Manifestations en Iran : le début d’une vraie révolution ?
Mouvement social, complot extérieur, contestation politique… Chacun y va de son analyse pour décrypter les manifestations qui ont secoué le pays. Explications, au-delà des fantasmes.
Telle est la guerre de l’information à l’heure du village planétaire connecté : à peine les premières images des manifestations en Iran avaient-elles été diffusées que chacun y est allé de son analyse plus ou moins réchauffée de la situation. Donald Trump s’est empressé de pointer dans un tweet « la corruption du pouvoir » et son soutien au terrorisme.
D’autres se sont sentis autorisés à évoquer la « fin du régime des mollahs » – photo d’une Iranienne dévoilée à l’appui –, quand les soutiens de Téhéran brandissaient, eux, la sempiternelle théorie de la machination extérieure contre la nation iranienne. Qu’en est-il au juste ? Tout est parti d’une manifestation organisée à Mashhad (Nord-Est), le 28 décembre.
L’économie iranienne au cœur des revendications
Le mot d’ordre est alors clair : il s’agit de dénoncer la vie chère, le chômage endémique (28 % des jeunes sont sans emploi) et, plus généralement, la politique d’austérité du président Hassan Rohani. Ce dernier a bien fait reculer l’inflation, mais les classes moyennes paient aujourd’hui treize ans de mauvaise gestion des deniers publics. Des ingénieurs sont obligés de cumuler trois emplois pour joindre les deux bouts.
La corruption endémique et le phénomène des aghazadeh (les « fils de ») ont achevé d’exaspérer la population. « La concession Porsche a réalisé son meilleur chiffre d’affaires en Iran. Il y a deux poids, deux mesures : le peuple subit le chômage et l’inflation. […] Il y a un sentiment d’injustice totale », commente l’écrivaine Nahal Tajadod. Les revendications des manifestants de Mashhad dépassent donc les clivages partisans.
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Autour de Rohani, on évoque le rôle trouble de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad et celui, plus assuré, du candidat malheureux de la dernière présidentielle, Ebrahim Raïssi. Mais la manifestation tourne à l’agitation et échappe à ses instigateurs supposés. Des slogans contre la vie chère, on passe à « Mort au dictateur ! », « Mort à Khamenei ! ».
Des paroles pour le moins surprenantes lorsqu’elles sont scandées à Mashhad et à Qom – deux villes saintes du chiisme et bastions du conservatisme iranien –, d’où sont parties des manifestations qui attestent davantage d’un ras-le-bol généralisé que d’une volonté de renverser le régime. Les très provinciales villes de Rasht, près de la Caspienne, Zahedan, dans le Baloutchistan, et Kermanshah la kurde ont vite suivi.
De fait, ce mouvement de contestation n’est pas comparable à celui, massif, de 2009, qui avait fédéré la jeunesse libérale et les pro-réformateurs des grandes villes contre la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad. La capitale iranienne est d’ailleurs davantage prise d’angoisse que de fièvre révolutionnaire.
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Contactée par Jeune Afrique, une Téhéranaise qui avait activement participé au mouvement vert de 2009 se montre aujourd’hui inquiète : « Cette fois, je ne me range pas à leurs côtés, je crains le pire pour mon pays. C’est vrai que la corruption ronge l’Iran, que le gouvernement dépense une grande partie du budget en Syrie, au Yémen ou au Liban. Mais le problème est qu’il n’y a pas d’alternative. Si ce régime est renversé, qui prendra sa place ? Reza, le fils de Shah ? Les moudjahidine [du peuple, une organisation antirégime, ndlr] ? Est-ce que les Gardiens de la révolution préparent un coup d’État ? Tout est confus, et ça fait bien peur. »
Les revendications loin des préoccupations de l’élite
« Les revendications mises en avant relèvent de questions économiques », veut tempérer Eshaq Jahanguiri, premier vice-président de Rohani. Mais en Iran plus qu’ailleurs le malaise économique peut avoir de lourdes répercussions politiques. La République islamique doit en partie sa stabilité aux progrès réels du niveau de vie de la population depuis la fin des années 1970.
Le régime est devenu un système de prédation économique
L’une des grandes réussites de la révolution islamique, l’éducation de masse, est en train de devenir un problème dans la mesure où les jeunes diplômés ne trouvent pas d’emplois correspondant à leurs compétences. Sans oublier que Hassan Rohani s’est fait élire sur la promesse de mettre fin aux sanctions internationales par la négociation sur le nucléaire. L’accord a été trouvé, mais Donald Trump a tout remis en question, et l’économie iranienne continue d’étouffer.
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La justice sociale, centrale dans les objectifs de la révolution, paraît loin des préoccupations de l’élite. « Il est clair pour beaucoup d’Iraniens que le régime est devenu un système de prédation économique au service de quelques-uns. La corruption de ces soi-disant hommes de Dieu s’affiche aujourd’hui dans la presse. La répression et la coupure de la messagerie Telegram finiront par venir à bout des manifestations. Mais ça recommencera », affirme une Iranienne qui vit entre la France et son pays.
21 morts et des centaines d’arrestations
Pour l’heure, le reflux du mouvement semble nettement se dessiner. Des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés, le 3 janvier, dans les mêmes villes de province d’où était partie ce que les autorités nomment la « sédition », pour affirmer leur soutien au régime et dénoncer les « fauteurs de troubles ».
Discrète dans un premier temps, la répression s’est mise en marche : 21 morts, des centaines d’arrestations, dont 450 à Téhéran, selon les chiffres officiels. Dans la capitale, après quelques nuits de troubles, le calme est revenu. Sans leaders identifiables, la protestation n’a pu s’organiser et se transformer en mouvement de grande ampleur.
L’Iran a fait son bilan de la monarchie
Les espoirs de changement de régime à court terme ont ainsi rapidement été douchés. Reza Pahlavi, fils du Shah et exilé aux États-Unis, s’était empressé, le 30 décembre, d’appeler les Iraniens à la désobéissance civile… sur Fox News, probablement la chaîne la plus iranophobe du paysage médiatique américain. « Les jeunes ne connaissent ni Reza Pahlavi ni, a fortiori, son père. L’Iran a fait son bilan de la monarchie », tranche Azadeh Kian, franco-iranienne sociologue à l’université Paris 7.
Quelle que soit la nature de leur mécontentement, les Iraniens demeurent nationalistes et très jaloux de leur indépendance. « Malgré les problèmes économiques, la population est très attachée à la sécurité et à la stabilité du pays. Elle ne veut pas de perturbateurs. Beaucoup d’Iraniens pensent réellement que l’Occident est derrière ces événements », conclut une Iranienne vivant à Paris. Il est vrai que la République islamique peut toujours compter sur les tweets intempestifs de Donald Trump.
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