Khalifa Haftar : « La Libye n’est pas encore mûre pour la démocratie »

Dans son fief de Benghazi débarrassé, assure-t-il, des dernières poches de résistance, le maréchal libyen a reçu Jeune Afrique. Celui qui ambitionne de réunifier sous sa houlette – et au besoin par la force – ce pays déchiré fait le point sur ses alliés, ses ennemis et les tentatives de médiation internationales. Avec l’assurance de l’homme providentiel qu’il est persuadé d’incarner.

Lors de sa visite au ministre russe des Affaires étrangères, à Moscou, le 14 août 2017. © Sergei Savostyanov/TASS/getty images

Lors de sa visite au ministre russe des Affaires étrangères, à Moscou, le 14 août 2017. © Sergei Savostyanov/TASS/getty images

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 5 février 2018 Lecture : 13 minutes.

Ses ennemis sur le champ de bataille et les observateurs de la scène libyenne peuvent s’accorder sur un point : le maréchal Khalifa Haftar n’est pas un homme facile à cerner. Raillé comme un don Quichotte d’Afrique lorsqu’en mai 2014 le septuagénaire entreprenait avec une maigre troupe la mise au pas des milices nées de l’insurrection contre Kadhafi, il est désormais, après les succès de son Armée nationale libyenne (ANL), soupçonné de vouloir, à 74 ans, commencer une carrière de dictateur. L’ancien général de Mouammar Kadhafi, devenu l’un de ses pires opposants dans les années 1990, se montre intraitable en matière politique, affichant face à ses adversaires comme auprès de ses alliés l’indépendance et la posture souveraine d’un de Gaulle résistant, une de ses références proclamées.

Maître de l’Est et du Sud libyens, qu’il contrôle depuis Benghazi, il fait valoir l’ordre progressivement rétabli contre l’anarchie milicienne qui règne à Tripoli pour disqualifier les positions défendues par son principal antagoniste installé dans la capitale, Fayez el-Sarraj, le Premier ministre reconnu par les Nations unies. Le 17 décembre 2017 prenaient fin les échéances prévues par l’accord signé deux ans auparavant à Skhirat, au Maroc, entre le camp de l’Est et celui de l’Ouest, qui avait fait de Sarraj le Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale. « Tous les corps issus de cet accord perdent automatiquement leur légitimité », a déclaré le maréchal Haftar. Qui s’annonçait aussi, à mi-mot, candidat à la fonction présidentielle.

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« Le commandant de l’Armée nationale libyenne »

Un nouvel « homme fort » surgit-il dans la région ? Carrière militaire, discours sécuritaire, hantise des Frères musulmans et conviction d’être appelé par le peuple pour sauver le pays : le Libyen semble avoir une vie parallèle à celle de son allié et voisin, l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui a repris son pays d’une main de fer en 2013. Promu – comme Sissi deux ans auparavant – maréchal par le Parlement installé à Tobrouk en 2016, il s’est imposé comme l’acteur principal du scénario libyen. Les chancelleries occidentales le considèrent aujourd’hui avec une tout autre attention qu’aux premiers mouvements de son opération Karama (« dignité »), en 2014. Le 25 juillet 2017, le président français Emmanuel Macron saluait en lui « le commandant de l’Armée nationale libyenne », radiant diplomatiquement sa formation militaire de la catégorie milicienne.

Le 28 décembre 2017, le vieux combattant a annoncé l’éradication par ses forces de la trentaine de jihadistes qui résistaient encore dans un faubourg de Benghazi. Meurtrie par sept années de bataille, la ville où Haftar avait étudié la tactique militaire avec le futur colonel Kadhafi retrouve son souffle. Mais le maréchal n’y paraît guère. En dehors de quelques célébrations militaires et voyages diplomatiques, il reste retranché dans son quartier général de Rajmah, une colline fortifiée à une trentaine de kilomètres de Benghazi. L’accès est plusieurs fois filtré, les appareils électroniques, briquets, simples paquets de cigarettes sont interdits dans le bâtiment où il réside. Le 4 juin 2014, un kamikaze a fait exploser son camion piégé devant la base, manquant de tuer le maître des lieux. Sa vie serait mise à prix pour des dizaines de millions de dollars.

