Abdellatif Miraoui : « le privé, plus qu’un concurrent, un partenaire »
Pour financer la recherche, les universités ont besoin des entreprises. Reste à les séduire.
Éducation : le match privé – public
Dans nombre de pays d’Afrique francophone et du Maghreb, l’éducation nationale est en crise. Les établissements privés sont convaincus de pouvoir prendre la relève. Est-ce le cas ? À vous de juger.
Après une carrière de chercheur en France, il est, en 2011, rentré au Maroc, qu’il avait quitté à l’âge de 8 ans. Il est depuis devenu un gestionnaire reconnu de la chose universitaire. L’UCA figure d’ailleurs en bonne place dans le Shanghai Ranking, le prestigieux palmarès international. Elle accueille 102 000 étudiants, contre 29 000 en 2011. Et 120 000 sont attendus en 2022.
Jeune Afrique : Pourquoi insistez-vous sur l’importance des compétences transversales ?
Abdellatif Miraoui : Ce qu’on appelle le para-universitaire, notamment la maîtrise des langues étrangères, n’est plus une option, c’est une nécessité. Parce que les études sont aussi le moment où l’on construit les futurs citoyens.
Beaucoup se plaignent du manque d’argent public…
Le budget alloué à l’enseignement supérieur est insuffisant, c’est sûr. Au Maroc, il est aujourd’hui compris entre 0,5 % et 0,7 % du PIB. Pour que le pays soit en mesure d’affronter les changements qui s’annoncent, il faudrait le porter sans attendre à 1,5 %.
Il faut que les États et les universitaires acceptent de prendre en charge la formation continue. Sinon, le privé s’en chargera
Quel est le grand défi auquel les universités africaines sont confrontées ?
L’augmentation du nombre des élèves, qui est une bonne chose à condition qu’elle s’accompagne d’une vraie volonté politique.
Les universités marocaines et maghrébines sont-elles en mesure de dispenser des formations techniques ?
Il y a là, en effet, un manque. Les modèles de type licence pro y sont encore trop rares. Nous devons avoir accès à la formation professionnelle et plus que ça : il faut que les États et les universitaires acceptent de prendre en charge la formation continue. Sinon, le privé s’en chargera.
Je milite pour l’impôt recherche, presque inexistant en Afrique
L’université doit-elle avoir peur de l’entreprise ?
Je ne crois pas. Elle doit connaître ses intérêts et les défendre, c’est tout. À Cadi-Ayyad, nous avons conclu un partenariat avec Microsoft, qui fournit le wifi à l’ensemble de l’université depuis 2015. En 2016-2017, nous avons levé plus de 100 millions de dirhams (8,8 millions d’euros) pour des contrats de recherche avec l’OCP Group, spécialisé dans la gestion des déchets.
N’est-ce pas une menace pour l’indépendance de l’université ?
Se montrer attractif n’est pas renoncer au savoir. Les universités africaines doivent songer à protéger par un brevet les innovations et inventions faites en leur sein, ce qui permettra de drainer des fonds pour la recherche et de stimuler les secteurs à haute valeur ajoutée qui vivent de l’innovation. Je milite notamment pour l’impôt recherche, presque inexistant en Afrique. Les entreprises disent de l’université publique qu’elle est trop fermée sur elle-même. Et nous, nous disons qu’elles ne donnent pas assez. Pour les attirer, la défiscalisation est intéressante.
Au Maroc, les emplois qualifiés sont occupés à presque 80 % par des diplômés du public
Le privé est-il un concurrent ?
Non, c’est un partenaire. Nous avons la même mission globale et des approches qui peuvent s’enrichir mutuellement. Mais les échelles sont différentes. Au Maroc, le privé ne pèse pas encore très lourd. Et les emplois qualifiés sont occupés à presque 80 % par des diplômés du public. Le défi sociétal est là.
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