Putsch déjoué en Guinée équatoriale : enquête sur les dessous de l’« opération Obiang »
Quelles étaient les motivations du commando arrêté pendant la période de Noël ? Après avoir évoqué un coup d’État manqué, les autorités parlent désormais d’« acte de terrorisme international ». JA a mené l’enquête.
Publié le 16 janvier 2018 Lecture : 8 minutes.
Putsch déjoué en Guinée équatoriale : qui voulait la chute d’Obiang ?
Fin décembre, Malabo a affirmé avoir déjoué un coup d’État. Des « mercenaires » ont été arrêtés, des personnalités politiques interpellées et accusées d’avoir fomenté cette tentative de putsch. Enquête sur les dessous de cette « opération Obiang » qui a fait long feu.
C’est peut-être une tempête dans un verre d’eau, mais les États d’Afrique centrale – déjà fragilisés économiquement par la chute des prix de l’or noir, dont dépendent les budgets de la plupart d’entre eux –, s’en seraient bien passé. La tentative de coup d’État qui semble avoir été déjouée pendant Noël, et qui visait manifestement le président de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, a mis de l’huile sur le feu.
Impliquant des Camerounais, des Centrafricains, des Tchadiens et des Équato-Guinéens, ce putsch raté – ou « acte de terrorisme », ainsi que la diplomatie équato-guinéenne est tentée aujourd’hui de requalifier ces événements – a mobilisé chefs d’État et sécurocrates de toute la région, jusqu’à l’ONU, qui a dépêché à Malabo le 8 janvier son envoyé spécial pour l’Afrique centrale, le Guinéen François Louncény Fall.
Ils ont été nombreux à se déplacer jusqu’à Malabo pour appuyer leur aîné, qui, à 75 ans, est au pouvoir depuis plus de trente-huit ans.
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À l’heure où nous écrivons ces lignes, les arrestations se poursuivent dans tout le pays : étrangers, membres de l’opposition, entourage du chef… Le coup de Noël a ravivé la fibre xénophobe, et la thèse d’un complot ourdi de l’intérieur avec l’appui de puissances étrangères – régionales et internationales.
Pour l’ex-mercenaire britannique Simon Mann, auteur du célèbre Wonga Coup de 2004 – ce putsch déjoué contre, déjà, Obiang Nguema –, il s’agit d’une opération « médiocre » menée par un commando de pieds nickelés.
Qui sont-ils ? Pour le compte de qui ont-ils agi ? Et quelles seront les conséquences diplomatiques ? De Malabo à N’Djamena, en passant par Bangui, Yaoundé, Paris, Madrid et Londres, Jeune Afrique a mené l’enquête.
Des montagnes du Guera aux forêts équatoriales
Le « putsch de Noël » déjoué à Mongomo trouve ses racines à plus de 2 000 km des forêts équatoriales, au pied des monts tchadiens du Guera. Cette région, bordée au nord par le désert et qui s’étire au sud jusqu’aux contrées verdoyantes de la Centrafrique, est le territoire des Hadjerais, dont est originaire l’ancien commandant tchadien Mahamat Kodo Bani.
C’est parmi eux que ce général autoproclamé a recruté, dès septembre 2017, plusieurs dizaines d’hommes, dont une bonne partie croupit aujourd’hui dans une prison militaire camerounaise. Il se fait alors assister d’un certain Haroun Bata, interpellé début décembre et actuellement en détention dans les locaux des renseignements généraux tchadiens. Leurs mercenaires ont tous perçu 500 000 Francs CFA (762 euros) au départ de Kousséri, ville camerounaise située sur la rive du Chari, face à N’Djamena.
Une attaque préméditée
Au même moment, à 1 500 km plus au sud, se joue une autre partie. Dans la capitale centrafricaine, Bangui, un émissaire de Hamed « Dada » Yalo convainc quelques mercenaires locaux de se joindre au commando tchadien.
Formé à l’école des officiers du Tchad, le frère cadet de l’homme d’affaires Sani Yalo (un proche de l’ancien président François Bozizé et de l’actuel chef de l’État centrafricain, Faustin-Archange Touadéra) est arrivé dans la ville camerounaise de Douala probablement début décembre.
