Grand Format Bénin – Romuald Wadagni : « Il n’y aura aucune concession sur la corruption »

Le ministre de l’Économie et des Finances du Bénin dresse le bilan du président et du gouvernement, près de deux ans après son arrivée au pouvoir.

À 41 ans, l’expert financier est devenu une pièce maîtresse du plan de réformes de Patrice Talon © Fiacre Vidjingninou pour JA

À 41 ans, l’expert financier est devenu une pièce maîtresse du plan de réformes de Patrice Talon © Fiacre Vidjingninou pour JA

Fiacre Vidjingninou

Publié le 2 février 2018 Lecture : 6 minutes.

Dans le quartier commercial de Ganhi à Cotonou, au Bénin, en février 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique
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Grand Format – Vers un autre Bénin ?

Vie politique, économie, société,… Ce qui a changé depuis l’élection de Patrice Talon, en 2016. Ce qui va changer en 2018. Et ce qu’en pensent les Béninois.

Sommaire

Lors de sa nomination, en avril 2016, au portefeuille de l’Économie et des Finances, les Béninois avaient été surpris par sa jeunesse. Homme à poigne, Romuald Wadagni est aujourd’hui une pièce maîtresse dans le dispositif de réformes engagé par le chef de l’État et son gouvernement. Le grand argentier du pays revient sur la stratégie à mettre en œuvre pour relever ses défis économiques et financiers. Sans oublier quelques commentaires plus politiques.

Jeune Afrique : Le Bénin s’est doté, en mai 2017, d’un plan global de réformes de la gestion des finances publiques. Pourquoi un tel document ?

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Romuald Wadagni : L’objectif est de doter le Bénin d’un système de gestion des finances publiques transparent, performant, conforme aux standards internationaux, respectueux de la répartition constitutionnelle des prérogatives entre les institutions, et mettant résolument les finances publiques au service du développement du pays et de ses citoyens.

C’est un ensemble de 175 actions qui touchent des domaines comme la budgétisation, la mobilisation des ressources financières et la qualité des dépenses publiques. Ce plan apporte des réponses à une double exigence : l’impulsion des réformes et une approche novatrice pour leur mise en œuvre.

Pour assurer le développement du Bénin, aucune concession n’est possible

Vous avez récemment dénoncé la corruption qui continue de gangrener l’État, notamment au Trésor et aux Impôts. Quel est votre plan d’action en la matière ?

Plus qu’un engagement, la lutte contre la corruption et l’impunité représente pour nous un impératif. À ce jour, plus de 200 milliards de F CFA (près de 305 millions d’euros) ont pu être économisés à la suite de nos opérations anticorruption. Et nous n’avons pas l’intention de ralentir la cadence. Pour assurer le développement du Bénin, aucune concession n’est possible.

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Le président Talon a été très clair sur la question. Après avoir relevé le défi de la stabilité démocratique, le pays doit maintenant réussir celui de la gouvernance. Sinon, les fruits attendus de ces réformes et de leurs investissements pourraient être compromis.

De lourds soupçons pèsent sur le président Talon lui-même, accusé d’accaparer certains secteurs vitaux de l’économie, comme le port de Cotonou ou la filière coton…

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Hier, Patrice Talon était un homme d’affaires, aujourd’hui il est président. Il a fait de son intégrité et de la prospérité de son pays une obsession. Toutes ses décisions sont prises en fonction de leur intérêt pour le Bénin. Les premières actions engagées dans le secteur cotonnier ont permis d’avoir un niveau de production record – plus de 450 000 tonnes en 2017 – avec un respect des engagements vis-à-vis des producteurs qui redonne confiance et espoir à la base.

Le plus important, c’est notre détermination à faire en sorte que tout se fasse dans la transparence et dans le respect des règles de passation des marchés publics. Et cela dans tous les domaines.

Le projet de budget de l’État pour 2018 est en baisse de 150 milliards de F CFA. Soit une chute de 10 %. Pourquoi ?

Parce que nous nous appuyons davantage sur le secteur privé pour la réalisation de nos grands projets d’infrastructures. Nous avons commencé dès l’an dernier à tisser ces partenariats public-privé (PPP). Et les résultats seront très prochainement visibles.

Cette baisse n’aura-t-elle pas un impact négatif sur la mise en œuvre du Programme d’action du gouvernement (PAG), qui nécessite d’importants moyens financiers ?

