Tunisie : Samia Maktouf, l’avocate des victimes du terrorisme

Elle s’est fait un nom en assurant la défense de Ziad Takieddine ou celle de Leïla Ben Ali. Avant de devenir l’avocate patentée des victimes du terrorisme en France.

Me Maktouf dans son bureau des Champs-Élysées, à Paris, le 4 janvier 2016. © DNphotography

Me Maktouf dans son bureau des Champs-Élysées, à Paris, le 4 janvier 2016. © DNphotography

Fawzia Zouria

Publié le 15 février 2018 Lecture : 6 minutes.

Rien ne prédestinait cette avocate franco-tunisienne spécialisée dans le droit des affaires à s’immerger dans l’univers macabre du terrorisme. Après des débuts dans le célèbre cabinet de Théo Klein, KGA, à Paris, Samia Maktouf, 54 ans, s’était occupée de toutes sortes de contentieux privés, conseillant le patron comme l’ouvrier, le propriétaire nanti comme le SDF, mais aussi l’artiste africain spolié de ses droits d’auteur ou la policière d’origine maghrébine dénonçant l’omerta dans sa profession, comme ce fut le cas de Sihem Souid.

Deux clients, à la fois influents et controversés, vont la propulser sur le devant de la scène judiciaire et médiatique : l’homme d’affaires libanais Ziad Takieddine et l’épouse de l’ex-président tunisien Leïla Ben Ali. L’avocate assume. Et fait sienne la devise de son maître à penser Albert Naud : « Je suis capable d’accepter de les défendre tous quels qu’ils soient, aussi vils soient-ils, aussi méprisés soient-ils, aussi vomis par la société qu’ils puissent être. »

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Tous ou presque, car Maktouf s’est tout de même fixé des lignes jaunes qu’un Paul Vergès, par exemple, franchissait allègrement.

« Défendre l’honneur d’une femme »

Du Libanais, qui fut l’intermédiaire des présidents français et qui a fini devant les tribunaux, elle dit comprendre la frustration et le dépit : Takieddine a servi le système et s’est fait manipuler par des hommes politiques qui l’ont lâchement abandonné une fois rattrapé par la justice. Pourtant, c’était par son truchement qu’on a négocié la vente de frégates au Pakistan, plaide Samia, ainsi que la signature de juteux contrats avec l’Arabie saoudite. C’est à lui qu’on doit en partie l’issue heureuse du procès des infirmières bulgares en Libye.

Quant à l’ex-première dame de Tunisie, Me Maktouf martèle que sa plaidoirie contre les auteurs du livre La Régente de Carthage (paru en 2009) relève d’abord et avant tout du souci de défendre « l’honneur d’une femme » et que cela n’implique aucunement une accointance idéologique avec le régime du 7-Novembre.

Avant d’ajouter d’un ton malicieux : « Je me réjouis de constater l’avancée accomplie dans le domaine de la justice en Tunisie, puisqu’il y a aujourd’hui pléthore d’avocats qui se portent candidats pour défendre Ben Ali et les anciens du régime. »

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Le déclic du Printemps arabe

L’attentat de Karachi de 2002, qui avait coûté la vie à 11 salariés de la Direction des constructions navales (DCN), en corrélation avec la vente des frégates au Pakistan, pour laquelle Takieddine fut l’intermédiaire, la met en présence de ses « premières victimes sans visage du terrorisme ». Elle ne sait pas que sa carrière est en train de prendre un tournant.

Elle se bat pour sauver un réfugié mineur à qui les parents ont payé la traversée

En 2011, dans le sillage du Printemps arabe, elle assiste à l’explosion du flux migratoire vers l’Europe, principalement via l’Italie. Le parcours tragique de ces « clandestins de Lampedusa » – subsahariens, nord-africains ou moyen-orientaux – l’émeut. La chasse à l’homme, la misère, l’ignorance du droit français l’édifient sur l’urgence d’agir.

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Un combat pour les exilés

Sa première affaire, elle la gagne en obtenant l’élargissement de deux Tunisiens poursuivis pour séjour irrégulier en France. La nouvelle se répand. Maktouf est assaillie de demandes, conseille les nouveaux arrivants, les renseigne sur leurs droits, leur explique leur situation sur le territoire français, paie un ticket de métro à l’un, un sandwich à l’autre dans un bistrot juste en face du palais de justice.

