Angola : João Lourenço, « liquidateur implacable »

Depuis son accession au pouvoir, en septembre 2017, le nouveau président angolais a su s’imposer dans un système qui semblait verrouillé par l’ancien régime. Avec le soutien de piliers du MPLA, l’ex-parti au pouvoir, et parce qu’il vient lui-même du sérail.

João Lourenço, président de l’Angola. © Bruno Fonseca/AP/SIPA

João Lourenço, président de l’Angola. © Bruno Fonseca/AP/SIPA

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 21 décembre 2017 Lecture : 7 minutes.

João Lourenço, à gauche, le président de l’Angola et Paul Kagame, à droite, président du Rwanda, assistent à la séance d’ouverture du Forum économique mondial, WEF, à Davos, en Suisse, le 23 janvier 2018 © Markus Schreiber/AP/SIPA
Issu du dossier

Angola : le virage diplomatique de João Lourenço

Le président angolais a décidé de rebattre les cartes diplomatiques et d’amorcer un véritable virage diplomatique. João Lourenço multiplie les interlocuteurs sur la scène internationale et fait montre d’une ouverture bien plus grande que son prédécesseur.

Sommaire

« Un chien s’attache à vous par loyauté. Et, d’un point de vue pragmatique, parce que vous êtes sa source de nourriture » : ce bon mot de l’auteur américain John Herbert Varley pourrait faire écho chez l’ancien président angolais José Eduardo dos Santos (« Zedu »). Sans doute, après trente-huit années d’un pouvoir sans concession, a-t-il péché par excès de confiance.

En laissant les rênes du pays à son ministre de la Défense, João Lourenço (JLo) – même s’il est davantage le choix du MPLA que le sien –, en nommant des proches aux postes clés juste avant son départ – dont ses enfants –, et, enfin, en gardant la direction du parti, probablement estimait-il s’être mis à l’abri avec son clan.

la suite après cette publicité

Mais, à peine élu, le nouveau président, 63 ans, a fait mentir tous ceux qui ne voyaient en lui qu’un ersatz de dirigeant. Sans doute celui qui était considéré comme un « radical » voit-il là l’occasion de faire payer ses années de disgrâce depuis que, au début de 2000, il a osé afficher ses ambitions.

La famille Dos Santos

Le coup de grâce a probablement été le limogeage d’Isabel dos Santos (surnommée « la princesse » par les Angolais), le 15 novembre, de la tête de la Sonangol, la compagnie pétrolière qui assure les trois quarts des revenus du pays.

Les jours seraient aussi comptés pour Filomeno, nommé à la tête du fonds souverain par son père et pris dans les filets des Paradise Papers

Pis ! Il l’a remplacé par Carlos Saturnino, que la princesse avait écarté à son arrivée, le traitant « d’incompétent ». Autres membres de la famille mis à l’index, Welwitschia « Chizé » et José Paulino « Coreon Du », qui tenaient les principaux médias à travers Semba Comunicação.

Les jours seraient aussi comptés pour Filomeno, nommé à la tête du fonds souverain par son père et pris dans les filets des Paradise Papers. « Il n’est pas encore limogé car une enquête sur les comptes est en cours [le fonds gère 5 milliards de dollars], et on lui demande de coopérer », affirme une source bien informée, qui ajoute que les Américains suivraient l’affaire avec attention. Pétrole, diamants, finance…

la suite après cette publicité

JLo a repris en main l’ensemble du secteur économique sans grande difficulté. « L’arrogance des dos Santos a nourri des ressentiments, JLo l’a bien compris et s’en sert », conclut notre source.

L’appuie du MPLA

Le nouveau président s’est aussi attaqué à l’appareil sécuritaire en nommant Alfredo Mingas « Panda » chef de la police, et Apolinario José Pereira à la direction des services de renseignements et de la sécurité militaire, cassant ainsi les derniers décrets de Zedu. « Exonerador Implacável » (le « liquidateur implacable »), ainsi qu’il est désormais surnommé, semble vouloir faire table rase du passé, même si lui-même et ces personnalités sont tous du sérail.

Mais pour avoir les coudées franches, il lui manque encore les clés du parti

la suite après cette publicité

« Seul quelqu’un comme lui pouvait faire ce qu’il fait ; et il ne peut pas non plus se passer de toutes les compétences. Il doit faire des choix », relativise l’ancien diplomate et fin connaisseur du pays Daniel Ribant. Mais pour avoir les coudées franches, il lui manque encore les clés du parti. Lors de sa prestation de serment, le 26 septembre, il a ainsi confié à plusieurs de ses pairs africains vouloir régler cette question dans les six à douze mois.

Pour ce faire, il s’appuie notamment sur quelques cadres éminents du MPLA. Parmi eux, Norberto dos Santos, membre du bureau politique, député, gouverneur de la province du Malanje. Celui-ci s’était fait remarquer en révélant, avant l’annonce officielle de février, que Lourenço serait le candidat du parti aux élections d’août. Mário António de Sequeira e Carvalho, général membre du bureau politique, ancien président du conseil d’administration du groupe GEFI (bras financier du MPLA), est aussi un soutien de poids.