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Venu de Paris, où il s’est installé il y a plusieurs années, il retrouve un ancien sergent de l’armée équato-guinéenne exilé aux États-Unis, Laban Obama Abesso, qui a lui atterri à l’aéroport de la capitale économique le 2 décembre.
Ce militaire, dont on ignore la nature des activités au pays de l’Oncle Sam, a déserté l’armée en 1983 après avoir participé à une fronde contre Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Le duo est ensuite repéré dans les environs de la ville frontalière de Kyé-Ossi avec le commando désormais composé de mercenaires tchadiens, centrafricains, équato-guinéens et camerounais.
Peu discrète dans ses allées et venues, l’équipe est rapidement repérée par les autorités locales, qui en informent Yaoundé. Elle est mise sous surveillance.
Livraisons d’armes
C’est certainement à cette même période que des armes sont livrées en Guinée équatoriale, dans la forêt qui borde les frontières du Gabon et du Cameroun, si l’on en croit les déclarations d’Équato-Guinéens interpellés dans le cadre de l’enquête. Selon eux, des « mercenaires » utilisant « des téléphones satellitaires » ont « transporté les armes à bord de six à huit voitures dissimulées dans la forêt ».
Les sacs d’armes auraient ensuite été déposés dans une villa louée depuis plusieurs semaines. La bande à Bani et Yalo semble alors au complet. Ses relais locaux prêts à passer à l’action. Le palais de Cohete, à Mongomo, où Teodoro Obiang Nguema Mbasogo s’apprête à passer les fêtes, n’est qu’à une bonne heure de route. Selon des sources équato-guinéennes, l’attaque est programmée pour le 28 décembre.
Une charge avortée
Mais le 23 décembre, tout s’accélère. Les services camerounais, qui semblent avoir recoupé des informations en provenance de Centrafrique, préviennent les autorités équato-guinéennes que des hommes infiltrés sur leur territoire prépareraient une opération visant le chef de l’État.
Deux jours durant, l’armée ratisse la région d’Ebebiyín (ville qui fait face à Kyé-Ossi) et de Mongomo. Elle procède aux premières arrestations et à des saisies d’armes. Certainement alerté, Zé Bere Ekum (« la panthère aux aguets », en fang) se rend néanmoins à la messe de Noël.
Dans la nuit du 27 au 28 décembre, à bord de plusieurs véhicules, armé de lance-roquettes, de mitrailleuses (dont une BE-827 chinoise) et de munitions, le groupe de Kyé-Ossi se dirige vers la frontière. Il est prêt à fondre sur Ebebiyín quand l’armée camerounaise met prématurément un terme à son plan. Quelques éléments parviennent à s’enfuir, dont Mahamat Kodo Bani, finalement intercepté deux jours plus tard à Douala.
De multiples arrestations
En Guinée équatoriale, de nombreuses arrestations ont lieu à Malabo, Bata, Ebebiyín et Mongomo. Leurs cibles : des Équato-Guinéens et des Tchadiens, principalement. Le 30 décembre, Enrique Nsue Anguesomo, ambassadeur de Guinée équatoriale au Tchad, est interpellé à Ebebiyín, où il passait les fêtes en famille, selon sa défense. Problème : personne dans sa hiérarchie n’avait été mis au courant, ce qui attise les soupçons de Malabo.
L’armée fait également le siège des locaux du parti d’opposition Citoyens pour l’innovation (CI), dirigé par Gabriel Nse Obiang, ex-lieutenant de l’armée soupçonné un temps d’être impliqué.
Sur l’insistance de l’envoyé spécial de l’ONU pour l’Afrique centrale, François Louncény Fall, qui s’est entretenu plus d’une heure et demie avec le président Obiang Nguema le 8 janvier à Malabo, de nombreux ressortissants tchadiens (des commerçants pour la plupart) ont été relâchés, et le siège du CI levé.
Objectif Teodorín ?
