Mines : les clés du modèle Randgold

Grâce à la maîtrise de ses coûts, le premier producteur d’or d’Afrique francophone a poursuivi sa croissance. Mais il doit souvent batailler avec les gouvernements pour préserver ses intérêts.

Mark Bristow, patron de Randgold, sur la mine d’or de Gounkoto, au Mali, en novembre 2013. © s. dawson/Bloomberg via Getty Images

Mark Bristow, patron de Randgold, sur la mine d’or de Gounkoto, au Mali, en novembre 2013. © s. dawson/Bloomberg via Getty Images

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Publié le 1 février 2018 Lecture : 8 minutes.

Mark Bristow, patron de Randgold, sur la mine d’or de Gounkoto, au Mali, en novembre 2013. © s. dawson/Bloomberg via Getty Images
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Mines : quelles ambitions pour 2018 ?

Du premier producteur d’or d’Afrique francophone, Randgold, à Managem, qui se voit déjà en champion régional du cobalt, en passant par les cours mondiaux, tour d’horizon des grands enjeux miniers de 2018.

Sommaire

Le 12 novembre 2017, lors du déjeuner parisien annuel de présentation de ses résultats au luxueux Hôtel de Crillon, Mark Bristow avait l’assurance de celui qui a fait de son groupe, Randgold, fondé il y a vingt-deux ans, le premier producteur d’or d’Afrique francophone, avec 1,25 million d’onces extraites en 2016.

Du fait d’un cours du précieux métal qui a repris des couleurs depuis un an – 1 339 dollars l’once le 15 janvier –, son groupe enregistre 202,6 millions de dollars (171 millions d’euros environ) de bénéfices pour les neuf premiers mois de l’année 2017, un chiffre en hausse de 22 % par rapport à la même période en 2016.

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Grâce à une maîtrise de ses coûts de production, passés de 698 dollars l’once en 2014 à 618 dollars aujourd’hui, le groupe minier a poursuivi sa croissance pendant la chute des cours qui, entre 2013 et 2016, a décimé nombre de ses concurrents plus petits… et créé des possibilités de rachat à prix cassés pour le patron sud-africain : au début de 2016, il a repris les activités de Kilo Goldmines en RD Congo, situées à proximité de sa mine de Kibali, et noué une coentreprise avec Alecto Minerals au Mali, près de son complexe extractif de Loulo-Gounkoto. Bristow se targue aussi d’une performance boursière de long terme bien au-dessus de l’évolution du cours de l’or, qui, selon lui, n’est pas le seul élément déterminant du sort de la compagnie.

Un fondateur héritier d’une lignée de géologues et d’ingénieurs miniers

Pour expliquer le chemin parcouru depuis 1995, Mark Bristow estime que le plus important n’est pas ce que lui et ses équipes ont fait, mais ce qu’ils n’ont pas fait : « Nous n’avons pas investi dans des mines qui ont perdu de l’argent ; et nous n’avons jamais cessé d’explorer le sous-sol africain, ni de regarder les occasions d’acquisition de gisement. »

Magnus Ericsson, professeur d’économie minière à l’université de Lulea, en Suède, et consultant actif sur le continent, rappelle que « pour comprendre la réussite de Randgold il faut se souvenir que son fondateur est l’héritier d’une lignée de géologues et d’ingénieurs miniers sud-africains, les plus expérimentés du continent dans l’or – la nation Arc-en-Ciel fut pendant des décennies le premier producteur mondial – et les premiers à explorer l’Afrique australe et l’Afrique centrale. Il a été l’un des dirigeants de Rand Mines, la plus importante compagnie d’extraction d’or sud-africaine démantelée, alors que les Sud-Africains blancs s’interrogeaient sur leur avenir dans l’industrie de la nouvelle nation Arc-en-Ciel. »

Une histoire minière, raciale et coloniale douloureuse

De fait, Mark Bristow le reconnaît, son parcours sud-africain précédant la fondation de Randgold a été essentiel pour bâtir sa stratégie en Afrique de l’Ouest, puis en Afrique centrale. « J’ai eu à piloter treize mines souterraines en Afrique du Sud, cela a été un apprentissage essentiel sur les plans technique mais surtout managérial et social, dans les négociations avec le syndicat minier sud-africain NUM. Cela m’a convaincu qu’on pouvait travailler de manière constructive avec les syndicats, dont les représentants siègent aujourd’hui dans chacun des conseils d’administration de nos sites miniers », explique-t-il.

