RDC : dans la jungle des facs privées

Ce pays compte 428 établissements de ce type. Un record en Afrique francophone. Mais sont-ils pour autant performants ? Voyage au cœur d’un système où le meilleur côtoie le pire.

L’université du Cepromad à Masina, faubourg de Kinshasa. © Université Cepromad

L’université du Cepromad à Masina, faubourg de Kinshasa. © Université Cepromad

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 1 février 2018 Lecture : 6 minutes.

Des étudiants en filière Éducation à l’université de Porto-Novo, au Bénin, en  mai 2017. © Flickr / Creative Commons / World Peace Intiative
Issu du dossier

Éducation : le match privé – public

Dans nombre de pays d’Afrique francophone et du Maghreb, l’éducation nationale est en crise. Les établissements privés sont convaincus de pouvoir prendre la relève. Est-ce le cas ? À vous de juger.

Sommaire

Dans une cour intérieure encombrée de tables et de chaises, un groupe d’étudiants patiente à l’ombre d’un drap tendu comme un dais. Au-dessus d’eux : quatre étages biscornus décorés de colonnades colorées, maladroitement fixées par du ciment. Des escaliers aux marches inégales mènent à des « auditoriums » poussiéreux et vides, qui ne dépareraient pas dans quelque école de quartier. Au sommet du bâtiment trône un confortable bureau dont la porte est ornée d’une plaque. On se frotte les yeux, mais Oscar Nsaman-O-Lutu, le maître des lieux, se fait bel et bien appeler le recteur magnifique.

« Comme vous le constatez, nous sommes encore en travaux », lance « l’honorable professeur docteur » (74 ans). De fait, des fers à béton jaillissent dans tous les coins. « C’est que nous construisons sur le modèle de l’université du Cap », commente-t-il sans rire. L’université du Centre de promotion en management et développement (Cepromad) n’a pourtant rien à voir avec le prestigieux établissement sud-africain. On peine d’ailleurs à imaginer les 3 700 étudiants revendiqués par la direction s’entassant dans ce bâtiment fait de bric et de broc et son annexe située dans un autre quartier populaire de Kinshasa.

la suite après cette publicité

Des « brevets bidon »

Le « recteur magnifique » tient pourtant à montrer le sérieux de son entreprise. Il exhibe le diplôme que lui a décerné, en 1979, l’université de Syracuse, près de New York, puis un décret présidentiel de 2006 reconnaissant l’utilité de son établissement, et surtout une licence que lui a attribuée l’Europe Business Assembly, à Oxford, Royaume-Uni. L’ennui est que, selon le quotidien The Times, la spécialité de l’organisme en question est la délivrance de « brevets bidon ».

Les diplômes de l’université du Cepromad n’en sont pas moins imprimés sur du papier officiel de l’Imprimerie nationale et portent la signature de Steve Mbikayi, le ministre de l’Éducation supérieure en personne. C’est d’ailleurs le cas pour toutes les universités privées.

Le système privé congolais est en effet hybride : ses établissements jouissent d’une totale autonomie de gestion, mais la plupart des professeurs qui y exercent viennent du public et s’offrent ainsi un appréciable complément de salaire. Les diplômes qu’ils délivrent sont dûment reconnus par l’État, ce qui ne garantit pas leur sérieux. Le ministre le reconnaît volontiers : le secteur est gangrené par les établissements douteux. Dans certains cas, acquitter les frais de scolarité revient carrément à acheter un diplôme. « Hélas ! en RD Congo, on accorde souvent davantage de valeur à ces certificats qu’aux connaissances qu’ils sont censés sanctionner », déplore François Mpona-Minga, directeur général de l’Institut supérieur des techniques médicales, à Kinshasa.

Saturation des facs publiques

On l’aura compris : le business des établissements privés en RD Congo est florissant. Il faut dire que le montant total des frais de scolarité dépasse souvent – c’est le cas au Cepromad – les 1 000 dollars par étudiant et par an. Entre 2006 et 2015, le nombre d’étudiants du privé a été multiplié par trois. On recensait alors 428 établissements d’enseignement supérieur – un record en Afrique francophone. « De nouvelles demandes d’agrément arrivent tous les jours », s’agace un conseiller du ministre.

la suite après cette publicité

Cet essor a été grandement favorisé par la saturation des facs publiques. Comme il y a cinquante ans, la RD Congo ne compte que trois établissements de référence alors que la population a été multipliée par quatre. « Mon père voulait que j’étudie la médecine à l’université publique de Kinshasa [Unikin], témoigne Renato Nsumbu. Mais l’amphi­théâtre de 700 places accueillait parfois jusqu’à 4 000 étudiants ! Il fallait venir avec sa propre chaise et l’attacher avec une chaîne pour ne pas se la faire voler ! » Découragé, il s’est rabattu sur une université privée, l’Institut supérieur d’informatique, programmation et analyse (Isipa), qui lui permettait de travailler en parallèle.

