Les albinos, nouvelles coqueluches du milieu de la mode
Ces dernières années, les personnes atteintes d’albinisme ont investi le milieu de la mode. Certains y voient un moyen de faire connaître leurs difficultés quand d’autres cherchent à s’affirmer au-delà.
Dans le jargon de la mode, les albinos restent souvent cantonnés à la catégorie des profils « atypiques ». Mais, depuis le début des années 2010, ils semblent commencer à s’en émanciper. Ils arpentent désormais les podiums sans que leur singulière pigmentation, caractérisée par un déficit de mélanine, ne tienne du spectaculaire.
Nombreux sont ceux qui jouissent aujourd’hui d’une renommée internationale. C’est le cas de Shaun Ross, cet Africain-Américain de 26 ans qui, en 2011, apparaît complètement nu dans le clip E.T., de la chanteuse Katy Perry. Représenté par la célèbre agence Next Models, il multiplie les défilés pour les grands créateurs.
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Son étrange minois se retrouve également dans les pages des plus grands magazines de mode. Autres cordes à son arc : stylisme, comédie, danse et, depuis peu, musique. Le jeune homme semble avoir ouvert une brèche au sein de laquelle se sont engouffrés ses pairs.
Trois ans après la publication d’E.T., on le retrouve dans le clip Pretty Hurts, de Beyoncé, aux côtés de Diandra Forrest, déjà aperçue en 2010 dans une vidéo du rappeur Kanye West. « Tu es trop bizarre, tu ne seras jamais mannequin », lui avait asséné son coach en mannequinat alors qu’elle n’était qu’une adolescente. Aujourd’hui, la fashion sphere s’arrache cette jeune femme de 28 ans, représentée par l’agence Elite.
https://www.instagram.com/p/BRFTBdyBvbZ/?taken-by=diandraforrest
Calendrier Pirelli
Le continent africain n’est pas en reste. Et c’est notamment vers l’Afrique du Sud qu’il faut se tourner pour mesurer la percée des albinos. Refilwe Modiselle, Thando Hopa ou encore Sanele Junior Xaba – installé depuis peu aux Pays-Bas – mènent de brillantes carrières. C’est dans un centre commercial de Johannesburg que Thando Hopa, alors jeune procureure, a été découverte par Gert-Johan Coetzee, célèbre styliste de haute couture.
>>> A LIRE – Mode – Thando Hopa : « Le mannequinat me permet de transmettre un message positif sur la différence »
Si elle hésite avant de se lancer, elle finit par accepter de défiler pour le couturier. En 2014, elle devient l’égérie de Vichy, marque française de cosmétiques, pour la gamme Vichy Capital Soleil.
Elle fera aussi la couverture de Marie Claire South Africa, en août 2017, et, mieux encore, s’exposera dans le dernier calendrier Pirelli, dont le casting 100 % noir l’amène à poser aux côtés de Naomi Campbell et de Whoopi Goldberg !
« Je préfère parler de personnes atteintes d’albinisme plutôt que d’albinos. Cela permet de mettre l’accent sur la pathologie plutôt que de déshumaniser l’individu, explique la jeune femme. Si ma pathologie est rare, mes expériences portent un message universel. S’accepter, s’aimer, surmonter les obstacles et relever des défis sont des étapes que traverse tout être humain. »
Pour intégrer notre agence, il suffit d’être beau et différent
En France, nombreux sont les albinos qui multiplient les contrats. La plupart sont représentés par l’agence parisienne Wanted Models, spécialisée dans les « profils hors normes et atypiques ». « Pour intégrer notre agence, il suffit d’être beau et différent », résume Sylvie Fabregon, directrice de booking de l’agence.
Cette dernière admet que les albinos correspondent aux profils les plus recherchés parmi les personnes aux physiques originaux (petite taille, cicatrices, défauts osseux, borgnes, androgynes, tatouages, piercings, etc.).
Beyonce, encore elle !
Adama Dosso a 25 ans. Né à Paris de parents ivoiriens, il fait partie des modèles albinos représentés par l’agence. En 2012, il participe au clip Flawless, de Beyoncé (encore elle!), tourné en deux jours dans le quartier de la gare de l’Est, à Paris. En 2017, il apparaît dans le clip Marabout, du chanteur Maître Gims. Le jeune homme, qui privilégie les shootings aux défilés, affirme qu’être estampillé « mannequin albinos » lui sied.
