, petit paradis plutôt paisible et réputé pour son lagon aux 760 espèces de poissons différentes, paraît aujourd’hui inquiète et peu disposée à festoyer. Coincé dans l’archipel des Comores, entre les Grandes Comores, au nord, et l’île de Madagascar, au sud, ce département français depuis 2011 doute de son avenir institutionnel.
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Eugène Ébodé
Écrivain. Administrateur de la Chaire des littératures et des arts africains de l’Académie du Royaume du Maroc.
Publié le 3 janvier 2018 Lecture : 3 minutes.
Depuis que circule la rumeur d’une révision imminente, par le gouvernement d’Emmanuel Macron, du visa Balladur instauré en 1995 et qui durcissait les conditions d’entrée dans l’île de Mayotte, les crispations sont palpables. Ce visa avait surtout pour cible les populations comoriennes et déshéritées venues principalement de l’île d’Anjouan. Près de 40 % de la population mahoraise serait d’origine étrangère, et les chiffres sont parfois rehaussés au regard du nombre de clandestins.
À Mayotte, l’objet de tous les émois concerne l’énigmatique « feuille de route » élaborée le 12 septembre 2017 par le gouvernement français et les représentants de l’État comorien. Elle viserait à « favoriser les échanges humains entre les îles de l’archipel, dans un cadre légal et en renforçant la sécurité des liaisons maritimes et aériennes ». Pour les politiciens mahorais, il ne s’agirait ici que d’une méprisable feuille de vigne masquant une politique d’abandon de Mayotte par la République française, au profit de la redoutée et mal gouvernée République comorienne.
Légitimité comorienne ?
Une banderole brandie par des manifestants ulcérés, qui ont bloqué les services de délivrance des visas de la préfecture, était explicite : « Libre circulation des hommes = libre circulation des terroristes ». Ce slogan aux accents xénophobes est l’œuvre d’individus qui se sentent abandonnés face à une montée des tensions dues à l’insécurité, à la délinquance et à la violence.
Les Mahorais ne manquent plus une occasion de rappeler qu’elles œuvrèrent lors du référendum d’autodétermination de 1976 pour que Mayotte renforce son ancrage dans la République française. Leur cri d’alarme est celui d’une population en péril et confrontée à une submersion venue des Comores, dont les ressortissants se proclament « chez eux » à Mayotte.
À Mayotte le français y est une langue minoritaire, loin derrière le shimaoré et le kibushi
Ces Comoriens relèvent que leur dynamisme est ici incontestable. Mais surtout ils estiment juridiquement infondé le rattachement de Mayotte à la France. Ce discours récurrent dénonce les opérations référendaires de 1976, entachées d’un vice, car les voix de Mayotte, au lieu d’être comptabilisées dans un collège électoral unique, l’ont été à part.
En clair, les Comoriens expriment une légitimité historique, géographique, confessionnelle (les deux peuples sont musulmans à plus de 90 %), linguistique et, partant, hautement culturelle. Pour d’autres, minoritaires, Mayotte n’est pas la France, car trop de particularismes éloignent ce territoire de la République une et indivisible. La religion musulmane y est écrasante. La polygamie est ici monnaie courante et légalement acceptée. Les écoles sont surchargées. Last but not least, le français y est une langue minoritaire, loin derrière le shimaoré et le kibushi.
La République s’apprête-t-elle à en finir avec l’exception mahoraise ?
L’ancrage au sein de la République française des habitants mahorais, qui se disent fièrement français et ont pour l’Afrique voisine une forme de dédain, semble aujourd’hui lourdement hypothéqué. Le système de santé est dans un état calamiteux, on ne compte plus que 98 médecins pour 100 000 habitants. Alors que l’île détient le record du taux de natalité (38,9 %) en France, les enfants sont les laissés-pour-compte des politiques publiques. Les crèches se comptent sur les doigts d’une main.
La République s’apprête-t-elle à en finir avec l’exception mahoraise ? C’est la question qui ronge les esprits. La renégociation du visa Balladur n’est qu’une première étape avant de déchirants réexamens concernant le rôle de politiciens accusés d’incompétence et de malversations diverses, l’éducation en déshérence, la montée du radicalisme islamique, la crédibilité de l’indivisibilité de la République… Cette dernière nécessite de lourds investissements, ou le départ, à terme, de la France.
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