Nigeria : sur les campus, les « cultistes » entretiennent la terreur

Certaines universités du pays sont mises en coupe réglée par les « cultistes », de véritables mafias ultraviolentes qui multiplient les exactions en toute impunité.

Abeokuta, 11 juillet 2014. Pyrates rendant hommage à Wole Soyinka, l’un des fondateurs de la confrérie pour son 80e anniversaire. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Abeokuta, 11 juillet 2014. Pyrates rendant hommage à Wole Soyinka, l’un des fondateurs de la confrérie pour son 80e anniversaire. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP

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Publié le 1 février 2018 Lecture : 3 minutes.

Des étudiants en filière Éducation à l’université de Porto-Novo, au Bénin, en  mai 2017. © Flickr / Creative Commons / World Peace Intiative
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Éducation : le match privé – public

Dans nombre de pays d’Afrique francophone et du Maghreb, l’éducation nationale est en crise. Les établissements privés sont convaincus de pouvoir prendre la relève. Est-ce le cas ? À vous de juger.

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Quand Wole Soyinka (83 ans) se rend à Port Harcourt, l’une des villes les plus dangereuses du Nigeria, sa protection est d’abord assurée par des « Pyrates », des étudiants appartenant à la confrérie qui porte ce nom étrange. Ses cerbères le suivent jusque dans l’ascenseur qui conduit à sa chambre, n’hésitant pas à bousculer au passage d’autres clients de l’hôtel.

« De New York à Los Angeles, ils le suivent partout », confie une proche de l’écrivain. Cette protection lui a sans nul doute été fort utile à l’époque où le Prix Nobel de littérature était condamné à mort par le régime de Sani Abacha (1993-1998).

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Soyinka entretient des liens d’autant plus étroits avec cette confrérie qu’il en est l’un des fondateurs. En 1952, étudiant à l’université d’Ibadan, il souhaitait lutter contre « l’esprit colonial » qui, selon lui, perdurait à l’université. Les Pyrates accusaient les autres étudiants de reproduire les schémas de pensée des Occidentaux. Bien entendu, des confréries rivales firent vite leur apparition, notamment les Buccaneers (« boucaniers »).

Une véritable « guerre des cultes »

Le différend n’est pas resté longtemps philosophique et a vite dégénéré en affrontements : plusieurs centaines de morts, au total, surtout dans le Sud. Peu à peu, ces confréries se sont muées en sociétés secrètes, des « cultes », comme l’on dit ici, qui multiplient enlèvements, viols, meurtres et autres exactions.

On assiste désormais à une véritable « guerre des cultes » pour le contrôle des trafics qui ont cours sur les campus : rackets, trafic de drogue, prostitution… Chaque bande a son « parrain » politique qu’il s’efforce de défendre par tous les moyens. Surtout les pires. Les règlements de comptes se font à coups de machettes et d’AK-47.

Les cultes sont devenus si puissants qu’ils dictent souvent leur loi aux enseignants. « Ils décident de qui va obtenir une bonne note ou de qui va réussir ses examens. S’opposer à eux, c’est risquer sa vie », s’indigne Stella, enseignante à Port Harcourt. Les étudiants cultistes sont d’autant plus intouchables qu’ils sont souvent armés et financés par des hommes politiques qui les utilisent pour se débarrasser de rivaux encombrants.

Les cultistes considèrent que toutes les filles leur appartiennent et qu’il leur revient de décider avec qui elles doivent coucher, raconte une étudiante

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Les cultistes imposent aussi leurs candidats aux postes de direction dans les institutions étudiantes. Fondateur du site Sahara Reporters, Omoyele Sowore était dans les années 1990 étudiant à Unilag, l’université de Lagos. Ayant commis l’imprudence de s’opposer à eux, il fut battu, torturé et contraint de quitter le pays. « Ils considèrent que toutes les filles leur appartiennent et qu’il leur revient de décider avec qui elles doivent coucher », raconte une étudiante.

Lorsque les affrontements tournent au massacre, l’armée débarque sur les campus. Mais les autorités fédérales ont d’autant plus de mal à éradiquer le phénomène que, depuis vingt ans, elles se désintéressent des conditions de vie des enseignants. Les retards dans le paiement des salaires peuvent atteindre plusieurs années. Financièrement pris à la gorge, les profs ont tendance à baisser les bras et à laisser des pouvoirs parallèles s’installer.

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Pouvoirs parallèles

C’est d’ailleurs l’un des thèmes favoris de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie. Il était tellement difficile d’accéder à un enseignement de qualité qu’après une année de fac elle est partie étudier aux États-Unis. Un exemple qu’à l’instar de l’héroïne d’Americanah, le dernier roman de Chimamanda Ngozi Adichie, des millions de Nigérians rêvent de suivre.

« Oui, je rêve moi aussi d’aller aux États-Unis ou au Royaume-Uni, notamment pour échapper aux cultistes, reconnaît une jeune femme. Encore faut-il avoir les moyens de le faire et d’obtenir un visa, ce qui n’est pas mon cas. Pour l’instant, je reste donc à Lagos et m’efforce de me montrer bien polie avec les cultistes pour éviter qu’ils ne s’en prennent à moi ! »

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