Algérie : Bouteflika et les Amazighs

Depuis son accession au pouvoir, en 1999, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a multiplié les concessions au mouvement berbériste. Contrairement à ses prédécesseurs. Enquête.

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika, en Algérie, le 27 mars 2009. © Alfred de Montesquiou/AP/SIPA

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika, en Algérie, le 27 mars 2009. © Alfred de Montesquiou/AP/SIPA

FARID-ALILAT_2024

Publié le 24 janvier 2018 Lecture : 6 minutes.

Abdelaziz Bouteflika aime souvent citer en exemple Mouammar Kadhafi, dont il appréciait en tout cas le caractère imprévisible. À bien des égards, le président algérien, qui bouclera en avril ses dix-neuf années au pouvoir, cultive ce trait de caractère qui le rend parfois tout aussi déroutant que feu le colonel libyen.

Il en a fait à nouveau la démonstration en décembre en accordant une suite favorable à une vieille revendication du mouvement berbériste algérien. À l’issue de son dernier Conseil des ministres de l’année 2017, Bouteflika a ainsi décidé de consacrer Yennayer, le Nouvel An berbère, journée chômée et payée à compter du 12 janvier 2018.

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Dans la foulée, il a demandé au gouvernement de hâter la préparation du projet de loi portant création d’une académie de la langue berbère, comme prévu par un amendement de la Constitution datant de 2016. Pour la première fois de son histoire, l’Algérie célèbre donc officiellement la fête de Yennayer, au même titre que le Nouvel An chrétien ou que le Mawlid ou Mouled (anniversaire de la naissance du Prophète).

Question taboue

Cette annonce surprise intervient dans un contexte particulier. La Kabylie, principale région berbérophone du pays, a été le théâtre, à partir de fin novembre, de plusieurs manifestations, parfois violentes, contre le rejet par les députés de l’Assemblée nationale d’un amendement visant à généraliser l’enseignement du tamazight, la langue berbère, dans les écoles.

Le tamazight est le vecteur porteur de tous les mécontentements, de toutes les aspirations. C’est l’esprit de liberté, de modernité et de progrès

À ce mouvement est venue se greffer la contestation de la politique d’austérité adoptée par la loi de finances 2018, en raison de la crise financière qui touche l’Algérie depuis la chute des cours du pétrole. Devant l’ampleur des manifestations, les autorités ont dû monter au créneau pour tenter d’éteindre le feu.

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Souci de couper court à cette protestation qui risquait de dégénérer, ou volonté de promouvoir la culture et l’identité berbères, toujours est-il que Bouteflika a fait mouche. Certes, sa décision de consacrer Yennayer fête nationale a été presque unanimement saluée aux quatre coins de l’Algérie, mais elle a été accueillie avec prudence et scepticisme par certains militants de la cause berbériste.

Cette consécration, le journaliste et écrivain Kamel Daoud la juge, pour sa part, comme un acquis pouvant réconcilier les Algériens avec leur histoire millénaire. « Yennayer, jour de fête désormais journée chômée et payée, écrit-il. Parce que certains n’ont pas chômé le long des décennies et qu’ils l’ont payé de leur vie. Décision à saluer, sur le long chemin de la guérison de nos racines, en attendant nos récoltes. »

Depuis quelque temps, la stratégie du pouvoir consiste à céder sur le formel et à demeurer intransigeant sur le substantiel

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En revanche, l’analyse de Djamel Zenati, ex-député du Front des forces socialistes (FFS) et l’un des plus anciens animateurs de cette mouvance, est un mélange de circonspection et de mise en garde. « L’officialisation de Yennayer est l’aboutissement d’un long combat, rappelle-t-il dans une déclaration publique. C’est aussi le résultat des récentes mobilisations de la jeunesse kabyle. Mais il y a lieu d’être prudent », souligne l’ex-député.

« Cette décision intervient dans un moment de crise intégrale aggravée par une guerre successorale de plus en plus ouverte, continue Djamel Zenati. Le pouvoir a certainement cédé sous la panique. Mais il reste très attaché à son caractère manœuvrier. Par la force des choses, [le] tamazight est [devenu] le vecteur porteur de tous les mécontentements, de toutes les aspirations. C’est l’esprit de liberté, de modernité et de progrès. C’est un rêve toujours vivant, toujours mobilisateur. Depuis quelque temps, la stratégie du pouvoir consiste à céder sur le formel et à demeurer intransigeant sur le substantiel. »

Algérie plurielle ?