Les objectifs du commando ne sont pas encore connus avec certitude, d’autant que le ministre équato-guinéen des Affaires étrangères, Agapito Mba Mokuy, se refuse à employer l’expression « coup d’État », préférant parler d’« actes de terrorisme international ». Le président Obiang Nguema passait les fêtes à Mongomo dans son palais de Cohete, à une heure du lieu où se préparait l’opération, ce qui a rapidement accrédité la thèse selon laquelle il était bien la cible du commando.
D’autres sources ajoutent que la tentation dynastique du chef de l’État, qui n’a pourtant jamais officiellement affiché son intention de passer – ou non – les clés du pays à son fils Teodorín, ne serait pas étrangère à l’affaire.
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Elle expliquerait la colère de certains jeunes loups du Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE, au pouvoir). Son secrétaire général, Jerónimo Osa Osa Ecoro, s’est d’ailleurs empressé de publier un communiqué de soutien au président.
Une théorie renforcée par les accusations portées contre des membres du parti, dont le fils du ministre de l’Intérieur, Ruben Clemente Nguema, président de la cour provinciale de Bata, et par l’arrestation de l’ambassadeur au Tchad et ancien secrétaire d’État à la Sécurité nationale, Enrique Nsue Anguesomo. Pour le chef de l’État, la procédure des « biens mal acquis » menée à Paris contre son fils constitue une autre preuve qu’un complot est ourdi pour faire tomber ce dernier.
Coup dur pour la Cemac
Aussi « abracadabrantesque » que cela puisse paraître – on voit mal quel intérêt le président tchadien aurait eu à renverser son « frère » équato-guinéen –, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo n’en démord pas : Idriss Déby Itno est le premier responsable des troubles de Noël.
Il accuse son homologue de lui avoir forcé la main lors du sommet extraordinaire de la Cemac, fin octobre 2017, pour ratifier l’accord sur la libre circulation des personnes. Cet accord aurait ainsi facilité l’arrivée des mercenaires, pour la plupart tchadiens, sur le territoire équato-guinéen.
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En conséquence, Obiang Nguema a fermé les frontières, mettant un terme, au moins temporairement, à un accord qui avait mis quinze ans à voir le jour. Obiang Nguema accuse le Tchad et la Centrafrique d’avoir servi de base arrière à ses ennemis.
« Opération déminage »
Résultat, dès le 3 janvier, l’opération déminage commence. N’Djamena envoie à Malabo son ministre des Affaires étrangères, Mahamat Chérif Zène, flanqué du patron de l’Agence nationale de sécurité, Ahmed Kogri, et du directeur du renseignement militaire, le général Mahamat Ismaël Chaïbo.
Le ministre promet l’entière collaboration tchadienne et se désolidarise de son compatriote Mahamat Kodo Bani.
Le 4 janvier, c’est au tour de Lambert-Noël Matha, ministre gabonais de l’Intérieur, d’atterrir dans la capitale équato-guinéenne afin d’apporter « un message de fraternité et d’amitié ».
Puis, le 9 janvier, c’est Faustin-Archange Touadéra qui se présente. Le président centrafricain est – et c’est un euphémisme – gêné aux entournures. Pour lui, Malabo est un allié financier et militaire qui participe à la formation de son armée. Touadéra cherche à calmer son aîné, qui veut la tête de la famille Yalo, dont il est proche et dont l’un des membres a été enrôlé dans le commando de Kyé-Ossi arrêté au Cameroun.
Il tente ensuite d’être reçu à Yaoundé, afin de rencontrer Paul Biya. Mais le Camerounais, en visite dans son fief de Mvomeka’a, n’est pas disponible. Il n’en suit pas moins le dossier, que peu de responsables gouvernementaux acceptent d’évoquer. Aucun émissaire n’a été dépêché à Malabo, alors que l’extradition des prisonniers est négociée en coulisses.
« Je suis favorable à la libre circulation, mais il est impensable de l’appliquer aujourd’hui, au regard du nombre d’actes terroristes perpétrés dans la région », déclarait Teodoro Obiang Nguema Mbasogo dans nos colonnes en avril 2016. L’Histoire, il en est sûr désormais, lui a donné raison.
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