Elle se bat pour sauver un réfugié mineur à qui les parents ont payé la traversée dans l’espoir qu’il puisse soigner à Paris une malformation du cœur. Elle avertit la police des frontières qu’un jeune clandestin décédé, dont celle-ci s’apprêtait à acheminer la dépouille vers le Maroc, était en réalité tunisien. Elle profite des vices de forme pour sortir qui d’une cellule, qui d’un campement.

la plupart des sans-papiers de Paris ne jurent plus que par elle

Tout naturellement, la plupart des sans-papiers de Paris ne jurent plus que par elle. Son numéro de portable circule dans les centres de rétention. Elle verra ainsi plus d’une fois débarquer sans crier gare, dans son bureau des Champs-Élysées, des groupes de garçons débraillés, affamés et sans document d’identité, qui finissent toujours par faire scandale dans l’immeuble cossu où elle travaille et dont les habitants n’hésiteront pas à porter plainte auprès du syndic. Cela ne l’empêchera pas de continuer à plaider pour ses harraga.

Des victimes aux sympathisants du jihad

Puis arrive l’affaire Mohamed Merah, en 2012. Le tueur de Toulouse vient de faire sept victimes, dont un jeune soldat franco-marocain, Imad Ibn Ziaten. Sollicitée par la mère de ce dernier, Maktouf se saisit de l’affaire. Et devient l’avocate des victimes des attentats : le Bataclan, l’Hyper Cacher, le Stade de France, Nice… Pendant que les experts se succèdent sur les ondes pour expliquer le phénomène, elle est sur le terrain, en prise directe avec l’horreur. Elle écoute, console, dénonce l’attitude arrogante du médecin qui rabroue un courageux vigile du Stade de France, ou le ministre qui ne daigne pas recevoir le parent d’une victime.

Parce qu’elle est sollicitée également par des mamans dont les enfants sont partis faire le jihad, elle piste les voies de la radicalisation, tente d’intercepter les signes de l’islamisme militant, s’indigne qu’on puisse laisser partir des mineurs sans autorisation, comme le jeune Rayan, qui, un jour de 2013, avait pris l’avion pour la Syrie sans que la police des frontières lui pose la moindre question.

Spécialiste et engagée

Forte de sa connaissance de la culture et de la langue arabes, elle décrypte les codes et discerne les références salafistes, ouvre les yeux du juge français sur les déclarations en arabe faites par des justiciables, comme le frère de Merah, Abdelkader, qui, en guise de signature, avait un jour écrit sur la feuille d’un magistrat, lequel n’y avait vu que du feu : « J’espère que Dieu te guidera vers le droit chemin qu’est l’islam. »

Elle ne trouve pas le sommeil parce qu’elle ressent dans son corps la douleur de ses clients endeuillés

Me Maktouf doit faire avec l’incompréhension et le désarroi de ses clients. Leur stupéfaction face aux révélations sur les tueurs de leurs enfants qu’on aurait pu arrêter à temps. L’amère surprise des mamans d’enfants convertis qui n’ont rien vu venir. Le choc devant les rapports des légistes qu’elle est contrainte de montrer à ses clients, alors que ce n’est pas son rôle.

Tous ces moments où l’avocate joue les conseillères, les médecins psychologues ou les confidentes. Au point que, parfois, avoue-t-elle, elle ne trouve pas le sommeil parce qu’elle ressent dans son corps la douleur de ses clients endeuillés.

Source de conseils

C’est pour se délivrer de ce poids que Me Maktouf a décidé d’écrire un livre (sorti en novembre 2017) dont le titre reprend, pour l’inverser, la fameuse phrase prononcée par Merah, lors de l’assaut du Raid, le 22 mars 2012 : « J’aime autant la mort que vous aimez la vie. »

Il fallait que je parle, dit-elle

« Il fallait que je parle », dit-elle. Non pas d’elle-même, mais des victimes. Non pas de sa vie – même si des jalons sont là pour éclairer son parcours –, mais des drames d’autrui. Et pour rappeler à l’État la nécessité de gagner la lutte contre le terrorisme.

Les propositions par lesquelles s’achève le livre sont claires. Elles concernent aussi bien la refonte des fonds de garantie que la redéfinition du statut de victime, les moyens de dresser le profil des terroristes que les solutions pour prévenir la radicalisation. Un guide ô combien utile qui clôt une chronique judiciaire des plus sensibles écrite pour la première fois en France par une avocate du Sud.

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