Aucun. Plus de 227 projets sont inscrits dans le programme d’investissement public de 2018, pour plus de 470 milliards de F CFA investis. Les études de faisabilité réalisées en 2017 vont, pour la plupart, se transformer en chantiers dans les douze prochains mois, notamment dans le secteur routier et dans la production d’énergie. Deux centrales sont en construction pour un investissement de 100 milliards de F CFA. Leur puissance installée totale sera de 85 MW et viendra s’ajouter aux 120 MW de la centrale thermique de Maria-Gléta.

L’État a prévu de dégager plus de 100 milliards de F CFA pour mettre un terme à l’érosion du littoral

Une seconde phase va par ailleurs démarrer cette année autour de projets dont les études sont finalisées et les financements, bouclés – comme ceux de l’aéroport de Glo-Djigbé ou de la cité administrative d’Abomey-Calavi, destinée à désenclaver Cotonou. Enfin, les travaux de protection de nos côtes vont se poursuivre de manière intensive. L’État a prévu de dégager plus de 100 milliards de F CFA pour mettre un terme à l’érosion du littoral.

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L’opposition vous reproche d’étrangler les classes populaires…

Depuis notre arrivée, nous n’avons supprimé aucune des mesures déjà mises en œuvre par nos prédécesseurs, et des efforts ont été faits sur la question de l’emploi des jeunes et avec le Fonds pour la prévention et la protection en cas de catastrophes.

Le modèle social béninois sera encore renforcé, dans la foulée de la dotation budgétaire des ministères chargés des Affaires sociales, de l’Emploi et de la Promotion de l’entrepreneuriat. En 2018, les dépenses sociales prioritaires passeront de 160 milliards (l’an dernier) à 180 milliards de F CFA.

Le secteur de l’éducation représentera 26,33 % du budget contre 19,76 % en 2017. La cantine gouvernementale sera étendue à toutes les écoles, et les subventions aux mesures de gratuité seront renforcées à partir de la prochaine rentrée. Dans le secteur de la santé, plusieurs réformes structurelles sont en cours, au moment où l’État apure ses dettes vis-à-vis des hôpitaux.

Quelles sont les perspectives économiques pour 2018 ?

Notre objectif global est de relancer le développement économique et social. Nous nous appuyons sur le PAG 2018-2021, soutenu par le FMI au titre de la Facilité élargie de crédit. L’accélération attendue de la croissance sera essentiellement portée par la réalisation de nos projets structurants dans le cadre des PPP, accompagnée par la modernisation des différentes régies financières. Le gouvernement espère ainsi mieux maîtriser son déficit budgétaire, qui s’établirait, pour 2018, autour de 4,5 % du PIB.

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Que répondez-vous à ceux qui estiment que le niveau d’endettement du pays a explosé en très peu de temps ?

Que leur attaque n’est pas fondée. Le taux d’endettement public est actuellement de l’ordre de 52 %. Il est inférieur à la norme communautaire de 70 % imposée par l’Uemoa. L’État dispose donc d’une marge confortable pour un endettement encadré. Le pays règle ses dettes et n’accuse aucun arriéré de paiement au titre du service de sa dette publique vis-à-vis de ses créanciers. Ce n’est pas nous qui le disons. Le FMI, qui a séjourné au Bénin en septembre, a confirmé que la dette publique du pays n’était pas un problème, ni à court ni à moyen termes, car nos ratios sont inférieurs aux seuils fixés au niveau international.

La révision constitutionnelle reste un impératif pour le pays

Certaines réformes prévues par le gouvernement nécessitent une révision de la Constitution, dont le Parlement a rejeté l’examen. Que comptez-vous faire ?

Il convient de distinguer l’obligation de réformer et l’appui politique qui est nécessaire pour accompagner les réformes. Le projet de révision que nous avions présenté n’a pas provoqué de débat sur le fond. Une minorité de parlementaires s’est juste contentée de bloquer le processus sans discuter de ce fond. Pour le prochain train de réformes, nous allons communiquer davantage, afin de solliciter une plus grande adhésion.

Comme l’a confirmé le chef de l’État lors de son discours annuel devant le Parlement, la révision constitutionnelle reste un impératif pour le pays. Elle pourrait donc faire à nouveau l’objet de discussions dans les prochains mois.

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