Le tamazight consacré langue nationale après l’amendement de la Constitution en 2002, puis langue officielle au terme d’une autre révision constitutionnelle en 2016, Yennayer fête nationale chômée et payée… Difficile de ne pas reconnaître que Bouteflika a fait mieux que tous ses prédécesseurs.

Il suffit de remonter le temps pour mesurer combien le chemin fut long et le combat difficile pour que ces revendications culturelles, identitaires et linguistiques soient satisfaites par l’État algérien. C’est que, de l’indépendance de 1962 jusqu’au printemps berbère de 1980, la question amazigh était taboue. Elle relevait de l’interdit, de l’effacé, du refoulé, tant les officiels soulignaient l’identité arabo-musulmane de l’Algérie.

Exit les millions de Berbères vivant sur son sol et dont les ancêtres ont été les premiers à peupler l’Afrique du Nord. Pour avoir revendiqué la reconnaissance de la langue et de la culture berbère, des hommes et des femmes ont été passés à tabac, emprisonnés ou poussés à l’exil.

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 Si l’État a progressivement reconnu le tamazight comme composante de l’identité algérienne au même titre que l’arabe et l’islam, la promotion de la langue berbère n’en est pas moins restée marginalisée et circonscrite à quelques régions du pays, la Kabylie en particulier. Si tel n’était pas encore le cas aujourd’hui, le président n’aurait certainement pas demandé au gouvernement de hâter le projet de loi portant création de l’académie berbère.

Vous ne pouvez pas demander aux Algériens de se prononcer dans les urnes sur leur identité, vous allez diviser le pays

En accédant à cette vieille revendication, Bouteflika aura donc réparé une injustice. Mais il n’est pas sûr que son initiative apaise pour autant les relations tendues qu’il entretient avec les Kabyles depuis presque deux décennies. Car dès son accession au pouvoir, le président avait décidé dans un premier temps de fermer la porte au tamazight.

« Si, je dis bien si [le] tamazight devait devenir une langue nationale, elle ne sera jamais officielle, je tiens à le dire, tonna-t-il lors d’un meeting à Tizi-Ouzou en septembre 1999. Et si elle devait devenir langue nationale, ça serait par voie référendaire, et c’est tout le peuple algérien qui serait consulté. »

Répression sanglante de 2001

Il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas, dit un vieux proverbe. En avril 2002, Bouteflika abjure son « jamais » en demandant au Parlement de voter un amendement faisant du tamazight une langue nationale, aux côtés de l’arabe. À vrai dire, le président entendait faire passer ce fameux amendement par voie référendaire, comme il s’y était engagé en 1999, avant d’en être dissuadé par Louisa Hanoune, chef du Parti des travailleurs (PT), qui avait encore son oreille à l’époque. « Vous ne pouvez pas demander aux Algériens de se prononcer dans les urnes sur leur identité, lui avait-elle confié au cours d’un tête-à-tête, vous allez diviser le pays. »

Bouteflika abandonne l’idée d’un vote populaire, non sans reconnaître que ses propos sur le référendum à Tizi-Ouzou pouvaient passer pour une provocation inutile. Aurait-il abjuré son « jamais » sans les tragiques événements qui avaient ensanglanté et endeuillé la Kabylie un an plus tôt ? Pas si sûr.

Les émeutes de 2001 en Kabylie. © NEW PRESS/SIPA

Les émeutes de 2001 en Kabylie. © NEW PRESS/SIPA

Au printemps et durant l’été 2001, la répression de manifestations avait en effet fait plus de 120 morts dans plusieurs villes et villages de Kabylie. Pour faire la lumière sur ces événements, le président avait mis en place une commission d’enquête indépendante dont les conclusions, accablantes pour les autorités civiles et militaires, sont restées sans suite. Les gendarmes et policiers responsables de la mort des manifestants n’ont à ce jour pas été traduits en justice.

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Bien que la crise en Kabylie soit officiellement réglée depuis 2006, le contentieux avec Bouteflika n’est pas soldé. La méfiance est d’autant plus persistante que les populations de cette région frondeuse estiment qu’elles n’ont pas bénéficié du même traitement que les autres régions en matière de projets de développement et d’investissements publics.

La décision de Bouteflika de faire du tamazight une langue officielle en 2016, réparant là encore une autre injustice historique, n’a pas non plus contribué à normaliser ses relations avec les Kabyles. Un malaise entretenu par le souvenir encore vif des tragiques événements de 2001, d’autant que les « bourreaux » n’ont pas été jugés, et le sentiment d’être délaissé. Au crépuscule de sa longue carrière, Bouteflika peut tout de même se targuer d’avoir accordé à la cause berbère ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’a pu, voulu ou osé lui concéder.

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