Vingt ans d’exil aux États-Unis

Avant de le rencontrer, passage obligé chez l’accueillant général Aoun al-Ferjani, chef de la sécurité militaire et numéro deux du contre-espionnage libyen sous Kadhafi. Puis les heures d’attente s’enchaînent, peuvent devenir des jours dans des salons où défilent militaires, chefs claniques en costumes traditionnels, combattants du Sud en turban saharien, un milicien dont le treillis s’orne d’une longue barbe salafiste et autres hommes d’affaires en complet venus courtiser l’état-major du maréchal. Enfin, la porte s’ouvre sur son vaste bureau. N’était son uniforme, on le prendrait pour un vénérable universitaire. Son ton, impassible, a plus de froideur professorale que d’ardeur martiale, et s’il maîtrise parfaitement l’anglais après vingt ans d’exil aux États-Unis, il tient à ne dire qu’en arabe ses idées sur la Libye.

Jeune Afrique : Sur le terrain politique, les choses ont-elles évolué positivement depuis votre rencontre très attendue avec le Premier ministre, Fayez el-Sarraj, le 25 juillet 2017, à La Celle-Saint-Cloud, près de Paris ?

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Khalifa Haftar : Nous faisons de notre mieux pour collaborer avec M. Sarraj. Malheureusement, il est l’otage des milices à Tripoli et n’a pas les mains libres. Il lui est très difficile de prendre des décisions, et plus encore de les exécuter. Tout ce qu’il peut faire est d’accepter des rencontres et de donner des accords verbaux sans lendemain. À plusieurs reprises, lors de nos diverses entrevues, nous avons essayé de le pousser à la fermeté, sans jamais obtenir de résultat. En revanche, nous, les forces armées régulières libyennes, connaissons très bien notre mission et sommes en capacité d’agir quand le moment viendra.

Avec le président français, Emmanuel Macron (au centre), et le Premier ministre, libyen, Fayez el-Sarraj, lors de la rencontre à La Celle-Saint-Cloud, le 25 juillet 2017. © PHILIPPE WOJAZER/POOL/AFP

Avec le président français, Emmanuel Macron (au centre), et le Premier ministre, libyen, Fayez el-Sarraj, lors de la rencontre à La Celle-Saint-Cloud, le 25 juillet 2017. © PHILIPPE WOJAZER/POOL/AFP

Pour nous, il faut organiser les élections avant que les élus s’accordent sur une Constitution

Quel est-il, ce moment ?

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Celui des élections. Quand il se présentera, l’armée jouera pleinement son rôle pour les sécuriser.

La France d’Emmanuel Macron vous semble-t-elle plus sincère dans son soutien que la diplomatie de son prédécesseur, François Hollande ?

Avec Macron, les choses sont plus claires. Il compte beaucoup sur la Libye et use de tous ses moyens pour qu’elle recouvre la stabilité. La rencontre de La Celle-Saint-Cloud était pour lui pleine d’espoir, mais la réaction de M. Sarraj n’a pas été positive. Pour nous, la position de M. Macron est importante pour faire évoluer le processus politique.

La feuille de route de Ghassan Salamé, envoyé spécial de l’ONU, planifie des élections d’ici à juillet. Est-ce réaliste dans l’état actuel du pays ?

Son plan prévoit d’abord que les articles litigieux de l’accord de Skhirat, maintenant caducs, soient amendés. Cette première étape prendrait déjà une année ou deux. Il prévoit ensuite l’élaboration d’une Constitution, ce qui ne pourra se faire en moins de trois ans. Et, enfin, les élections pourraient avoir lieu, ce qui nous amène bien loin de juillet prochain… Pour nous, il faut organiser les élections avant que les élus s’accordent sur une Constitution. Elles doivent être tenues le plus rapidement possible, dans la plus grande transparence, et le vote doit être obligatoire.

Rassemblement de partisans du maréchal à Benghazi, le 17 décembre 2017. © Esam Omran Al-Fetori /REUTERS

Rassemblement de partisans du maréchal à Benghazi, le 17 décembre 2017. © Esam Omran Al-Fetori /REUTERS

Le peuple libyen a fait beaucoup de sacrifices, et M. Salamé doit être bien attentif à ne pas décevoir ses espoirs

Dans un contexte débarrassé de l’influence des milices, donc… sur une Constitution. Elles doivent être tenues le plus rapidement possible, dans la plus grande transparence, et le vote doit être obligatoire.