Propagande politicienne

Steve Mbikayi, le ministre de l’Enseignement supérieur, accuse certains de ces établissements privés d’avoir été créés par des hommes politiques à des fins de propagande. « Cela leur permet de dire à leurs administrés qu’ils ont fait quelque chose pour eux, commente-t-il. Mais l’enseignement n’y est pas forcément de très bonne qualité. »

la suite après cette publicité

Le « recteur magnifique » du Cepromad est lui-même député de Kinshasa. Et l’ancien Premier ministre Matata Ponyo a ouvert en octobre une ambitieuse université « Mapon » (son surnom) de 12 000 m2 dans sa ville de Kindu, dans l’Est. Il ambitionne de faire de cet établissement, financé à hauteur de 6 millions de dollars par des donateurs privés, une « institution aux normes internationales » spécialisée dans les enseignements techniques (ingénierie, informatique, etc.). « Le pays ne dispose pas de ce type d’établissement, nous allons combler un vide, explique-t-il. Les grandes entreprises des télécoms ou des mines pourront y recruter des cadres congolais bien formés. » L’université Mapon a conclu avec l’École centrale des arts et métiers (Ecam), à Bruxelles, un partenariat prévoyant des échanges d’enseignants.

Des rapports « biaisés »

Car tous les établissements privés ne sont pas des arnaques. Après son cursus à l’Isipa, Matondo Nsumbu a réussi à faire reconnaître son diplôme en France, où il travaille désormais. Les Universités catholique (UCC) et protestante (UPC) sont même les plus réputées du pays. Il existe aussi des établissements privés de prestige comme l’École supérieure de management de Kinshasa (ESMK), partenaire du groupe français ESG (École supérieure de gestion) et dont les étudiants multiplient les stages dans les plus grandes entreprises du pays. Mais le coût des études – 8 000 dollars par an – y est dissuasif.

Ces établissements au-dessus de tout soupçon restent toutefois des exceptions. Les ministres concernés tentent périodiquement de remettre un peu d’ordre dans le grand bazar de l’enseignement privé, mais c’est un éternel recommencement. En 2015, Théophile Mbemba avait fermé 150 établissements d’un coup. Steve Mbikayi, son successeur, a transmis au Conseil des ministres une nouvelle liste d’une vingtaine d’établissements à fermer. « Je ne signe plus les diplômes de certaines facs de médecine, assure-t-il. Certaines ne sont même pas rattachées à une clinique universitaire. Comment prétendre former des médecins sans leur donner la possibilité de voir des patients ? »

Mais l’administration est mal armée pour ce genre de combat. Elle produit des rapports que même le ministre juge « biaisés » ! « Je tiens à aller sur le terrain pour procéder moi-même aux inspections », dit-il. Bref, l’assainissement n’est pas pour demain.

Suite à la parution de cet article, l’université du Cepromad nous a fait parvenir cette correspondance :

« La réputation de l’Université du Cepromad lui a valu la reconnaissance au niveau national comme international. Bénéficiaire d’une accréditation par décret présidentiel, les diplômes du Cepromad sont reconnus au même titre que ceux des universités publiques.

Différents prix ont été décernés au promoteur de cette université, le docteur Oscar Nsaman leader dans l’enseignement du Management en RDC. Il s’agit de « l’International Socrates Award » de la très prestigieuse université d’Oxford, de la médaille d’or du mérite de l’ordre national Lumumba-Kabila, du diplôme Post Doctoral de Haut mérite scientifique en Administration Publique et Management de l’Université de Kinshasa, du Trophée Bravo X, Oscar du Meilleur Manager RDC.

Tous ces mérites sont le fruit du travail du professeur ordinaire Oscar Nsaman-O-Lutu, reconnu comme premier congolais Docteur en Management lors du congrès des professeurs d’universités tenu à Nsele-Kinshasa en 1980.

Revenu en RDC en 1979 après avoir décroché plusieurs diplômes à l’Université de Syracuse, près de New-York aux États-Unis (MPA, MBA, PhD), le professeur ordinaire s’est lancé dans un projet ambitieux d’introduire le Management dans le système éducatif congolais. Chose faite aujourd’hui. L’université du Cepromad tient le flambeau dans ce domaine, avec ses 100 professeurs, venant pour partie de l’Université publique. Le professeur ordinaire, Oscar Nsaman a dirigé à ce jour 25 thèses de doctorat en Management.

L’université du Cepromad dispose d’immeubles solides, construits par une régie des ingénieurs de l’Institut National des Bâtiments et Travaux Publics. Mais, les travaux de finissage se poursuivent encore dans le cadre de l’agrandissement de l’Université. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image