RDC : il est minuit, M. Kabila
Certains cauchemars reviennent à nuit fixe. Ce 16 janvier 2018, comme chaque 16 janvier depuis dix-sept ans, Joseph Kabila Kabange revit l’assassinat de son père, celui du père de son père et tout ce que ce lourd passé fait peser sur son propre destin.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 15 janvier 2018 Lecture : 4 minutes.
Joseph a alors 29 ans. C’est un jeune homme timide, reclus. Il parle l’anglais et le swahili, mal le français, pas du tout le lingala. Lorsque les « tontons » sécurocrates viennent le chercher à Lubumbashi pour succéder au Mzee, il refuse.
Il faut le forcer, le convaincre, presque le menacer pour qu’il accepte un pouvoir qu’il perçoit comme une malédiction, tel un lionceau jeté dans la fosse aux hyènes.
Aujourd’hui, Joseph Kabila a 46 ans et il est encore là, défiant toutes les Cassandre. Il porte la barbe poivre et sel d’un pasteur cananéen, parle un français fluide, comprend le lingala, s’accroche à ce pouvoir qu’il a fini non pas par aimer mais par absorber comme un antidote au vide et la seule façon pour lui de rester en vie.
La conscience d’un destin tragique
On ne peut comprendre Kabila, et l’on se condamne aux abîmes de perplexité dans lesquels son impénétrable détachement plonge ses interlocuteurs au sortir des rares audiences qu’il leur accorde, si l’on n’intègre pas cette donnée essentielle : la conscience d’un destin tragique. À la peur d’accéder au pouvoir a succédé le vertige de le perdre.
Qui, dans un an, le 16 janvier 2019, sera le président d’une RD Congo de moins en moins républicaine et démocratique ? Une seule chose paraît acquise : Joseph Kabila ne sera pas candidat à son propre remplacement. À moins d’établir une dictature militaire sanglante, toute velléité de déverrouiller le numerus clausus constitutionnel des mandats est inconcevable.
Pour le reste, et même si la commission électorale a annoncé la date du 23 décembre 2018 pour la tenue de l’élection suprême, absolument rien n’est gravé dans le marbre. Dans ce pays aux 45 millions d’électeurs répartis sur 2,5 millions de km2, le paradoxe confine souvent à l’absurde.
Pour le scrutin capital, le pouvoir endosse le rôle dévolu ailleurs à l’opposition : celui de la fétichisation absolue de la démocratie avec données biométriques, machines à voter, recensement intégral, bref une transparence à la suédoise dont la mise en place est inenvisageable d’ici à la fin de cette année sans l’aide financière aussi mirobolante qu’impossible à obtenir d’une communauté internationale prise en quelque sorte au piège de ses propres exigences.
Tout comme cette dernière, l’opposition, elle, revêt les habits habituellement réservés aux pouvoirs en place et qui entendent le rester, puisqu’elle se contenterait volontiers d’un simple et rapide toilettage, forcément aléatoire et contestable, du fichier électoral existant.
Dialogue de sourd et glissement perpétuel
Ce dialogue de sourds n’est compréhensible que dans le cadre d’un glissement perpétuel, Joseph Kabila ayant renoncé au scénario Bisounours du happy end, celui qui le verrait se retirer dans son domaine de Kingakati afin d’y jouir tranquillement de ses biens et de sa nouvelle vie de gentleman-farmer, après avoir adoubé, puis fait élire, fin 2018, un successeur qui le laisserait en paix.
Le problème, en effet, outre le fait que Kabila n’accorde sa confiance qu’à une quinzaine de personnes tout au plus, est que, même parmi ses proches, nul n’est en mesure de lui garantir un avenir paisible au Congo, encore moins à l’extérieur du Congo. En ce domaine, les promesses, y compris écrites, ne valent pas grand-chose.
Suivi avec attention à Kinshasa, le démantèlement accéléré en Angola voisin du système dos Santos par le successeur que ce dernier avait lui-même choisi, João Lourenço, est un épouvantail de plus : à qui se fier dès lors qu’un Brutus en puissance se dissimule en chacun de vos collaborateurs ?
Reste donc l’hypothèse la plus probable, celle que Kabila semble avoir choisie : pas d’élection cette année, en attendant la prochaine. Retenir le jour comme Johnny retenait la nuit.
Quelle porte de sortie ?
Qui pourrait l’en empêcher ? Des sanctions internationales de plus en plus dures ? La logique de survie pèsera toujours plus lourd que les interdictions de voyager. La mobilisation populaire ? L’émeute à la burkinabè ? Le régime y est préparé, la force est avec lui.
La Garde républicaine et les unités opérationnelles de la police et de la gendarmerie font l’objet de toutes ses attentions, et le temps est révolu où Mobutu disait à ses spadassins : « Vous avez des armes, vous n’avez pas besoin de salaires. »
L’opposition ? Elle a ses propres problèmes de crédibilité, s’obstine à croire que le salut viendra de l’extérieur, cultive sa scissiparité, est en panne de vrai leader depuis que Jean-Pierre Bemba est en prison à Scheveningen et qu’Étienne Tshisekedi est mort – bientôt un an que sa dépouille attend de rejoindre la terre de ses ancêtres, une aberration qui n’honore pas ses héritiers.
La société civile ? Les jeunes effrontés de la Lucha ne sont ni achetables ni manipulables, certes, mais que pèsent-ils hors de leur matrice de Goma, eux qui refusent d’entrer dans le jeu politique ?
Reste la porte de sortie ultime, celle que le destin a choisie pour Lumumba, Mobutu, Kabila père. À un journaliste qui lui demandait il y a quelques mois ce qu’il ferait après le pouvoir, Joseph Kabila Kabange a répondu : « Ne vous inquiétez pas, je ne me suiciderai pas. »
Drôle de façon de parler de l’avenir en écartant d’emblée l’hypothèse de la mort, comme s’il fallait sans cesse la conjurer. Quand on marche sur un fil au-dessus d’un volcan, chaque jour est une vie.
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