Il faudra en effet que l’armée assure la sécurité de l’ensemble des lieux de vote et que des observateurs internationaux contrôlent la régularité du scrutin. Le processus électoral est essentiel pour nous, et la moindre anomalie serait lourde de conséquences. Nous voulons, à l’unisson de la communauté internationale, reconstruire un État libyen démocratique, laïque et stable. Mais cela doit être fait dans les règles.

Vos adversaires de l’Ouest ne respectent pas ces règles ?

Nous savons qu’ils ont, par exemple, octroyé des numéros d’identité, donc d’électeurs, à des étrangers. Nous savons aussi que de l’argent est utilisé pour corrompre les électeurs. Les Frères musulmans, responsables de la venue des terroristes en Libye, ne doivent avoir aucune responsabilité dans le déroulement du processus électoral. Le peuple libyen a fait beaucoup de sacrifices, et M. Salamé doit être bien attentif à ne pas décevoir ses espoirs.

Le déploiement de l’armée dans tout le pays est donc un préalable indispensable ?

Nécessairement. Le seul corps auquel le peuple libyen fait aujourd’hui confiance est l’armée, et elle devra assurer la sécurité de tous les centres de vote et de tous les électeurs pour garantir des élections libres et transparentes. Il faudrait aussi que M. Salamé souligne davantage le fait que notre armée est une armée nationale, régulière, et non une milice.

La démocratie est une culture qui se construit, ça n’est pas une tasse de café instantané

L’Armée nationale libyenne (ANL) affirme contrôler 90 % du pays. Pourquoi ne pas conquérir les 10 % restants ?

Nous donnons la priorité à la voie politique. Quand s’est présentée la possibilité d’une solution par les urnes, nous nous sommes retenus. Nous voulions éviter l’effusion de sang. Certes, nous gardons espoir, mais notre patience a ses limites. Et si cette voie se confirme être une impasse, nous avons dans les 10 % du territoire qui nous échappent des cellules dormantes qu’il sera facile d’activer.

Quel est l’état actuel de l’ANL ?

Nous alignons 75 000 hommes et contrôlons désormais le sud du pays et nos frontières de l’Égypte à la Tunisie.

Le système démocratique, prôné par l’Occident, est-il viable dans une Libye en sortie de crise ?

La Libye d’aujourd’hui n’est pas encore mûre pour la démocratie. C’est un mode de gouvernance qui s’élabore, qui ne s’impose pas du jour au lendemain. La démocratie est une culture qui se construit, ça n’est pas une tasse de café instantané. Elle est notre but, mais qu’il est prématuré de vouloir atteindre. Peut-être les futures générations y parviendront-elles.

Khalifa Hatar, avec notre collaborateur, le 16 décembre 2017. © DR

Khalifa Hatar, avec notre collaborateur, le 16 décembre 2017. © DR

La tension règne entre l’Est et l’Ouest, et il nous faut apaiser cette situation pour que l’armée puisse combattre les terroristes

Le régime présidentiel, fort de votre allié égyptien le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, vous montre-t-il une piste ?

Nos positions se rapprochent, en effet. Je ne considère pas le président égyptien comme un exemple, mais la situation de son pays lors de son accession au pouvoir est comparable à celle de la Libye aujourd’hui. Nos grands ennemis, les Frères musulmans, menacent aussi bien nos deux pays que leurs voisins africains et européens. Le terrorisme s’est implanté un peu partout en Libye. Nous avons mis trois années à l’éradiquer ici, à Benghazi, avec des moyens très limités, notamment à cause de l’embargo sur les armes qui nous est imposé. Malheureusement, la tension règne entre l’Est et l’Ouest, et il nous faut apaiser cette situation pour que l’armée puisse combattre les terroristes sur l’ensemble du territoire.

Entre les partisans de Seif el-Islam, les monarchistes, les salafistes… qui sont vos alliés sur la scène nationale libyenne ?