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Reste que si le Sud-Africain est parti chercher des opportunités hors des frontières de son pays, c’est aussi parce qu’il estime qu’il est impossible de travailler de manière dépassionnée et efficace dans son pays d’origine, marqué par une histoire minière, raciale et coloniale douloureuse. Bristow, par ailleurs propriétaire de la compagnie sud-africaine Rockwell Diamonds, considère que les réglementations minières de Pretoria sont aujourd’hui destinées à « enrichir une nouvelle élite » – proche du pouvoir et de l’ANC – et non pas les mineurs et leurs familles.

Nouvelles zones géologiques

Si Randgold a démarré ses activités en dehors de la nation Arc-en-Ciel, c’est d’abord sur l’intuition que le sous-sol des pays francophones d’Afrique de l’Ouest situés à proximité du Ghana – appelé la Gold Coast sous la colonisation britannique – recelait, lui aussi, des quantités importantes d’or. « Il a été l’un des premiers à miser sur cette région, peu étudiée jusqu’alors, sauf par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) français », reconnaît Magnus Ericsson, qui rappelle toutefois que ses débuts au Mali, après avoir racheté des licences de BHP Billiton, ont été chaotiques.

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Après l’ouest du continent, la compagnie s’est penchée une dizaine d’années plus tard sur l’Afrique centrale, avec l’acquisition des permis de Kibali, en RD Congo, site entré en production en 2013. « Nous continuons d’être à l’affût d’occasions dans deux zones géologiques : celle du plateau birimien ouest-africain, vieux de 2,1 milliards d’années, qui va de la Mauritanie jusqu’au Niger et à la Côte d’Ivoire ; et celle du craton congolais, avec ses roches de 2,7 milliards d’années, qui part du sud du lac Victoria, en Tanzanie, jusqu’au nord-est de la RD Congo », confie Bristow.

Un « développeur de mines » du secteur

Sur ces deux zones immenses du continent, Randgold s’intéresse aux permis en vente dans les pays où il se trouve déjà – Côte d’Ivoire, RD Congo, Mali et Sénégal – et reste en veille sur la Guinée, le Burkina Faso et, dans une moindre mesure, la Mauritanie et la Tanzanie. Mais il n’est pas prêt à aller partout. « L’acquisition de licences au Soudan du Sud ou en Centrafrique n’est guère à l’ordre du jour, du fait des questions sécuritaires », indique Mark Bristow.

Pour Magnus Ericsson, ce qui fait la force de Randgold n’est pas d’être une junior d’exploration, mais l’un des rares vrais « développeurs de mines » du secteur. « Randgold achète des gisements à un stade d’exploration avancé, quand il est sûr du niveau des réserves, ce qui limite ses risques de déconvenues. Mais c’est lui qui installe l’outil extractif et industriel. Le groupe n’a pas son pareil pour transformer un gisement en mine, c’est là qu’il crée le plus de valeur, et il n’a pas peur de le faire dans des pays réputés compliqués tels que la RD Congo », observe le spécialiste suédois.

Cadres locaux

Pour cela, Randgold s’appuie avant tout sur ses équipes africaines. « Quasiment toutes nos opérations sont managées par des cadres locaux que nous avons formés : tous nos directeurs pays – comme N’golo Sanogo, au Mali – et la majorité de nos patrons de site minier – comme Tahirou Ballo, directeur général de Loulo-Gounkoto – sont originaires du pays. Ce sont des personnes extrêmement brillantes, que nous avons envoyées se former en Afrique du Sud, au Royaume-Uni et en France », précise le fondateur de la compagnie, ancien professeur à l’université du ­Kwazulu-Natal, qui suit de près les parcours académiques de ses adjoints.

