Ahed Tamimi, Rosa Parks de la cause palestinienne ?

Égérie de la cause palestinienne, Ahed Tamimi attend son procès en prison. Elle n’a que 16 ans.

Lors de son transfert au tribunal militaire d’Ofer, en Cisjordanie, le 28 décembre 2017. © Mahmoud Illean/AP/SIPA

Lors de son transfert au tribunal militaire d’Ofer, en Cisjordanie, le 28 décembre 2017. © Mahmoud Illean/AP/SIPA

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 24 janvier 2018 Lecture : 4 minutes.

En blouson kaki dans le box des accusés, elle lance un sourire. Un sourire doux, comme pour apaiser ses parents. Le 15 janvier, Ahed Tamimi, 16 ans, comparaissait devant un tribunal militaire israélien. Lequel a décidé que la jeune Palestinienne resterait incarcérée jusqu’à son procès.

Poursuivie pour douze chefs d’inculpation, dont « agression sur un soldat », « participation à une émeute » et « incitation à commettre des attaques terroristes », elle encourt jusqu’à sept ans de prison.

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Il y a de la résignation dans ce sourire car si Amnesty International et Human Rights Watch ont appelé à sa libération immédiate, l’adolescente sait que ses chances d’être relaxée sont quasi nulles.

La rebelle a piqué au vif l’État hébreu, en écornant son image

Mais il y a aussi cette étincelle de défi, qui crépite sur d’autres photos et vidéos, où on la voit braver les soldats casqués d’Israël qui tiennent barrages et check-points en Cisjordanie. La dernière de ces vidéos, datée du 15 décembre 2017, est devenue virale.

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Depuis, l’occupant enrage. Naftali Bennett, le ministre (d’extrême droite) israélien de l’Éducation, lui a souhaité de « finir ses jours en prison ». Un éditorialiste a appelé au meurtre. Car la rebelle a piqué au vif l’État hébreu, en écornant son image.

En giflant un soldat, elle a humilié la puissance israélienne sous les yeux du World Wide Web. La cause palestinienne, qui a fait du leader emprisonné Marwan Barghouti son Nelson Mandela, tient désormais sa Rosa Parks.

En giflant un soldat, elle a humilié la puissance israélienne

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En ce 15 décembre, donc, la zone est sous tension, quadrillée par l’armée : les Palestiniens manifestent contre le déménagement annoncé de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem.

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Dans la vidéo qui a provoqué son interpellation, puis celle de sa cousine et de sa mère, Ahed se dirige vers deux soldats postés dans la cour de la maison familiale. Accompagnée de sa cousine Nour, 20 ans, elle les bouscule, les apostrophe (« Allez, sortez d’ici ! »), leur donne un coup de pied, un coup de poing. Les soldats restent de marbre.

La mère d’Ahed veut à son tour pousser la patrouille hors de la cour. Mais la petite main frondeuse s’envole et vient claquer la joue d’un soldat, qui tente en vain de la repousser. Un David rageur contre un Goliath impassible.

Pour les médias israéliens de droite, cette scène n’est que la dernière production d’une « comédienne professionnelle de la propagande palestinienne ».

Une famille résistante

Et de rappeler que la première Palestinienne à avoir été complice d’un attentat-suicide, en 2001, Ahlam Tamimi, était une cousine éloignée de l’insolente.

Le clan a depuis rejeté le recours à la violence, mais est resté, depuis son village de Nabi Saleh, à environ 40 km de Jérusalem, en première ligne de la résistance pacifique à l’occupation de la Cisjordanie.

Une heure avant la gifle, Ahed apprenait que son cousin de 15 ans venait d’avoir le crâne fracassé par une balle en caoutchouc

Ce qui n’empêche pas la violence de se rappeler régulièrement à lui. Une heure avant la gifle, Ahed apprenait que son cousin de 15 ans venait d’avoir le crâne fracassé par une balle en caoutchouc, tirée à bout portant.

Arrêté une douzaine de fois pour activisme, son père, Bassem, lui a montré la voie de la résistance. Et de la non-violence. « Notre choix stratégique est la mobilisation populaire, afin de combattre une occupation qui vole nos terres, nos vies et notre avenir. Il implique que nous ne portions pas atteinte aux vies humaines », déclarait-il en 2011.

Sens de l’image

Née avec l’internet, Ahed a su très tôt manier l’arme médiatique. Un film de 2012 la montre déjà, vêtue d’un t-shirt barré du mot « love », campée devant un soldat israélien, le poing brandi. « Je suis plus forte que n’importe lequel de tes soldats », l’entend-on hurler.

Une autre photo avait fait parler d’elle, en septembre 2015, quand, avec d’autres femmes, elle avait libéré par la force un jeune garçon cravaté par un soldat israélien. On l’y voit mordre le poing du militaire assis sur l’enfant, qui suffoque.

Nul doute que la jeune femme a le sens de l’image, mais comment lui reprocher cette tactique pacifiste face à des forces qui, depuis le début de l’occupation, ont tué 22 personnes dans son village ?

Ses actes ne sont-ils pas une réponse cinglante à la provocation que constitue le quadrillage de son pays par des soldats n’y défendant que le droit des colons à s’approprier terres, eau et culture ?

« Des adultes ­israéliens accusés d’avoir commis des actes plus graves que ceux que l’on reproche à Ahed sont libérés avant leur procès. Nous espérons que la cour tiendra compte de cet élément, ainsi que de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui a été bafouée à plusieurs reprises », déclarait son avocat alors que la cour s’apprêtait à ­prononcer son maintien en ­détention.

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