Manifestations en Iran : « On a affaire à une demande de justice »
Depuis le 28 décembre dernier, une vague de protestation s’est répandue dans plusieurs dizaines de villes d’Iran. Pour Azadeh Kian*, sociologue franco-iranienne, il ne s’agit pas d’un début de révolution.
Tout est parti d’une manifestation organisée à Mashhad (Nord-Est), le 28 décembre. Depuis, les manifestations se multiplient, notamment pour dénoncer la politique d’austérité du président Hassan Rohani. Azadeh Kian, sociologue franco-iranienne, décrypte ce mouvement.
Jeune Afrique : À-t-on affaire à une révolution ?
Azadeh Kian : Ce n’est même pas un mouvement social. Les slogans sont très divers, il n’y a pas un programme politique. Des jeunes issus des classes populaires sont en colère et cassent. Les revendications sont tout à fait légitimes : contre les inégalités sociales flagrantes, contre la corruption, contre une minorité qui accapare les revenus pétroliers. Mais pour une révolution il faut plusieurs générations, plusieurs groupes sociaux, plusieurs millions de personnes. Or les manifestants étaient quelques centaines tout au plus. Au tout début, on a vu un certain nombre de retraités et d’ouvriers. Si les manifestations n’avaient pas dégénéré en affrontements, les classes moyennes auraient pu être attirées. Ces dernières sont également mécontentes, mais elles rejettent la violence. Six jours après le début des événements, elles n’étaient toujours pas descendues dans la rue.
Le gouvernement est-il en mesure de mener des réformes ?
Rohani a été trop prudent. Il aurait dû profiter de la situation pour dire haut et fort qu’il ne contrôle qu’une petite partie de l’économie, dénoncer les institutions et les fondations religieuses des Gardiens, lesquels ont imposé leur mainmise sur l’économie. Il faut qu’il soit franc au moins avec ses électeurs, qu’il leur dise : « J’essaie, mais ils ne me laissent pas faire. » Il s’est contenté d’accuser l’étranger. Le gouvernement a bien baissé les prix des denrées alimentaires. Mais ces mesurettes ne suffiront pas.
L’effritement de la base populaire du régime peut-elle le menacer à terme ?
On peut s’attendre à un essoufflement du mouvement. Ce qui ne veut pas dire que les revendications vont disparaître. Aujourd’hui, la base du régime est constituée de ceux qui profitent de la manne pétrolière. Les deux tiers du budget sont affectés à tout un tas d’institutions et de fondations des Gardiens de la révolution. Qui ont privatisé l’État. Le régime islamique n’est plus un régime révolutionnaire, mais la population l’est encore. Les Iraniens ont pris à la lettre les idéaux révolutionnaires, davantage que le régime lui-même. Nous avons affaire à une demande de plus de justice.
*Auteure de L’Iran : un mouvement sans révolution ? La vague verte face au pouvoir mercanto-militariste, 2011.
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