États-Unis – Cuba : le grand bond en arrière
À la fin du second mandat d’Obama, la levée de l’embargo commercial contre le régime castriste semblait imminente. Un an plus tard, il n’en est manifestement plus question. Merci qui ?
Aucun pan de l’héritage politique de Barack Obama n’échappe à l’entreprise de démolition lancée par son successeur. Et Cuba ne fait pas exception. Début 2015, Barack Obama avait officialisé le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, suspendues depuis 1961. Quelques mois plus tard, l’ambassade américaine à La Havane avait rouvert ses portes, tandis que celle de Cuba rouvrait les siennes à Washington. Ce processus de réchauffement dont le pape François a été la cheville ouvrière – des pourparlers secrets ont eu lieu au Vatican – a culminé en mars 2016 avec une visite du président américain dans l’île caraïbe. Venu avec Michelle et leurs deux filles, il y a rencontré Raúl Castro, mais aussi plusieurs dissidents.
Devant Castro et le vice-président Miguel Díaz-Canel, probable successeur du frère de Fidel, Obama avait prononcé un discours passionné, diffusé à la télévision cubaine, dans lequel il avait appelé à la promotion des libertés politiques et à la levée de l’embargo. Il avait conclu son allocution par un retentissant « Sí se puede », version hispanique du « yes we can » de sa campagne de 2008. C’était la première visite d’un président américain depuis 1928.
>>> LIRE AUSSI – L’après-Castro : « Non, Cuba ne va pas devenir une démocratie à l’occidentale ! »
638 projets d’assassinat contre Fidel Castro
On pensait donc que la guerre froide déclenchée en 1959 après le renversement de Fulgencio Batista était sur le point de s’achever. Elle avait culminé en avril 1961 avec la piteuse tentative américaine de débarquement dans la baie des Cochons. Au total, Fidel Castro aura survécu à 638 projets d’assassinat plus ou moins farfelus, pour la plupart ourdis par la CIA.
Ce qui explique, au moins en partie, qu’il ait autorisé l’Union soviétique à installer secrètement dans l’île des sites de missiles nucléaires. En octobre 1962, la découverte de ces installations déclencha une crise qui faillit dégénérer en conflit nucléaire.
Un demi-siècle plus tard, le point d’orgue de la détente engagée par Obama et Raúl Castro, qui a remplacé son frère en 2006, aurait dû être la levée de l’embargo commercial imposé par John Kennedy en 1962. Problème : seul le Congrès a le pouvoir d’y renoncer. Or les Républicains ne veulent pas en entendre parler… En 1992, une loi stipula même que cette sanction serait maintenue tant que la démocratie ne serait pas respectée. Quatre ans plus tard, une autre loi (Helms-Burton) l’aggrava encore en punissant les entreprises étrangères ayant des intérêts à Cuba. Jamais dans l’Histoire un embargo n’aura duré aussi longtemps.
Le tourisme, une manne économique
Obama en a pourtant assoupli certains aspects. En octobre 2016, il a par exemple abrogé la limite de 100 dollars imposée à l’importation aux États-Unis de rhum et de cigares cubains et a autorisé les touristes américains à se déplacer librement dans l’île. Fin 2016, pour la première fois depuis cinquante ans, les compagnies aériennes américaines ont rétabli leurs liaisons avec Cuba. Le résultat ne s’est pas fait attendre.
Plus de 475 000 Américains se sont rendus à Cuba entre janvier et août de cette année
À en croire l’ambassade cubaine à Washington, plus de 475 000 Américains se sont rendus à Cuba entre janvier et août de cette année (+ 173 % par rapport à la même période en 2016). Une véritable manne pour un pays économiquement exsangue. Dans le même temps, plus de 240 000 Cubains se sont rendus aux États-Unis (+ 84 %).
À l’automne 2016, les États-Unis se sont pour la première fois abstenus lors de la vingt-cinquième condamnation de l’embargo par l’Assemblée générale de l’ONU. De même, un peu plus tôt dans l’année, Cuba avait été rayée de la liste noire des États soutenant le terrorisme. Pour complaire au gouvernement cubain, le président américain a même renoncé à la politique dite du wet foot, dry foot (« pied humide, pied sec »), qui permettait à tout Cubain débarqué illégalement sur le sol américain de recevoir un titre de séjour de manière accélérée.
J’ai annulé cet accord, parce qu’il nous était entièrement défavorable », a commenté Trump
Bref, la normalisation suivait son cours, en dépit de la persistance de certains différends, comme celui concernant le sort d’Assata Shakur, une ancienne du Black Panther Party condamnée à perpétuité pour meurtre qui, depuis son évasion en 1979, coule des jours paisibles à Cuba. Selon un sondage du Pew Research Center, 75 % des Américains et 97 % des Cubains étaient, fin 2016, favorables à la normalisation des relations.
Une attaque « sonique »
C’était compter sans Donald Trump. Certes, le nouveau président n’entend pas rompre complètement avec Cuba. Seulement rétablir certaines interdictions, notamment en matière touristique. Par ailleurs, de nouvelles dispositions – passablement confuses – ont été mises en place pour empêcher tout échange commercial avec les institutions dépendant de l’État cubain : armée, services de renseignements, etc.
« J’ai annulé cet accord, parce qu’il nous était entièrement défavorable », a commenté Trump. Pourtant, comme souvent avec lui, tout est ici affaire de posture. Dans les faits, les déplacements touristiques restent possibles, et l’ambassade à La Havane n’a pas été fermée.
L’administration Trump a rapatrié la moitié du personnel de son ambassade
En août, une autre affaire a contribué à envenimer les relations bilatérales. Certains diplomates américains et canadiens en poste à La Havane ont été victimes de maux de tête apparemment provoqués par une mystérieuse arme « sonique ». Réveillés en pleine nuit, ils entendaient des bruits évoquant le vol d’un insecte ou le frottement d’une pièce de métal contre le sol.
Bien que les autorités cubaines jurent n’être pour rien dans ces attaques, l’administration Trump a répliqué en rapatriant la moitié du personnel de son ambassade – laquelle ne délivre d’ailleurs plus de visas –, et sommé les Cubains de faire de même avec leurs diplomates à Washington.
Donald Trump soutenu par la diaspora cubaine
Nulle arme, nul responsable n’ont à ce jour été identifiés, mais peu importe : les élucubrations complotistes les plus folles ont proliféré sur les réseaux sociaux et ailleurs. Tour à tour, les durs du régime castriste, les agences de renseignements américaines et jusqu’à la Russie ont été mis en cause. Bref, l’administration Trump pratique avec un indéniable talent le grand bond en arrière. Avec le plein soutien de la diaspora cubaine.
Forte de 2,5 millions de membres, celle-ci est très fortement implantée en Floride. Politiquement, elle est notoirement d’obédience conservatrice. Lors des primaires républicaines de 2016, elle comptait ainsi deux représentants : les sénateurs Ted Cruz (Texas) et Marco Rubio (Floride). Les positions respectives de l’administration Trump et des majorités républicaines au Congrès étant ce qu’elles sont, il est probable que l’embargo commercial restera en vigueur…
Le départ annoncé de Raúl Castro, en avril prochain, peut-il néanmoins changer la donne ? D’ici là, les responsables des mystérieuses « attaques soniques » auront-ils été découverts ? Il en a beaucoup été question lors de l’entretien du mois de septembre entre le secrétaire d’État Rex Tillerson et Bruno Rodríguez, son alter ego cubain. C’est la preuve que le dialogue n’est pas encore totalement rompu.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles