Gabon : Jean-Pierre Lemboumba, le dernier dinosaure

Après avoir mis ses talents au service d’Ali Bongo Ondimba, ce vieux briscard de la Françafrique a pris fait et cause pour Jean Ping. Son ultime combat ?

Jean-Pierre Lemboumba-Lepandou. © DR / Ambassade du Gabon au Maroc.

Jean-Pierre Lemboumba-Lepandou. © DR / Ambassade du Gabon au Maroc.

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 12 février 2018 Lecture : 6 minutes.

Ali Bongo Ondimba au sommet Union Européenne-Afrique, à Abidjan, Côte d’Ivoire, le 29 novembre 2017. © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA
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Gabon : Ali Bongo Ondimba peut-il être contraint à la cohabition ?

Les enjeux autour des élections législatives sont multiples. Si l’opposition peine à s’unir face à Ali Bongo Ondimba, le président cherche, quant à lui, à reprendre le contrôle de son pouvoir et ainsi à attirer de nouveau la confiance de la communauté internationale.

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Il ne s’attable jamais en terrasse. Jean-Pierre Lemboumba Lepandou préfère l’intérieur et, surtout, la pénombre de cette brasserie chic de la place Tattegrain, à Paris, où il a son rond de serviette. Généralement, cet homme râblé déjeune seul, sur une table d’angle d’où il peut observer les va-et-vient des autres clients. Parfois, quelqu’un le reconnaît. Il répond alors poliment aux amabilités sans jamais regarder ses interlocuteurs dans les yeux. Ce misanthrope qui aime les bonnes tables maintient toujours de la distance.

Ce refus de profiter du soleil, du reste hypothétique sous le ciel gris de son exil parisien, est tout sauf anodin. En fait, Lemboumba fuit la lumière. Spécialiste de la diplomatie souterraine mêlant affaires et politique, cet ex-conseiller du président gabonais, Ali Bongo Ondimba (ABO), n’a plus remis les pieds dans son pays depuis l’élection présidentielle de 2016. Selon ses proches, il craint pour sa vie depuis qu’il a pris fait et cause pour Jean Ping. Assertion que ses détracteurs mettent sur le compte de la paranoïa qui le tenaille depuis la fusillade dont il fut la victime en 1992.

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Vieux briscard de la Françafrique

Plus d’un an après le scrutin, il passe ses journées à ferrailler auprès des décideurs étrangers pour faire reconnaître Ping comme président élu. Pour les besoins de la cause, il a mis en branle ses réseaux et à contribution sa fortune. Mais tout ne se passe pas toujours comme il le souhaite : le 13 janvier dernier, une décision de la justice gabonaise a signifié à Ping son interdiction de sortir du territoire, alors que l’influent conseiller l’attendait à Paris avec un agenda plein de rendez-vous.

Le renouvellement de la classe politique française a donné un coup de vieux à ce personnage de roman d’espionnage âgé de 77 ans. Mais celui à qui Jacques Foccart trouvait des qualités d’homme d’État bénéficie toujours d’un entregent remarquable s’agissant des tractations en coulisse. Certes, il est aujourd’hui moins efficace qu’en 2009, lorsque ses talents étaient mis au service du candidat Ali.

 Lemboumba espérait chaperonner le successeur d’Omar Bongo Ondimba, n’a pas eu l’influence qu’il espérait sur le jeune président.

À l’époque, c’est André Mba Obame qui en a été la principale victime. Au moment de la transition, Lemboumba est parvenu à s’imposer comme l’homme des Français et à assécher les financements équato-guinéens de ce candidat à la présidentielle. Dans son livre Nouvelles Affaires africaines (2014), Pierre Péan publie ainsi des retranscriptions d’écoutes téléphoniques mettant en scène le trio constitué de Lemboumba, de l’avocat franco-libanais Robert Bourgi et du secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant.

« Bourgi explique à Lemboumba que le grand chef, Sarkozy, l’a appelé et qu’ils ont longuement parlé de la situation, écrit Péan. Le grand chef a décidé d’envoyer mardi Joyandet [alors secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie] chez le grand chef d’à côté, Obiang Nguema. Il devra lui donner des consignes très strictes. En lui précisant qu’Ali est notre protégé. […] Joyandet devra lui expliquer qu’il est préférable qu’il garde l’argent pour le bien de son pays à lui. »

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Une « panthère qui vit dans les fourrés »

Pendant le premier septennat d’Ali, ce vieux briscard de la Françafrique occupe un bureau à la présidence mais a peu de pouvoir entre les mains. Pour ne rien arranger, entre 2009 et 2016, la France tourne casaque. François Hollande remporte la présidentielle au détriment de Nicolas Sarkozy, balayant la droite alors qu’elle concentrait en son sein l’essentiel des connexions du Gabonais. Le voilà débranché, alors qu’il était déjà affaibli.