Petit, je n’ai absolument pas souffert de mon albinisme
« C’est mon étiquette et ma signature. Petit, je n’ai absolument pas souffert de mon albinisme. C’est grâce à cela que je suis mannequin. Cette activité n’a pas pour but de me permettre de me sentir bien dans ma peau. »
Adama Dosso soutient ne s’identifier à aucun des albinos qui, comme lui, évoluent dans la mode. Aussi, n’allez pas le comparer à Shaun Ross! « J’ai mon propre univers. Le mannequinat est un monde où chacun a sa façon de vivre et sa personnalité. Il ne faut pas mettre tous les albinos dans le même sac! »
https://www.instagram.com/p/rSYasyI0f6/?hl=fr&taken-by=adama.dosso
Le jeune homme prend souvent la pose avec Jewell Jeffrey, également DJ de son état. C’est en 2010 que ce Français originaire de la RD Congo a pris son envol en posant pour la série Exode, de la photographe Isabelle Chapuis.
Un projet autour de la représentation des réfugiés d’Afrique subsaharienne auréolé du prix Picto de la mode. Quand on lui reparle de cette première expérience, le mannequin de 31 ans raconte s’être bien amusé.
https://www.instagram.com/p/BSx1MN1h38F/?hl=fr&taken-by=jewelljeffrey
« Le mannequinat m’est tombé dessus, je le prends comme un divertissement, au même titre que mon travail de DJ. Je fais partie de cette première vague de modèles atypiques, un terme qui m’amuse, car j’ignore s’il tient du positif ou du négatif. »
En 2014, il défile pour Jean Paul Gaultier aux côtés, notamment, de Diandra Forrest. Une expérience qu’il n’est pas près d’oublier. Il a aussi participé à une campagne de promotion de la marque de vodka Smirnoff, tournée l’an dernier en Afrique du Sud.
https://www.youtube.com/watch?v=Z6HMCjfdF2k
Je refuse d’être un effet de mode, mais force est de constater que les albinos sont en vogue
Sur fond de musique kwaito, il s’interroge sur sa particularité génétique, son rapport à l’Afrique et sa musique. Mais Jewell a aussi pris la pose pour la marque Adidas, pour le hairstylist Jonathan Dadoun, la designer Myriam Rouah et affiché sa coupe afro volumineuse sur la couverture du magazine Lui Italy, entre autres faits d’armes.
« Je refuse d’être un effet de mode, mais force est de constater que les albinos sont en vogue, dit-il. C’est la raison pour laquelle je refuse très souvent les contrats pour lesquels je suis choisi en raison de mon albinisme. Je refuse d’être une spécificité, car cela contribue à notre isolement. Dans la mode, la singularité crée la convoitise, mais, selon moi, on peut très vite tomber dans des créations vides de sens. J’aimerais qu’un mannequin albinos puisse être considéré comme normal. »
Changer le regard sur les albinos
Il reconnaît toutefois que, depuis ses débuts, les messages d’admirateurs abondent dans un sens qui le touche profondément. « Je me rends compte que j’inspire et que je permets à d’autres albinos d’avoir confiance et de savoir que tout leur est possible. J’ai compris que je pouvais être le vecteur d’un message positif. »
Cette réflexion anime aussi Adina, un autre modèle, née à Yaoundé, au Cameroun. « Je suis un mannequin militant et panafricain », clame celle qui a notamment joué les figurantes dans des blockbusters américains comme le troisième volet de la saga Hunger Games et dans le film d’anticipation Riverbed, aux côtés de Jamie Foxx.
J’aurais préféré que le mannequinat arrive plus tôt dans ma vie, à l’époque où je souffrais énormément de mon apparence
Adrienne Tankeu, de son vrai nom, a démarré sa carrière en 2012, à l’âge de 32 ans. À l’époque, plusieurs de ses photos postées sur le Net, dans le cadre d’une campagne pour Anida – son association qui défend la cause des albinos depuis 2011 –, attisent la curiosité de l’agence Wanted.
« Je me trouvais déjà un peu âgée », sourit Adina, qui multiplie les shootings pour moult campagnes de mode. Engagée par la griffe Repetto et pour l’une des collections capsules de la pop star Lady Gaga, elle a aussi défilé pour le styliste sénégalais Mike Sylla et le créateur français Christophe Guillarmé.
« C’est une façon de financer les activités de mon association, mais aussi de changer le regard sur les albinos, affirme celle qui, du fait de son albinisme, a vécu une enfance et une adolescence effroyables. J’aurais préféré que le mannequinat arrive plus tôt dans ma vie, à l’époque où je souffrais énormément de mon apparence. Aujourd’hui, mes blessures ont presque cicatrisé, et l’accès aux podiums n’y est sans doute pas pour rien. »
Lutte contre les discriminations
Tout comme elle, nombreux sont les mannequins à s’engager en faveur de la lutte contre les discriminations, mais aussi contre les massacres et autres sévices dont les albinos sont victimes sur le continent : Shaun Ross, Thando Hopa, Diandra Forrest ou encore les sœurs jumelles Lara et Mara Bawar, 12 ans. Avec leur sœur aînée, Sheila (14 ans), non atteinte d’albinisme, elles ont posé devant l’objectif du photographe Vinicius Terranova dans le cadre de la série Flores Raras (« Fleurs Rares »).
