Parcours : « Femme ébène », la grande sœur 2.0

Gouailleuse et tordante, la youtubeuse d’origine ivoirienne s’est changée en coach de vie pour panser les petits et les gros bobos de ses fans.

Fifi Kamagaté, alias « Femme ébène » sur les réseaux sociaux. © Cyrille Choupas pour JA

Fifi Kamagaté, alias « Femme ébène » sur les réseaux sociaux. © Cyrille Choupas pour JA

leo_pajon

Publié le 11 janvier 2018 Lecture : 4 minutes.

« Je vais te demander de faire une photo, une vidéo, un snap… » Fifi Kamagaté, mieux connue sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de Femme ébène, me tend son téléphone portable pour immortaliser la séance photo. « Je me suis fait agresser par mes abonnés car je n’avais pas internet depuis hier, il faut vraiment que je leur envoie quelque chose », s’excuse la youtubeuse de 20 ans en faisant battre ses longs cils.

Moulée dans sa robe chantilly, la gourmandise perchée sur de hautes bottes noires prend la pose sous le regard fasciné des habitués du bistrot de banlieue parisienne où nous l’avons retrouvée. Bouche bée, les clients qui contemplent la tornade en oublient de consommer leur mousse matinale. Pendant toute l’heure que dure l’entretien.

Fifi Kamagaté martèle un discours ultra positif d’« empowerment » façon Oprah Winfrey

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Femme ébène est exactement comme dans ses vidéos, parfois vues plus d’une centaine de milliers de fois : volubile, poilante… et attentionnée. Face caméra, comme pour une discussion avec une copine, la youtubeuse belge d’origine ivoirienne raconte ses « stories » à ses « chéris cocoooos », ses pires rencards (avec ce Roméo à l’hygiène douteuse qui laissait s’échapper « des vagues de désespoir » en levant les bras), la diarrhée qui l’a « giflée » ou cette jeune inconnue qu’elle a aidée à choisir de la lingerie pour rester séduisante.

Une coach de vie influente

Sous l’apparente futilité des sujets, Fifi Kamagaté martèle un discours ultra positif d’« empowerment » façon Oprah Winfrey (en beaucoup plus jeune et beaucoup plus belge) : il faut s’aimer, croire en soi et en ses capacités pour aller de l’avant. « Si le plan B ne marche pas, on doit tenter le C, puis toutes les lettres de l’alphabet ! »

En tout, je touche une centaine de milliers de personnes

Ce ton de coach de vie séduit : 15 000 abonnés sur Snapchat (sa « maison mère », où elle raconte le plus petit détail de son quotidien), 35 000 sur YouTube, 63 000 sur Facebook… « En tout, je touche une centaine de milliers de personnes », calcule sans une pointe de vanité la jeune femme.

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L’« influenceuse », qui n’a pour l’heure engrangé que quelques centaines d’euros via ses vidéos et a multiplié les heures de baby-sitting pour s’acheter une nouvelle caméra, n’est même pas réellement intéressée par le gain financier… « Sinon je me contenterai de mon compte YouTube, le seul qui me rapporte quelque chose. » Non, ce qui la motive, « c’est le partage, la possibilité d’aider un maximum de gens » : « Pour ceux qui me suivent, je suis un peu la bonne copine, la petite ou la grande sœur, voire la maman », explique-t‑elle.

Je ne m’aimais pas, à commencer par ma couleur de peau… Il fallait que je me reprenne

Il faut remonter le fil de son histoire pour comprendre comment elle en vient à remplacer des figures familiales et potasser un best-seller du gourou américain du développement personnel, Steve Harvey. Née à Bingerville, petite ville proche d’Abidjan, elle n’est qu’un bébé lorsque son père, recruté comme ingénieur, l’emmène à Lille. « Je devais avoir 2 ans et demi, mais on m’appelait déjà « Madame Bavarde »… On était en pleine guerre civile, et dans l’avion je trottinais de passager en passager pour demander : « Et toi, t’es de quel parti ? » » Quand elle a 5 ans, papa est muté ; ils posent leurs valises près de Bruxelles, pour de bon.

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Entre 14 et 16 ans, Fifi connaît un gros passage à vide. « Je ne m’aimais pas, à commencer par ma couleur de peau… Il fallait que je me reprenne. » Celle que ses amis appellent affectueusement « Femme ébène » sort la tête de l’eau et s’empare finalement de ce surnom pour signer des vidéos et permettre à d’autres d’échapper à la noyade. Aujourd’hui, si elle s’adresse à tous, elle estime que les femmes noires ont besoin de davantage d’aide.

« On a plus facilement tendance à se rabaisser, on est constamment dans la compétition. Je vois des youtubeuses qui jouent la caricature, mangent des bananes, font tomber leur perruque… J’en ai assez de cette image de blédarde. Si on veut être respectée, il faut commencer par se respecter soi-même. Jamais je ne me filmerais en tenue délabrée ou en pyjama ! »

Un projet de court-métrage

Aujourd’hui en première année de droit, elle se voit à terme « défendre les gens dans un tribunal, obtenir des solutions en jouant sur l’éloquence, le charisme. » En attendant, avec son aplomb d’ex-fille fragile, Fifi se change en Femme ébène pour aider ses petites sœurs du Net.

« L’autre jour, je reçois une photo sur Snap où une ado s’était mutilé tout le bras. Je lui ai demandé : « Pourquoi tu m’envoies ça ? Qu’est-ce que tu veux me dire ? C’est trop de responsabilité ! » J’ai fini par la rencontrer à Bruxelles… On a parlé deux heures. Elle a commencé à m’expliquer que c’était à cause de son copain, qu’elle avait rencontré deux semaines avant. Je lui ai dit : « Stop ! Soit tu me dis la vérité, soit tu rentres chez toi réparer ton bras. » En fait, elle n’arrivait pas à faire le deuil de son frère… »

On ne faisait pas attention, et nous voilà embarqués dans une nouvelle « story ». La suite, Femme ébène l’écrira peut-être dans un court-métrage, son nouveau grand projet qu’elle espère financer grâce à une cagnotte lancée sur okpal.com. Pour l’heure, ses « chéris cocos » n’ont pas beaucoup donné… mais ce n’est pas ça qui va la décourager. « Ils exigent toujours plus : des vidéos de meilleure qualité, ceci ou cela. Je prendrai ce qu’on me donnera, mais que les grincheux ne me fassent plus chier ! »

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