Présider le parti

L’amiral Condesse de Carvalho, dit « Toka », 87 ans, l’un des fondateurs des Forces armées populaires de libération de l’Angola (Fapla, ancienne branche armée du MPLA), a aussi pris fait et cause pour Lourenço. Cet ancien ambassadeur à Cuba et en Algérie a déjà invité dos Santos à quitter la direction du parti. « Le MPLA est en train de tomber dans l’escarcelle de Lourenço, décrypte Paula Cristina Roque, chercheuse à l’Université d’Oxford. Il y a quelques cadres qui soutiennent encore dos Santos, mais tout indique que JLo ne pardonnera pas la dissidence. »

Opportunistes ou vrais déçus de l’ancien régime, ils sont nombreux à faire allégeance à Lourenço

Opportunistes ou vrais déçus de l’ancien régime, ils sont nombreux à faire allégeance à Lourenço. Le général Fernando Garcia Miala a rongé son frein pendant près de dix ans. L’ancien chef des services de renseignements avait été écarté par dos Santos en 2006 au profit du tout-puissant général Hélder Vieira Dias « Kopelipa » (fragilisé depuis quelques années par la maladie).

Jugé pour « insubordination », Miala avait été condamné en 2007 à quatre années de prison. Un temps pressenti pour reprendre ses anciennes fonctions, il se serait finalement vu confier par JLo la mission de tracer les milliards de dollars cachés hors du pays.

Plus présent sur la scène internationale

Il pourrait s’appuyer notamment sur les dossiers transmis par Manuel Vicente, ancien dauphin de dos Santos lâché par celui-ci depuis ses ennuis judiciaires au Portugal, mais aussi sur Edeltrudes Costa « Nando », l’ancien chef de [cabinet de la présidence] la Maison civile et intime de l’ex-chef d’État, nommé ministre, directeur de cabinet.

Lors des troubles au Zimbabwe, le président angolais était aux côtés de Jacob Zuma pour mener la médiation

JLo a par ailleurs réveillé l’Angola sur la scène internationale. Dos Santos ne se déplaçait presque plus hors du pays, si ce n’est en Espagne, à Barcelone, pour se faire soigner. En juillet, alors qu’il n’était que candidat, Lourenço a été reçu à Paris par le président français Emmanuel Macron, puis à Rome par le Premier ministre Paolo Gentiloni.

Ce dernier a d’ailleurs été le premier dirigeant occidental à se rendre en Angola après l’élection. Lors des troubles au Zimbabwe, le président angolais était aux côtés de Jacob Zuma pour mener la médiation. Pour Daniel Ribant, « Lourenço veut rapprocher son pays de l’Afrique du Sud et de la SADC ». Sentiment renforcé par la décision récente de supprimer les visas pour les Sud-Africains.

Rencontres diplomatiques

Au sommet UA-UE, Lourenço a par ailleurs multiplié les rencontres : Macron, une nouvelle fois, mais aussi, plus remarquable, une tripartite avec Zuma et le souverain marocain, Mohammed VI, laissant présager un réchauffement des relations avec le royaume, alors que la RASD a toujours empoisonné les rapports.

Et il est fort probable qu’il sera présent au prochain sommet de l’Union africaine, en janvier 2018, à Addis-Abeba. Par ailleurs peu proche des Portugais, contrairement à son prédécesseur, Lourenço l’est davantage des Américains, encouragé par sa femme. Washington aurait d’ailleurs demandé au « Liquidateur » de lever le pied, craignant pour sa sécurité…

Les Angolais, eux, semblent galvanisés par la fin du système dos Santos, qu’ils n’espéraient plus après quatre décennies d’un règne sans partage

Mais celui dont le nom ne disait « rien à personne », sept mois avant l’élection, que l’on considérait comme « peu charismatique » au lendemain de sa victoire, est devenu l’homme le plus populaire d’Angola. Même dans l’opposition, son action est scrutée avec une certaine anxiété. Le 18 octobre, JLo a reçu Isaias Samakuva, le président de l’Unita (parti historique qui a fait 24 % au dernier scrutin), alors que dos Santos ne l’avait fait que deux fois depuis la fin de la guerre civile, en 2003.

Amélioration du sort des anciens combattants, ouverture économique et politique… Si, au sein de l’Unita, on admet qu’il s’agit d’un geste dans la bonne direction, « [on attend] de voir s’il va au bout de ses promesses ». Les Angolais, eux, semblent galvanisés par la fin du système dos Santos, qu’ils n’espéraient plus après quatre décennies d’un règne sans partage.

Ana Dias, une première dame au cœur du système

Dans cette mise au pas du système par João Lourenço, il ne faut pas sous-estimer le rôle de sa femme, Ana Dias. La première dame, ex-ministre du Plan (1997-2012), avait été « démissionnée » par dos Santos, dont elle avait pourtant été extrêmement proche – au point d’alimenter des rumeurs sur une liaison entre eux.

Militante de la première heure, elle fut emprisonnée trois mois en 1977 après une tentative de coup d’État menée par des dissidents du MPLA. Sa participation n’a jamais été prouvée. Elle est très liée aux Américains depuis son passage à Washington, où elle fut économiste à la Banque mondiale.

La nièce de Fernando da Piedade Dias dos Santos, l’actuel président de l’Assemblée nationale, connaît tous les arcanes du pouvoir et s’appuie sur un carnet d’adresses bien fourni à l’international. Un atout indéniable pour le nouveau chef de l’État.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image