Il nous a semblé naturel de véhiculer des messages positifs pour mettre fin aux préjugés
Inspiré par leur participation à la campagne web de la marque Nike dans le cadre du Black History Month de 2016, le photographe brésilien a sollicité les trois sœurs, l’an dernier, pour un shooting qui a fait le tour du monde et tapé dans l’œil de célébrités comme la jeune chanteuse Willow Smith.
« Nous avons alors reçu énormément de messages de la part d’albinos du monde entier. Et comme nous avons aussi souffert de discriminations, il nous a semblé naturel de véhiculer des messages positifs pour mettre fin aux préjugés, célébrer la diversité et bousculer les standards de beauté au-delà de la mode », racontent les sœurs, nées au Brésil d’une mère bissau-guinéenne.
Entourées d’une véritable équipe, elles ont lancé un site web consacré à leur engagement, avec pour slogan : « Ensemble, nous sommes plus forts. » En 2017, elles ont intégré Munique, une agence de mannequins allemande.
Parmi leurs modèles, elles citent bien entendu Diandra Forrest. «Comme nous, c’est une activiste. Elle joue un rôle majeur pour l’avènement du girl power et la représentation de la beauté des albinos. » En Afrique du Sud, Mpho Tjope compte parmi les militants les plus actifs. Auteur d’un ouvrage sur le sujet, il a participé à des campagnes de sensibilisation aux côtés de Thando Hopa ou de Diandra Forrest à la télévision.
https://www.instagram.com/p/BdQCLyhnu0T/?hl=fr&taken-by=lara_mara_sheila
« Quand un albinos voit qu’il existe des personnes pleines de confiance en elles comme ces célèbres mannequins, il se dit qu’il a de quoi être fier de qui il est. C’est en cela que leur exposition dans la mode et le divertissement est capitale.
Elle permet aux albinos de se regarder autrement que comme de potentielles victimes », analyse-t- il avant d’ajouter qu’il reste toutefois du chemin à parcourir.
Et si les mannequins albinos sont plus exposés en Europe et aux États- Unis qu’en Afrique, Tjope estime que la propension du continent à suivre les tendances occidentales contribue, un tant soit peu, à changer les regards.
Concours antipréjugés
La légitimité des concours de beauté consacrés aux albinos divise. « Cela n’a pas lieu d’être, car c’est un bon moyen de s’inscrire à part. Nous avons la peau blanche, mais nous restons des Noirs », clame Adama Dosso. Pour le mannequin Thando Hopa, ces initiatives en valent la peine. L’activiste Mpho Tjope les estime nécessaires.
En 2016, le parlementaire kényan albinos Isaac Mwaura organisait, à Nairobi, le concours de Miss et Mister Albinisme. L’ONU planchait alors sur l’organisation d’un concours du même type.
Au Zimbabwe, une élection de la plus belle femme albinos devait se tenir en novembre 2017, mais a dû être reportée en raison de la crise politique qui secouait le pays. Au Mali, le Palais de la culture de Bamako a aussi accueilli, l’an dernier, l’Albinos Show, « pour permettre une meilleure intégration des albinos dans la société ».
Poupée albinos
https://www.instagram.com/p/BY3YakkloN-/?hl=fr&taken-by=malavilledolls
En 2015, Mala Bryan, mannequin saint-lucien, établie entre Miami et Le Cap, a fondé Malaville Dolls, une entreprise de fabrication de poupées noires. « Malaville Dolls était une façon pour moi de représenter le monde tel que je voudrais qu’il soit. »
En août 2017, elle ajoute à sa gamme une poupée albinos baptisée Alexa. « Dès l’annonce, sur les réseaux sociaux, de la création de cette nouvelle poupée, j’ai reçu beaucoup de précommandes, dont une de la part d’une organisation humanitaire tanzanienne qui lutte contre les horreurs que subissent les albinos. »
Mala Bryan estime qu’aujourd’hui les albinos devraient être considérés comme des profils normaux sur les podiums. « Mais, vis-à-vis de ce que j’ai pu observer en quinze ans de carrière, je crains que cela ne soit qu’une tendance. »
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