Après la conquête du Palais du bord de mer, le grand marionnettiste se retrouve sans marionnette. Lui qui espérait chaperonner le successeur d’Omar Bongo Ondimba, voire lui tenir la main, n’a pas eu l’influence qu’il espérait sur le jeune président. Les habitués du palais qui le connaissent disent qu’il s’est alors refermé sur lui-même, toujours fuyant et ne se confiant à personne. « On ne savait pas quand il voyageait ni quand il rentrait », se souvient l’un d’eux. L’écrivain gabonais Janis Otsiemi le qualifie de « panthère qui vit dans les fourrés ».

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Pour n’avoir pas vu changer l’époque et les mœurs, il s’est retrouvé isolé au sein de cette présidence tourbillonnante de jeunesse. Michel Essonghe, son ancien camarade du collège Bessieux de Libreville, lui aussi conseiller politique et vétéran du « règne » d’Omar, a montré plus de résilience. « Lorsque Lemboumba a entamé son flirt avec l’opposition, il a tenté en vain de le dissuader », confie un ancien ministre. Quand le conseiller en rupture de ban a finalement déserté son bureau peu avant la présidentielle, Essonghe a entrepris plusieurs médiations, mais elles n’ont pas abouti.

Opposition et Jean Ping

Les opposants accueillent alors à bras ouverts cet ancien ministre des Finances connu pour sa générosité mais dont personne n’a jamais pu évaluer la fortune. Exilé à Paris, il possède plusieurs biens immobiliers dont un grand duplex rue de l’Assomption et plusieurs appartements dont un boulevard Exelmans, dans l’ouest de la capitale française. Touche‑à-tout dans les affaires, il a empoché de jolies commissions issues de contrats pétroliers notamment.

Les leaders de la « résistance » gabonaise, ces jeunes opposants de la diaspora qui refusent de reconnaître l’élection d’ABO, le savent mais ne lui en tiennent pas rigueur. Il est proche de Laurence Ndong, porte-parole de Jean Ping, avec laquelle on le voit déjeuner à l’hôtel Raphaël. « Il finance l’opposition, mais pas comme dans les années 1990. »

 Lemboumba a rêvé du sommet de l’État

Après la tentative d’assassinat de 1992, dont il avait tenu Omar Bongo Ondimba pour responsable, il avait basculé dans le camp adverse, puis s’était présenté à la présidentielle de 1993. C’est un fait, Lemboumba a rêvé du sommet de l’État. Est-ce pour cette raison qu’il n’a jamais vraiment apprécié Ali, qu’il sert ou combat en fonction de ses intérêts et calculs ?

Dernière bataille

En 2014, l’affaire de sa blessure par balle redevient un sujet d’actualité à travers le livre de Pierre Péan mais avec un nouvel instigateur : ABO. Ce dernier dépose alors une plainte en diffamation au tribunal correctionnel de Paris. Le 2 novembre 2017, les juges lui ont donné raison : « Ces passages relaient des accusations très graves formulées de façon affirmative », sur une base factuelle « insuffisante », ont-ils expliqué avant de condamner le journaliste-enquêteur français à 1 000 euros d’amende.

Lemboumba a en tout cas choisi son camp. Mais peut-être livre-t‑il aux côtés de Jean Ping l’une de ses dernières batailles.

De vieilles rivalités

Le basculement de Jean-Pierre Lemboumba Lepandou dans l’opposition peut aussi s’expliquer par le conflit entre les Obambas, dont il est issu, et les Tékés quant à la répartition des postes de pouvoir. À l’origine, le Téké Omar Bongo Ondimba confie aux Obambas de sa province d’origine la gestion des finances publiques. Il recrute parmi eux ses ministres des Finances, dont Jean-Pierre Lemboumba, mais aussi Jérôme Okinda ou Paul Toungui, et même l’ex-gouverneur de la Beac Jean Félix Mamalepot. Les Tékés sont quant à eux orientés vers le métier des armes. Mais au fil des ans, l’enrichissement des Obambas suscite des jalousies et d’âpres luttes intestines pour le contrôle des régies financières. Dénonçant la « boulimie » des Tékés et voyant leur influence reculer, des dizaines de cadres obambas rejoignent donc l’opposition.

Autre casus belli entre les deux parties, le cas des Obambas emprisonnés, dont les ex-directeurs généraux de la douane Ludovic Ognagna et Alain Ndjoubi Ossamy ou l’ex-cadre de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) Pascal Oyougou.

Ali Bongo Ondimba voulait débarrasser sa gouvernance de la géopolitique ethnique, une plaie à ses yeux. Le voilà rattrapé par ce qu’elle engendre de pire : une concurrence fratricide et dévastatrice entre deux ethnies voisines de son fief électoral.

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