Beaucoup de naïfs continuent malheureusement de croire en Seif el-Islam. Il est à l’heure actuelle un prisonnier dont nous souhaitons la libération le plus rapidement possible. Certains cherchent à marchander avec lui et à l’utiliser à des fins vénales. Les partisans de la monarchie comptent bien des personnalités de valeur dans leurs rangs, mais ce système est dépassé depuis longtemps. Le Royaume-Uni et d’autres cherchent à leur donner du souffle, mais ils n’ont aucun crédit en Libye. Quant aux salafistes, ils sont en effet nos alliés. Ils croient à l’autorité de l’État, respectent les corps démocratiquement élus et sont les pires ennemis de Daesh et de l’islam fanatique.

L’Algérie est un pays frère, mais je ne savais pas qu’il y avait des médiations de sa part

Les revenus pétroliers sont remontés à un niveau convenable, mais le pays s’enfonce dans la crise économique. Sont-ils mal gérés ?

Nous avons libéré les zones pétrolières et les avons remises sans conditions à la National Oil Corporation (NOC) il y a trois ans, mais en rappelant que les bénéfices générés doivent être répartis entre tous, le Sud, l’Est et l’Ouest. Hélas, le président de la NOC a alors prétendu qu’il n’avait qu’un rôle de vendeur, et nous avons perdu confiance. Dans les faits, toutes les recettes arrivent à la Banque centrale, à Tripoli, et sont distribuées par le gouverneur en fonction de ses intérêts personnels. Nous avons les preuves de sommes exorbitantes qui ont été perçues par certains. Une bonne partie de cet argent a ainsi été utilisée pour corrompre des parlementaires [de Tobrouk, NDLR]. Une autre partie sert à acheter des mercenaires ou termine dans les poches de ceux qui alimentent l’immigration clandestine et autres activités criminelles à Tripoli et jusque chez nos voisins.

L’Algérie dit se poser en médiateur impartial entre l’Est et l’Ouest libyens, qu’en est-il ?

L’Algérie est un pays frère, mais je ne savais pas qu’il y avait des médiations de sa part. En ce qui me concerne et en ce qui concerne ma partie, l’Algérie n’a jamais été un intermédiaire. Peut-être qu’une initiative se prépare, mais, pour le moment, nous n’en avons pas connaissance.

Le président Issoufou est une personnalité très importante qui ne ménage aucun effort pour le rétablissement de la paix et de la sécurité en Libye

Alger est réputé plus proche de M. Sarraj…

Je suis certain que si les Algériens s’essaient à la médiation, ils le feront de manière neutre. C’est un État arabe, et l’union des Libyens est aussi importante pour Alger que ses divisions lui sont nuisibles.

Un autre chef d’État, plus lointain, le Congolais Denis Sassou Nguesso, propose sa médiation par le biais de l’Union africaine. Est-elle utile ?

Nous en avons entendu parler, mais en pratique nous n’avons rien vu.

>>> A LIRE – Libye – Congo : la mémoire sélective de Khalifa Haftar irrite Denis Sassou Nguesso

Vous partagez 350 km de frontières avec le Niger. Le président Mahamadou Issoufou lutte-t-il efficacement contre le terrorisme et coopère-t-il avec l’ANL ?

Le président Issoufou est une personnalité très importante qui ne ménage aucun effort pour le rétablissement de la paix et de la sécurité en Libye. Il a dépêché un envoyé spécial pour me rassurer et me rappeler à quel point la Libye comptait pour lui. Malheureusement, je ne l’ai pas encore rencontré.

Toute la population s’est rangée derrière nous. Nous sommes ainsi passés de 200 hommes au début de Karama à 7 000

Souhaitez-vous le rencontrer ?

Pourquoi pas ? Hélas, la situation sécuritaire ne m’a pas encore permis de rendre visite à mon frère Issoufou.

Et qu’en est-il de vos rapports avec le président tchadien, Idriss Déby Itno ?

M. Déby Itno est d’abord un ami personnel, quelqu’un de très important pour moi. C’est aussi le chef d’un État voisin qui tient beaucoup à ce que la Libye se libère et retrouve la voie de la prospérité, de la stabilité, de la paix et de la liberté.