Bristow affirme que cette politique lui vaut une fidélité de ses cadres, avec un faible taux de rotation de ses équipes, ce qui est loin d’être le cas avec des expatriés occidentaux. Et qu’elle coûte aussi moins cher. Le dirigeant, qui ne manque pas de faire valoir sa propre origine africaine, affirme, un brin grandiloquent, que sa compagnie est la première à avoir prouvé que « des Africains peuvent gérer des mines au niveau des meilleurs standards internationaux ».

Chez Randgold, les cadres locaux sont les premiers à gérer la relation du groupe avec les ministres des Mines et autorités de tutelle, aux antipodes de ce qui se fait chez les concurrents Acacia Mining ou Kinross, dont les négociations sont pilotées par des Occidentaux qui ne passent que quelques années dans le pays. Pour mettre de l’huile dans ses rouages, le groupe a également invité dans son conseil d’administration deux anciennes ministres, l’Ivoirienne Safiatou Ba-N’Daw et la Congolaise Jeanine Mabunda Lioko. Et entretient avec les autorités un dialogue direct – qualifié de « brutal » par ses détracteurs – qui contraste avec le politiquement correct et le goût du secret prisés par les grands groupes miniers comme Rio Tinto, Anglo American ou AngloGold Ashanti.

100 millions d’euros de litige

La méthode directe ne marche pas à tous les coups. En RD Congo, Mark Bristow et ses équipes, membres actifs de la Chambre des mines du pays, ont fait campagne depuis 2013 contre le nouveau code minier, dont l’adoption, prévue initialement en 2015, a été retardée de deux ans du fait de cette mobilisation. Le texte a finalement été voté en première lecture par l’Assemblée nationale au début de décembre 2017, mais le groupe veut peser de tout son poids, en s’alliant notamment avec le géant suisse Glencore, présent dans le sud du pays, pour empêcher son adoption au Sénat.

En Côte d’Ivoire, où le code minier est au contraire considéré par Mark Bristow comme « le meilleur du continent », la société milite pour pouvoir acheter plus de dix licences d’exploration (la limite actuelle) et en faveur d’une accélération des procédures administratives, jugées trop longues, pour les compagnies déjà en exploitation.

C’est au Mali que la compagnie fait face au litige le plus important avec les autorités. Bamako continue de réclamer des arriérés de taxes et royalties de plus de 100 millions d’euros, contestés par Bristow. Le contact n’est pas pour autant rompu avec les autorités. Randgold, dont les activités représentent près de 7 % du PIB malien, espère un arrangement à l’amiable pour éviter un arbitrage international. En attendant, si le bureau de représentation de Randgold à Bamako a temporairement été fermé en 2016, les exploitations minières de Morila et de Loulo-Gounkoto n’ont, elles, jamais cessé d’extraire l’or malien.

Les 8 champions de la production sur le continent en 2016

(en onces)

AngloGold Ashanti (sud-africain) 2,28 millions (dont 967 000 en Afrique du Sud

Randgold 1,25 million

Gold Fields (sud-africain) 1 million

Acacia Mining (canadien) 830 000

Endeavour Mining (canadien) 584 000

Nordgold (russe) 492 000

IamGold (canadien) 452 000

Kinross (canadien) 366 000

L’union fait la force

Plutôt que de renchérir sur les mêmes gisements que ses grands concurrents, Randgold préfère coopérer. D’abord avec AngloGold Ashanti, géant sud-africain de l’or et premier producteur du continent, son partenaire depuis deux décennies, coactionnaire à Kibali et à Morila. Mais aussi avec le canadien Endeavour Mining, avec lequel il vient de lancer une coentreprise dans l’exploration en Côte d’Ivoire. Et quand il est en lice contre un adversaire – comme avec Kinross pour le gisement mauritanien de Tasiast, ou avec Acacia Mining pour la reprise d’actifs tanzaniens – il préfère se retirer de la course plutôt que de faire monter les prix.

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