En lançant l’opération Karama en 2014 contre les nombreuses milices avec une poignée d’hommes, aviez-vous foi en sa réussite ?

Je n’ai jamais eu de doute. Je suis un soldat, je n’entreprends aucune action sans avoir minutieusement étudié la situation. Nous savions que l’ennemi était bien supérieur en nombre, avec 15 000 combattants. Nous avons alors visé la tête de la coalition des miliciens. Les 75 responsables qui constituaient sa direction ont organisé une réunion à laquelle ils ont convié d’autres chefs extrémistes. Nous avons saisi cette occasion pour leur porter un coup mortel. Puis nous avons gagné du terrain et saisi de nombreuses armes en compensant la faiblesse de nos effectifs par notre connaissance de la tactique militaire académique. Au bout de deux mois, nous avons marché sur les villes. Beaucoup d’officiers et de nombreux jeunes n’attendaient qu’une occasion pour nous rejoindre. Toute la population s’est rangée derrière nous. Nous sommes ainsi passés de 200 hommes au début de Karama à 7 000.

Nous n’avions pas prévu l’intervention de l’Otan, pour laquelle nous n’avons d’ailleurs pas été consultés

Beaucoup estiment, après sept ans, que les révolutions arabes étaient en fait des mouvements de contestation suscités de l’extérieur. Est-ce ainsi que vous considérez le mouvement libyen de février 2011 ?

L’élément étranger est entré en jeu après le soulèvement populaire. C’était un mouvement national dirigé contre le régime de Kadhafi. J’étais alors aux États-Unis et j’incitais la population à se mobiliser pour la démission de Kadhafi sur la chaîne arabophone Al-Hourra. Mais nous n’avions pas prévu l’intervention de l’Otan, pour laquelle nous n’avons d’ailleurs pas été consultés. Celle-ci a eu des résultats bénéfiques, mais aussi des conséquences très graves. Nous regrettons ainsi des destructions très importantes qui n’étaient pas nécessaires. Et nous déplorons la fin de Kadhafi, qui n’aurait pas dû mourir de cette manière. Nos traditions comme nos valeurs libyennes nous interdisaient de le traiter aussi indignement.

Aviez-vous eu des contacts avec lui pendant la crise ?

Quand je suis arrivé en Libye, une semaine après le soulèvement de février 2011, il m’a appelé. Je lui ai dit de faire marche arrière, de remettre le pouvoir au peuple et de s’effacer. Il m’a raccroché au nez. Est alors arrivé ce qui devait arriver.

Quand Kadhafi a refusé de reconnaître mon statut de prisonnier de guerre, j’ai alors décidé de m’opposer à lui

Vous aviez fait une première révolution côte à côte, en 1969…

Nous étions à l’école militaire ensemble et nous avons renversé ensemble la monarchie. J’avais ensuite fait le choix de rester un militaire, hors du champ politique, contrairement à Kadhafi. Il a alors commis beaucoup d’erreurs, mais comme c’était un compagnon d’armes je ne m’en suis pas formalisé. Mais les divergences se sont accentuées, il m’a contraint à l’exil et j’ai décidé de faire face. Plus tard, il a essayé de faire intervenir de nombreux États pour que je revienne, mais je lui ai fait comprendre que ses forces ne m’intimideraient pas et que son argent ne pourrait pas me séduire.

Votre défaite en tant que chef du corps expéditionnaire libyen dans la bande d’Aouzou en 1987 et la prison au Tchad sont-ils des souvenirs amers ?

J’étais parvenu à contrôler les régions ciblées en deux mois, mais la France est intervenue avec d’autres pays, et les équilibres ont changé, avec les conséquences que l’on connaît. Par la suite, les Tchadiens m’ont bien reçu et bien traité, en actes comme en paroles. Quand Kadhafi a refusé de reconnaître mon statut de prisonnier de guerre, j’ai alors décidé de m’opposer à lui. Et quand nous prenons ce genre de décision, nous ne reculons pas, jusqu’à la mort.

Vivez-vous aujourd’hui l’aboutissement de ce long processus ?

Exactement. Quand je vois à Benghazi les gens libres et sereins, j’ai le sentiment du devoir ­accompli.

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